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christianisme. Mais les prières, les larmes et les mortifications que Louis Bertrand offrit pour leur conversion, leur obtinrent miséricorde, et ils recurent enfin l'évangile avec une grande docilité. Le Saint entreprit ensuite une mission chez les Caraïbes, qui passent pour le peuple le plus grossier et le plus barbare que l'on connoisse; il alla les chercher dans leurs forêts et sur leurs montagnes. La semence de la parole divine fructifia parmi eux, et il y en eut un grand nombre qui se convertirent. Les habitans des montagnes de Sainte-Marthe le reçurent comme un ange envoyé du ciel, et il en baptisa environ quinze cents. Un égal nombre d'Indiens de Paluato vinrent le trouver pour lui demander le baptême, qu'il leur administra après les avoir instruits avec ses compagnons. Il eut le même succès dans le pays de Montpaïa et dans l'île de Saint-Thomas. Tous les barbares, à la conversion desquels il travailla, attentèrent souvent à sa vie ; mais Dieu le délivra de tous les dangers auxquels il fut exposé.

L'avarice et la cruauté de plusieurs aventuriers espagnols, qui ne pouvoient que rendre le christianisme odieux à des peuples qui le connoissoient à peine, lui inspirèrent de vifs sentimens de douleur. Voyant qu'il ne pouvoit remédier aux maux sur lesquels il gémissoit, il résolut de retourner en Espagne, où ses supérieurs le rappelèrent vers le même temps. Il arriva à Seville en 1569, et prit la route de Valence. Ayant été élu successivement prieur de deux maisons de son ordre, il y fit revivre l'esprit primitif de la règle.

Aux dons surnaturels dont nous avons parlé, Louis Bertrand joignoit celui de prophétie. I

prédit que Jean Adorno, noble génois, deviendroit un grand serviteur de Dieu, et qu'il institueroit une nouvelle congrégation religieuse, ce qui fut vérifié dans l'institution de l'ordre des clercs réguliers, appelés Mineurs, qu'Adorno fonda dans la suite. Sainte Thérèse l'ayant consulté sur plusieurs difficultés, elle reçut de ses avis autant de lumières que de consolation. Il fit la réponse suivante à la lettre qu'elle lui avoit écrite au sujet de la réforme qu'elle projetoit d'établir parmi les Carmes. « Comme il s'agit » de la gloire de Dieu dans votre entreprise, j'ai pris quelque temps pour la lui recommander » dans mes foibles prières, et c'est ce qui m'a empêché de vous répondre plutôt. Vous devez prendre courage au nom du Seigneur, qui favo» risera votre entreprise. C'est de sa part que je » vous assure que votre réformation se fera dans » l'espace de cinq ans, et qu'elle deviendra un » des plus beaux ornemens de l'église.

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Louis Bertrand prêcha pendant douze ans avec autant de zèle que de fruit, dans plusieurs diocèses d'Espagne; il forma en même temps d'exellens prédicateurs qui lui succédèrent dans le ministère de la parole, et qui eurent le même succès: il leur recommandoit sur-tout l'humilité et l'amour de la prière. Les paroles, disoit-il, sans les œuvres, ne touchent ni ne changent les cœurs; il faut que l'esprit de prière les anime : c'est de là qu'elles tirent leur force et leur efficacité, autrement elles ne seront qu'un vain son. Quand un prédicateur ne sent rien, il ne remue point ces auditeurs, quoiqu'il flatte les oreilles par son éloquence. Ceux qui ne recherchent que les applaudissemens, révoltent par leur affectation ou par leur vanité ceux qui les écoutent; mais on

ne résiste guère au langage du cœur. On ne doit, ajoutoit-il, juger du fruit du sermon que par les larmes et le changement des auditeurs. On a réussi quand on a détruit les inimitiés, inspiré l'horreur du péché, ôté la cause des scandales, réformé les vices; encore faut-il dans ces occasions rapporter à Dieu seul le bien dont on a été l'instrument, et se regarder comme un serviteur inutile (6). Au reste, il ne recommandoit rien

