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> moment, afin qu'à ma mort je puisse vivre en » Dieu ?» Ensuite il pria le ciel de le tirer de l'abîme de ses misères, de l'éclairer, de le fortifier par sa grâce, et de lui faire constamment aimer un maître dont rien ne pourroit jamais le détacher.

Le lendemain, étant allé au service de l'impératrice, il entendit son éloge funèbre. Le prédicateur, qui étoit le célèbre Jean d'Avila, peignit avec autant d'onction que d'énergie la vanité des biens du monde, et le néant des grandeurs humaines qui nous échappent à la mort; il s'étendit ensuite sur les suites formidables de la mort ; et fit sentir toute la folie de ceux qui n'emploient point une vie passagère à s'assurer ce qui est pour eux d'une conséquence infinie. Ce discours acheva la conversion du marquis de Lombay, et le jour même il envoya chercher Jean d'Avila, pour lui découvrir le fond de son ame, et le désir qu'il avoit de quitter le monde pour tonjours. Le serviteur de Dieu le confirma dans la résolution où il étoit de renoncer au séjour de la cour, pour se livrer à la piété avec plus de ferveur. François ne balança plus de faire ce que la grâce lui inspiroit, et peu de temps après, il s'engagea, par vou, à entrer dans quelque ordre religieux, s'il survivoit à sa femme.

Mais l'empereur, loin de consentir à sa retraite, le fit vice-roi de Catalogne, et le créa chevalier et commandeur de l'ordre de Saint-Jacques, le plus honorable des ordres militaires d'Espagne. Le vice-roi faisoit ordinairement sa résidence à Barcelone. A peine François y fut-il arrivé, que toute la province prit une face nouvelle. Les grands chemins ne furent plus infectés par les bandits; le vice-roi marcha lui-même contre

eux; il fit punir les plus coupables selon la rigueur des lois; mais il leur procura en même temps tous les secours spirituels, afin qu'ils pussent mourir saintement. Il veilloit sur la conduite des magistrats, et réprimoit, autant qu'il étoit en lui, tous les abus inventés par la chicane pour rendre les procès interminables. Les écoles publiques furent plus fréquentées, et la jeunesse mieux instruite. Des aumônes abondantes soulagèrent les malheureux, et mirent les pauvres débiteurs en état de payer leurs dettes mais quelque temps que lui emportassent les fonctions de sa place, ses exercices de piété n'en souffroient jamais. Il donnoit tous les matins quatre à cinq heures à la prière ou à la méditation. Chaque jour il récitoit l'office divin, et chaque heure étoit suivie d'une méditation sur quelque point de la passion. Il récitoit aussi le rosaire tous les jours, et méditoit sur les vertus et les principaux mystères de la vie de la sainte Vierge. Dans le temps où il donnoit audience, et où il s'appliquoit aux affaires, Dieu étoit toujours présent à son esprit. Quand sa dignité l'obligeoit de se trouver à quelque cérémonie publique, il en étoit si peu frappé, qu'il ne savoit souvent ce qu'on y avoit dit ou ce qu'on y avoit fait. Il avoit une si grande tendresse de dévotion, que ses yeux se remplissoient fréquemment de larmes malgré lui, même au milieu des fonctions extérieures de sa place. «Qui pourra, disoit-il souvent à Dieu, amollir » la dureté de mon cœur? Il est plus dur que la » pierre et le diamant; il ne sera amolli que par » vous, ô Dieu des miséricordes, vous qui pouvez faire couler d'un rocher des sources d'eau vive, » et changer les pierres en enfans d'Abraham! >> Ses austérités étoient incroyables. Il se priva du

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souper pour toujours, afin d'avoir plus de temps pour la prière. Après avoir passé deux carêmes sans autre nourriture qu'un plat de légumes et un verre d'eau qu'il prenoit chaque jour, il forma le projet de jeûner de la sorte pendant toute l'année. Ce n'étoit pas que sa table ne fût servie d'une manière convenable à son rang; il intéressoit ses convives par une conversation fort agréable, afin que personne ne l'observât, et il détournoit, autant qu'il lui étoit possible, le discours sur des objets de piété. Un genre de vie aussi austère le rendit excessivement maigre dans l'espace d'un an. Il n'avoit en vue que l'éternité; il ne cherchoit qu'à plaire à Dieu, sans s'inquiéter du jugement qu'on porteroit de ses actions. Il s'appliquoit sans cesse à mourir au monde par la pratique des humiliations et du mépris de lui-même. Jusqu'à son entière conversion, il n'avoit communié qu'une fois par mois; mais lorsqu'il se fut donné à Dieu sans réserve, il contracta la sainte habitude de se confesser toutes les semaines, et de communier les grandes fêtes en public, et les dimanches en particulier. Il aimoit à comparer la différence infinie qu'il y a entre les folles joies du monde, et les délices que l'on goûte dans les communications du Saint-Esprit ; et on l'entendoit quelquefois s'écrier: «O vie de misères et d'aveuglement ! » comment se peut-il faire que nous connoissions >> assez peu notre propre bonheur, que nous » soyons assez ennemis de nous-mêmes, pour sa» crifier à des plaisirs frivoles une félicité pure, » solide et permanente ! »

