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en sorte qu'il découvrit bientôt la réalité du complot. Lorsqu'il se fut emparé de Capoue, il alla trouver à Salerne le pape Urbain II, et se rendit de là à Squillace, où il fut quinze jours malade. Le vénérable père Bruno, dit-il, vint me voir avec quatre de ses frères, et me consola par des discours remplis de piété et d'édification. Je lui contai ce qui m'étoit arrivé, et le remerciai de ce que même étant absent, il pre> noit soin de moi par ses prières. Il me répondit » avec son humilité ordinaire, que les choses n'é> toient pas telles que je le croyois, et que j'avois > vu l'ange de Dieu qui protège les princes dans la » guerre. Je le priai d'accepter, pour l'amour de » Dieu, des biens que j'avois dans le territoire de › Squillace; mais il les refusa en me disant qu'il » avoit tout quitté pour servir Dieu avec liberté, » et dans un parfait détachement des choses de » la terre.... J'eus beaucoup de peine à lui faire » accepter un don de peu de conséquence. » Deux ans après, il confirma la donation qu'il lui avoit faite, et y en ajouta quelques autres, comme celle du désert della Torre (f).

Le monastère della Torre fut le premier que saint Bruno fonda (g). Il y établit la pratique des

(f) Il étoit au diocèse de Squillace', dans la Calabre. L'église fut dédiée sous le titre de Sainte-Marie de Eremo ou de l'Hermitage. Ce monastère étoit pour ceux qui menoient une vie plus austère. Il y en avoit un second pour ceux qui ne pouvoient mener une vie aussi rigoureuse, et qu'on appeloit Saint-Etienne in Bosco, ou de Nemore, à cause de la forêt près de laquelle il étoit situé. Ces deux, monastères étoient presque contigus. On donna le second aux Cisterciens en 1192; mais Léon X le rendit aux Chartreux

en 1513.

(g) L'ordre des Chartreux, avant la destruction des monastères dans les états de l'empereur, avoit 172 maisons, qui étoient divisées en 16 provinces dontchacune a deux visiteurs. Il n'y a qu'un petit nombre de monastères de filles du même

vertus qui faisoient le caractère distinctif de ses disciples. Quoique éloigné de la grande chartreuse,

institut, l'extrême solitude qu'il prescrit ne pouvant en général convenir aux personnes du sexe. C'est pour cela que les Chartreuses ont plus de prières vocales que les Chartreux. Il n'y a plus que quatre maisons de Chartreuses, Salette près de Lyon, Premol près de Grenoble, Lélan en Savoie, Gosnay près de Béthune, diocèse d'Arras. C'est dans celle de Bruges, supprimée depuis, que fit profession Christine, baronne de Schaurotz, au duché de Wirtemberg, née en 1738 dans le sein du lutheranisme. Comme elle lisoit, à l'âge de dix ans, cet endroit de l'écriture où il est parlé de la prière de Judas Machabée pour les morts, elle en fut singulièrement frappée. Cette première impression se fortifia par diverses circonstances que la Providence ménagea avant qu'elle pût savoir en quoi consistoit la doctrine de la véritable église. Ayant lu depuis quelques livres catholiques qu'elle eut le bonheur de rencontrer, elle se convainquit pleinement des erreurs de Luther, et chercha les moyens de les abjurer. Son changement de religion lui attira la disgrâce de sa famille, et la fit chasser de son pays. La cérémonie de son abjuration se fit dans l'église des Capucins de Messkirk, près de Rodenberg, en 1758. Lorsqu'elle pensoit à se mettre en service pour subsister, elle se sentit tout-à-coup un désir ardent d'entrer chez les Chartreuses, quoiqu'elle n'eût jamais vu de couvent de cet ordre. Elle se rendit à Bruges, et y fit profession en 1767, à l'âge de trente ans. Le rit de la consécration solennelle des vierges, qu'on appelle improprement diaconesses chez les Chartreuses, est assez remarquable pour mériter d'être rapporté ici.

