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tions contre les Jésuites. Charles en vint jusqu'à lui dire qu'il étoit étonné qu'il eût préféré leur société à tant d'ordres aussi anciens que respectables. Le Saint lui répondit qu'il avoit fait ce choix, parce qu'il s'étoit senti appelé de Dieu à un état où l'on pût joindre ensemble les fonctions de la vie active et de la vie contemplative; qu'un autre motif de son choix avoit été le désir d'éviter le danger qui accompagne les dignités ecclésiastiques. Il réfuta ensuite les raisons alléguées contre le nouvel institut par les ennemis de la société. Le prince, satisfait de ses réponses, quitta ses préventions, et rendit justice à des religieux qu'il avoit mal connus. Le Saint, après avoir passé trois jours avec l'empereur, continua la visite des colléges et des maisons nouvellement fondées en Espagne pour son ordre.

La société fit une grande perte dans la personne de Juan III, roi de Portugal, qui mourut d'apoplexie en 1557. Ce prince avoit succédé en 1521 à Emmanuel le Grand, son père. Il montra, pendant un règne de trente-six ans, beaucoup de zèle pour la propagation de la foi en Asie et en Afrique, et il fonda un grand nombre de colléges et de monastères. Après sa mort, la couronne de Portugal passa à Sébastien son petitfils, qui n'étoit âgé que de trois ans, et qui n'avoit déjà plus ni son père, ni sa mère. La reine Catherine son aïeule fut déclarée régente du royaume. François écrivit à cette princesse pour la consoler, et pour l'exhorter à se soumettre avec résignation à la volonté divine, et à se proposer uniquement de faire de nouveaux progrès dans la vertu. Quelque temps après, l'empereur le chargea d'aller trouver la même princesse de sa part, pour lui témoigner combien il étoit sen

sible à sa douleur, et pour traiter avec elle de certaines affaires de grande importance. Il resta long-temps en Portugal, parce que la régente eut une maladie dangereuse, et il ne put revenir en Espagne que sur la fin de l'année. À son arrivée, il alla trouver l'empereur pour l'informer du résultat de sa commission. Il avoit à peine quitté ce prince, qu'il l'envoya chercher, afin de s'entretenir avec lui sur diverses matières de piété. Il lui avoua que depuis l'âge de vingt-un ans, il n'avoit passé aucun jour sans faire l'oraison mentale. Il lui demanda entre autres choses, s'il croyoit qu'il se fût rendu coupable de vanité en écrivant lui-même plusieurs actions de sa vie; ce qu'il avoit fait non dans la vue de s'attirer des applaudissemens des hommes, mais de venger les droits de la vérité que plusieurs historiens avoient violés. Quoiqu'on ignore ce que répondit François, on ne peut douter que sa réponse n'ait été celle d'un Saint. Il quitta Charles-Quint pour aller à Valladolid mais il apprit la nouvelle de sa mort quelque temps après. Ce prince reçut les sacremens de l'église avec beaucoup d'édification avant sa mort, qui arriva le 21 Septembre 1558. Le Saint prononça son oraison funèbre à Valladolid, et insista particulièrement sur le bonheur qu'il avoit eu de quitter le monde, afin de remporter une victoire complète sur lui-même.

Ce fut sur-tout par son humilité que François de Borgia se rendit admirable. Il recherchoit avec une sainte avidité les occasions de pratiquer cette vertu; le P. Bustamance le voyant affligé, et même rempli d'une confusion extraordinaire au milieu des honneurs qu'on lui rendoit à Valladolid, lui en demanda la raison. « Je considérois, dit-il, dans mon » oraison de ce matin, que j'ai mérité l'enfer, et je

>> m'imagine que les hommes et les autres créatures >> me crient : L'enfer est ta place; l'enfer doit être » le partage de ton ame. » Frappé de cette pen