Pendant que le pieux vice-roi menoit le genre de vie dont nous venons de parler, le P. François Araoz, le premier profès de la compagnie de Jésus, après les dix qui l'avoient d'abord formée, vint

prêcher à Barcelone: par-là, le Saint fut à portée de connoître le nouvel institut. Frappé de tout ce qu'o

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'on lui avoit dit des vertus et des lumières du fondateur des Jésuites, il lui écrivit pour le consulter sur ses communions, parce que plusieurs docteurs espagnols prétendoient qu'on ne devoit point permettre aux personnes engagées dans le monde de communier si fréquemment. Saint Ignace, qui étoit alors à Rome, lui répondit que la fréquente communion étoit le moyen le plus efficace de purifier l'ame de ces fautes qui sont une suite de la fragilité humaine, et de parvenir à la perfection; mais il ajouta en même temps qu'il ne pouvoit donner des règles absolues à cet égard; que chacun devoit se conduire d'après ses dispostions particulières, et suivre en cela les conseils d'un directeur pieux et éclairé. Le viceroi continua de communier toutes les semaines, observant d'employer les trois jours précédens à produire des actes d'amour et de désir de s'unir à Jésus-Christ; et les trois jours suivans, en actions de grâces. Depuis ce temps-là, il ne cessa presque plus de confier aux Jésuites la direction de sa conscience, et il mit tout en œuvre pour étendre leur institut, qui venoit d'être approuvé par le pape Paul III.

Sur ces entrefaites, la mort lui enleva le duc de Gandie, son père. C'étoit un seigneur d'une vertu éminente. Les pauvres le pleurèrent comme leur père. Lorsqu'on lui faisoit des représentations sur l'abondance de ses aumônes, il répondoit « Si j'avois dépensé pour mes plaisirs » une somme encore plus considérable, personne > n'y trouveroit à redire; mais j'aime mieux que l'on

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me blâme, et me priver même du nécessaire, que › de laisser dans la misère les membres souffrans J de Jésus-Christ. >

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François ressentit une vive douleur de la mort de son père; mais il profita de cette occasion pour demander à l'empereur la permission de quitter son gouvernement. Le prince ne la lui accorda qu'à condition qu'il reviendroit à la cour, et qu'il accep teroit la place de grand maître de la maison de l'infante Marie de Portugal, qui étoit sur le point d'épouser Philippe, son fils. Le mariage n'ayant point eu lieu, parce que la princesse mourut peu de temps après, il eut une entière liberté de suivre son inclination pour la retraite. Il se rendit donc à Gandie en 1543. Son premier soin fut de fortifier cette ville pour la mettre à l'abri des incursions des corsaires d'Afrique. Il répara l'hôpital de Lombay, et y fonda un couvent de Dominicains.

La duchesse Eléonore, qui partageoit toutes ses bonnes œuvres, fut alors attaquée de la maladie dont elle mourut. François, qui lui étoit tendrément attaché, n'omit rien pour obtenir sa guérison: il redoubla ses jeûnes, ses prières et ses aumônes. Un jour que, prosterné dans sa chambre, il prioit pour elle avec beaucoup de ferveur, il entendit comme une voix au-dedans de luimême, qui lui disoit : « Si vous voulez que je » laisse plus long-temps votre femme en cette vie, » elle guérira; mais je vous avertis que ce ne sera » ni votre avantage, ni le sien. » Il fut toujours persuadé depuis que cette voix avoit été un avertissement du ciel. Frappé de ce qui se passoit rempli de confusion, et brûlant 'our pour Dieu, il fondit en larmes, et s'écria : « Qui êtes» vous, ô mon Dieu! et qui suis-je, pour que ma » volonté se fasse plutôt que la vôtre ? Qui sait >> mieux que vous ce qui m'est convenable, et » qu'ai-je à désirer hors de vous ? » Il offrit en même temps à Dieu la vie de la duchesse, la

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