Anciennement les diaconesses étoient des veuves ou filles âgées que l'évêque consacroit à Dieu par l'imposition des mains , accompagnée de certaines prières. (Voyez Constit. Apost. l. 6, c. 17; Justin. Novel. 6, c. 6; Saint Ignat. ep. ad Smyrn. n. 13, et Cottel, ibid.) Elles étoient destinées, non à partager les fonctions cléricales, mais à assister les ecclésiastiques au baptême des femmes adultes, qui se donnoit par immersion; à instruire en particulier les catéchumènes de leur sexe, à les aider dans leurs maladies, à procurer les secours nécessaires aux confesseurs détenus en prison, à garder la porte de cette partie de l'église où étoient les femmes. On a cessé de voir des diaconesses aussitôt que l'on n'a plus donné le baptême par immersion. Il y en avoit encore à Constantinople sur la fin du douzième siècle, suivant Balsamon ; mais il n'y en avoit plus presque par-tout ailleurs. La consécration des vierges est toute différente de celle des diaconesses; elle se fait par l'évêque, qui dit la messe et récite certaines prières. Le second concile de Carthage, c. 6, et le

il en étoit toujours regardé comme le père, et il ne s'y faisoit rien d'important sans ses conseils;

sixième de Paris, c. 41, défendent aux prêtres de faire jamais cette cérémonie. Saint Léon dit, ep. 88, que les corévéques même n'ont pas le droit de consacrer les vierges. Il faut que les vierges que l'on consacre aient 25 ans. Anciennement la cérémonie dont il s'agit étoit pour celles qui restoient dans le monde, et pour celles qui étoient membres d'un corps religieux. Elle ne s'observe plus présentement que parmi les Chartreuses. Les vierges ainsi consacrées ont la permission de chanter l'épître à la grand'messe, fonction qui en soi n'exige point d'ordination ecclésiastique. Voyez le pontifical romain, avec le commentaire de Catalan ; Stilting, Diss. de Diaconissis; Cellot, de Hierarchiâ, l. 6, c. 11, p. 454; de Virginum benedictione; Arn. Raisse, Origin. Carthusianarum Belgii, Duaci, 1632.

Les Chartreux avoient plusieurs monastères en Angleterre. Le plus célèbre étoit celui de Jésus de Bethlehem, situé à Shène sur la Tamise, dans le comté de Surry. Le roi Henri V l'avoit fondé en 1414, auprès d'un châtean qu'il avoit dans cet agréable pays. (Voyez Dugdale, Monasticon, t. I, P. 973.) On distinguoit aussi celui de Londres près de WestSmithfield, qui avoit pour fondateur sir Walter Manny, créé chevalier de la Jarretière par Edouard III. Il fut détruit dans la vingt-neuvième année du règne de Henri VIII. Jean Houghton, qui en étoit prieur, fut pendu et écartelé à Tyburn le 27 Avril 1535, pour avoir refusé de reconnoître la suprématie du roi, et l'on exposa un de ses membres à la porte du monastère. Humfroi Middlemore, Guillaume Exmewe, Sébastien Newdigate, et Guillaume Horn, tous religieux de la même maison, souffrirent un pareil supplice, les trois premiers le 18 Juin, et le quatrième le 4 Août suivant. Huit autres moururent dans la prison de Newgate. Guillaume Trefford, que la cour avoit épargné, succeda à Houghton dans l'office de prieur. Il céda la maison que Henri VIII donna à sir Thomas Audley, qui porta la parole dans le parlement assemblé pour la destruction des monastères. La fille unique et l'héritière d'Audley la fit passer à Thomas Howard, duc de Norfolk, qui en fit le lieu de sa résidence. En 1611, Thomas Howard, comte de Suffolk, la vendit treize mille livres sterling à Thomas Sutton, écuyer, qui y fonda un riche hôpital pour 80 pauvres gentilshommes, indépendamment d'un grand nombre de places pour de pauvres enfans que l'on fait étudier, ou auxquels on apprend un métier après leur avoir enseigné à lire. Le revenu aunuel de cet hôpital est de cinq mille trois cent quatre-vingt-onze livres sterling. Voyez Héarne, Domus Carthusiana; Bearcroft, dans son Histoire de Thomas Sutton et de la fondation de la Chartreuse; Stowe, dans sa Desaription de Londres; Stevens, Monast. etc.

en sorte que les Chartreux de France et d'Italie étoient tous animés du même esprit.

Augustin Webster, prieur de la Chartreuse de Beauval, an comté de Nottingham, fut aussi pendu le 4 Mai 1535, pour n'avoir pas voulu reconnoître la suprématie de Heuri VIII. D'autres religieux de cet ordre souffrirent pour la même cause. Maurice Chaunecey, de la Chartreuse de Londres, fut emprisonné avec eux; mais on le relâcha après leur exécution. Il se retira en Flandre. La reine Marie étant montée sur le trône le 6 Juin 1553, il quitta Bruges où il étoit, avec quelques autres Chartreux, et partit pour Londres, où il arriva le 29 Juin 1555. Le 29 Novembre de l'année suivante, ces religieux furent mis en possession de leur ancienne maison de Shène, village dont le nom fut changé en celui de Richmond, par l'ordre de Henri VII, qui avoit été primitivement comte de Richmond. Après ce changement, il n'y eut plus qu'une petite partie du village qui s'appela Shène; le monastère continua de porter ce nom. Chauncey en fut fait prieur.