(b) L'ordre des Dominicains en Espagne possédoit dans le même temps deux hommes célébres par leur zèle, leur savoir et leur expérience dans les voies intérieures de la piété, le P. Louis de Grenade, et le P. Barthélemi des Martyrs. Le premier, d'une famille pauvre, naquit à Grenade en 1505, et fut redevable de son éducation au marquis de Mondéjar. En 1524, il prit l'habit dans le couvent des Dominicains de la mème ville, qui avoit été fondé depuis peu par le roi Ferdinand. Le fervent novice ne se proposoit en tout que la gloire de Dieu. Il partageoit son temps entre la prière et les autres devoirs de son état. Par son recueillement et son attention à marcher en la présence de Dieu, il faisoit, pour ainsi dire, une prière continuelle de l'étude et des fonctions extérieures. Il parloit peu et méditoit beaucoup ; quoiqu'il lût tous les bons auteurs pour se composer un trésor de ce qu'il trouvoit de beau, de solide ou d'utile dans leurs ouvrages, il s'appliquoit principalement à digérer ses lectures, et à mettre dans ses idées de l'ordre, de la clarté et de la justesse. Son premier soin étoit de faire tout servir à la piété. Dans les excellentes méthodes d'étudier qu iltrace aux personnes religieuses, il dit avec amertume, que le moyen de s'instruire devient pour la plupart la perte de la dévotion. Semblables aux enfans mâles des israélites captifs en Egypte, qui n'étoient pas plutôt nés que Pharaon les faisoit précipiter dans le fleuve, les personnes dont il s'agit noient, pour ainsi dire, dans leurs études l'esprit de dévotion qu'ils commençoient à peine à concevoir. Ceux, dit-il, qui veulent prévenir un tel malheur, doivent se persuader fortement que de telles études font à l'ame une blessure dangereuse, qu'elles ne produisent que la science qui enfle; ils doivent de plus gémir continuellement sur la malheureuse nécessité où nous sommes d'avoir recours aux maîtres de ce monde pour acquérir des connoissances utiles, tandis que nous devrions écouter Dieu dans la méditation de sa divine parole; enfin il faut qu'ils se rappellent sans cesse l'obligation où nous sommes de nous dépouiller du vieil homme et de nous revêtir du nouveau; ce qui n'est pas l'ouvrage de

aux autres, qu'il ne le pratiquât le premier. On admiroit sur-tout son humilité au milieu des plus

peu de jours, mais d'une application constante et soutenue. Voyez le Traité de l'Oraison, par Grenade, part. 2, §. 8, C. 4.

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Le serviteur de Dieu passa plusieurs années dans la solitude, pour graver profondément dans son esprit et dans son cœur les grandes maximes du christianisme il fut ensuite chargé de les annoncer aux autres. Ses prédications produisirent des fruits incroyables, sur-tout à Grenade, à Valladolid, à Evora et à Lisbonne. Le cardinal Henri, infant de Portugal, archevêque d'Evora, le fit venir auprès de lui, lui donna la direction de sa conscience, et se conduisit par ses conseils dans les affaires les plus importantes. La reine Catherine, régente de Portugal, le choisit depuis pour son confesseur, l'admit dans son conseil, et l'obligea de résider à Lisbonne. On voulut inutilement l'élever aux dignités ecclésiastiques; il trouva le moyen de ne point accepter l'archevêché de Brague, ni le cardinalat. Il mourut le 31 Décembre 1588.

Son premier ouvrage fut son Traité de l'Oraison. Il y a peu de livres en ce genre qui soient aussi utiles. Il composa sa Guide des pécheurs en 1555, lorsqu'il étoit prieur de Badajoz. C'est le mieux écrit de tous ses ouvrages. Il a opéré une multitude innombrable de conversions: on y trouve les plus puissans motifs de s'attacher à Dieu, et de le servir avec ferveur. Louis de Grenade donna ensuite son Mémorial de la vie chrétienne, ses Méditations, et d'autres traités de piété. Sa Rhétorique ecclésiastique a pour objet de former de vrais prédicateurs. Son livre de la Conversion des Indiens apprend aux missionnaires comment ils doivent se conduire pour faire entrer les vérités chrétiennes dans l'esprit des infidèles : il veut que l'on commence par développer les préceptes moraux, et que l'on explique ensuite les motifs de crédibilité.