Après la mort de la reine Marie, et du cardinal Polus arrivée au mois de Novembre de l'année 1558, les Chartreux anglais, au nombre de quinze, indépendamment de trois frères convers, obtinrent par la médiation de D. Gomez de Figueroa, duc de Féria, ambassadeur d'Espagne à la cour de Londres, la permission de sortir du royaume sans être inquiétés. La même permission fut accordée aux religieuses de Sainte-Brigitte, qui vivoient dans le monastère de Sion, situé de l'autre côté de la Tamise, vis-à-vis de Shène. Ces religieuses, après avoir erré en différentes contrées, s'arrêtèrent enfin à Lisbonne où elles sont encore. Voilà les deux seules maisons et les deux seuls ordres religieux d'Angleterre qui se soient

conservés.

Les Chartreux arrivèrent en Flandre le 1. Juillet 1559 et furent reçus dans le monastère de Bruges. Ayant été chassés de cette ville par les Calvinistes en 1578, ils allèrent successivement à Lille, à Douai, à Cambrai, à Saint-Quentin à Noyon, à Namur et à Louvain. Ils s'arrêtèrent dans cette dernière ville sur la fin de l'année 1590. Le P. Walter Pitts, qui étoit alors leur prieur, les conduisit à Anvers, puis à Malines, où ils prirent une maison pour s'établir en 1591. Ils se retirèrent à Nieuport au mois de Septembre de l'année 1626. La charte de leur établissement dans cette ville, donnée à Bruxelles par le roi Philippe IV, est du 20 Juin de la même année.

La P. Maurice Chauncey monrut le 12 Juillet 1581 dans la Chartreuse de Paris, à son retour d'Espagne, où il étoit allé pour procurer un établissement à sa communauté, qui étoit alors à Bruges. Son histoire du martyre des 18 Chartreux d'Angleterre fut imprimée pour la première fois à Mayence, en

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Le temps où Bruno devoit aller recevoir dans le ciel la récompense de ses vertus et de ses travaux étant arrivé, Dieu le visita par une maladie, sur la fin du mois de Septembre de l'année 1101. Lorsque le Saint s'aperçut qu'il touchoit à son dernier moment, il assembla sa communauté autour de son lit, et fit une espèce de confession publique de toute sa vie; il fit ensuite une profession de foi que ses disciples écrivirent, et qu'ils nous ont conservée. Elle est très-claire, sur-tout par rapport aux mystères de l'incarnation et de la Trinité; l'hérésie de Bérenger, qui depuis peu avoit causé de grands troubles dans l'église, y est expressément condamnée. Voici de quelle manière le Saint s'exprime sur l'eucharistie: « Je crois «< les sacremens que croit l'église, et en particu»lier que le pain et le vin consacrés sur l'autel, » sont le vrai corps de Notre-Seigneur Jésus» Christ, sa vraie chair et son vrai sang, que »> nous recevons pour la rémission de nos péchés, » et dans l'espérance de la vie éternelle (13). Cette doctrine à laquelle il étoit si fortement attaché, il l'avoit défendue avec solidité contre Bérenger dans ses commentaires sur saint Paul (14). Il rendit tranquillement l'esprit le 6 Octobre 1550. Nous avons cru que cette petite digression sur les Chartreux anglais ne déplairoit point au lecteur.

Jacques I, roi d'Ecosse, fonda en 1430, dans un des faubourgs de Perth, une grande Chartreuse appelée Vallay ou Maison des vertus. Speed dit que c'étoit la plus belle abbaye de toute l'Ecosse. Il ajoute que la populace, échauffée par les prédications de Jean Knox et de ses partisans, la démolit, et que cette destruction fut bientôt suivie de celle des monas tères de Saint-André, de Scone, de Striveling et Linlithgow. Voyez cet auteur, dans son Histoire d'Angleterre, p. 1137.

(13) Ap. Mabill. Analeet. t. IV, p. 400. (14) In 1. Cor. IX, p. 305, 306.

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