Les ouvrages de Louis de Grenade ont été traduits en toutes les langues, même en celles des Indes orientales et occidentales. Le pape Grégoire XIII a donné un bref pour en recommander la lecture. Saint François de Sales, l. 1, ep. 34, conseille à tous les ecclésiastiques de se le procurer, de s'en faire comme un second bréviaire, d'en lire et d'en méditer tous les jours quelque chose, en commençant par la guide des pécheurs, qui sera suivie du mémorial, et des autres traités successivement. C'étoit, dit-il, la pratique de saint Charles Borromée, qui ne prêchoit point d'autre théologie que celle de Louis de Grenade, et qui préféroit les ouvrages de ce grand homme à tous ceux du même genre, comme il l'assure dans une lettre au pape Pie IV. Voyez le père Touron, Hommes illustres, t. IV, p. 558; Echard, Bibl. Script. Ord. S. Domin. t. II, p. 288, et la Vie de Louis de

grands honneurs. Il se préservoit du venin de la vaine gloire par la pensée des jugemens de Dieu.

Grenade, qui est à la tête de l'édition latine de ses œuvres en trois gros volumes in-fol. Le premier contient le grand et le petit catéchisme, la méthode de catéchiser les Indiens, la rhétorique ecclésiastique, etc. On trouve dans le second, les sermons et divers traités de morale. Le troisième contient la guide des pécheurs, le traité de l'oraison, celui de l'Eucharistie, le mémorial de la vie chrétienne, la discipline de la vie spirituelle, les traités de l'incarnation et des scrupules, la vie du vénérable Jean d'Avila, qui avoit été quelque temps le maitre spirituel de L'auteur. Girard a traduit en français les ouvrages de Grenade. On préfère l'édition en 10 vol. in-8.

Barthélemi des Martyrs fut ainsi surnommé de l'église dans laquelle il reçut le baptême. Il naquit à Lisbonne en 1514: ses parens étoient recommandables par leur piété, et par leur charité pour les pauvres. Leur économie leur fournissoit un fonds toujours subsistant pour soulager les malheureux, quoique leur fortune fût médiocre. Barthélemi, dès son enfance devint le dépositaire des bonnes œuvres de sa mère; c'étoit lui qui portoit les aumônes qu'elle envoyoit secrètement, surtout aux familles que des accidens avoient précipitées de l'opulence dans la misère. A l'âge de quinze ans et demi, il - fit ses voeux chez les Dominicains de Lisbonne. Il n'avoit d'autre volonté que celle de ses supérieurs, et l'esprit de prière lui mérita l'acquisition de toutes les vertus de son état. Il se fit une si grande réputation de science et de piété, que les seigneurs les plus qualifiés de la cour de Portugal s'empressoient de le connoître, et de se lier avec lui. Dans les emplois qu'il exerça, il sut toujours marcher en la présence de Dieu, pratique qu'il avoit soin d'inculquer à ceux qui se mettoient sous sa conduite. Il disoit des vertus extérieures qu'elles avoient leur principe dans les affections de l'ame, et que si celles-ci étoient bien réglées, l'extérieur le seroit aussi. Son désintéressement, son mépris pour le monde, son zèle pour le salut des ames le disposèrent aux plus pénibles fonctions de la vie apostolique.

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En 1558, on l'éleva, malgré lui, sur le siége épiscopal de Brague, le premier du royaume de Portugal. La crainte dont il fut saisi, et la violence qu'il se fit, lui causèrent une maladie dangereuse. La vie pauvre et austère qu'il mena, la sage distribution de son temps, le bon ordre de sa maison, conduite modeste et édifiante de tous ceux qui composoient son domestique, ses abondantes aumônes, son zèle pour la sanctification de son diocèse, lui attirèrent une admiration universelle. Il parut avec éclat au concile de Trente; il combattit ceux qui, par un respect mal entendu, ne vouloient point qu'on fît de règlemens pour la réformation des cardi

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