sée, il s'humilia profondément, et se porta vers Dieu par une tendre confiance en sa miséricorde. Après avoir médité sur les actions de Jésus-Christ, il se mit en esprit, pendant six ans, aux pieds de Judas; mais venant ensuite à considérer que le Sauveur avoit Javé les pieds de ce traître ; il n'osoit plus en approcher; il se jugea dès-lors indigne d'occuper une place dans le monde, et se crut inférieur à toutes les créatures. Lorsqu'on lui donnoit des louanges ou des applaudissemens, il se rappeloit le compte que chacun doit rendre à Dieu, qui est la sainteté même, et qui ne trouvera peut-être qu'hypocrisie dans les vertus les plus brillantes aux yeux des hommes. Il conjura D. Philippe, pendant qu'il étoit régent d'Espagne, de ne l'élever à aucune dignité ecclésiastique. Vous ne pouvez, lui disoit-il, m'accorder une plus grande faveur. D'autres auront assez d'humilité pour se sanctifier dans les grandes places, qui ont pour objet l'établissement de la subordination dans le monde; mais pour moi, je ne suis point capable d'un tel effort; je dois renoncer au monde, et je ne ferai mon salut que dans l'état d'un pauvre religieux. Son plus grand plaisir étoit d'instruire les pauvres dans les lieux où il étoit inconnu. Par-tout il cherchoit à exercer les emplois que les hommes jugent les plus humilians. Tandis qu'il étoit occupé à fonder une maison de son ordre à Porto, il apprit que l'inquisition avoit défendu la lecture de quelques-uns des traités qu'il avoit composés étant encore duc de Gandie, et cela sous prétexte qu'il y avoit des erreurs. Quoique l'accusation fût mal fondée, il garda un

modeste silence, ce qui enhardit encore ses ennemis; mais on examina ses ouvrages, et la doctrine qu'ils contenoient fut trouvée orthodoxe. On voulut encore lui faire un crime de son ancienne liaison avec Barthélemi Caranza. C'étoit un savant Dominicain, qui fut fait archevêque de Tolède, et que des ennemis puissans firent mettre dans les prisons de l'inquisition. Ce prélat cependant triompha de la calomnie; le pape se déclara en sa faveur, et il mourut tranquillement à Rome. Les adversaires de la société lui causèrent plusieurs autres mortifications en Espagne; mais il sut, avec l'aide du pieux Louis de Grenade, rendre leurs efforts impuissans. Le haut degré de perfection où il porta l'humilité, peut servir à donner une juste idée de ses autres vertus.

Personne ne porta plus loin que lui l'amour de la pauvreté. Cette vertu paroissoit dans toutes ses actions; il évitoit de se mêler de toute affaire où il s'agissoit d'argent, et il s'estima heureux de ce qu'on ne lui avoit jamais donné dans son ordre aucun de ces emplois qui ont le temporel pour objet. Il se servoit toujours du même habit, et le portoit jusqu'à ce qu'il fût entièrement usé. La chambre la plus pauvre et la plus incommode étoit celle qu'il recherchoit par préférence. La sœur de l'ambassadeur d'Espagne à Rome lui ayant dit un jour à table, qu'il seroit bien malheureux si, après avoir échangé ses richesses contre la pauvreté, il ne gagnoit pas le ciel à la fin : « Oui, lui répondit-il, je serois bien » malheureux; mais quant à l'échange, j'y ai » déjà beaucoup gagné. »

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Son obéissance pour ses supérieurs étoit extraordinaire. Il regardoit le moindre signe de leur volonté comme la voix du ciel. Losqu'on lui Tome IX. X

apportoit en Espagne des lettres de saint Ignace, il les recevoit à genoux; et avant de les ouvrir, il demandoit à Dieu la grâce d'exécuter ponctuellement ce qu'elles contenoient. Pendant tout le temps qu'il fut obligé d'obéir à un frère dans toutes les choses qui concernoient sa santé et sa nourriture, il ne mangeoit ni ne buvoit que par son ordre. « Trois choses, avoit-il coutume de dire, > soutiendront et feront fleurir la société pour la » gloire de Dieu : 1.° l'esprit de prière et l'usage fréquent des sacremens; 2.° l'opposition du » monde et les persécutions; 3.o la pratique de » la parfaite obéissance. »

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François appeloit la pénitence le grand chemin du ciel. Il trembloit de paroître devant le tribunal de Jésus-Christ, avant de s'être rendu digne du bonheur de le posséder de là, ces prières continuelles, accompagnées de larmes, pour obtenir la grâce du salut. Il faisoit usage de divers instrumens de pénitence dont il déroboit la vue, et qui n'étoient connus que de Dieu. Il imaginoit mille pieux artifices pour faire souffrir son corps. Le cuisinier ayant mis, par mégarde, de l'absinthe dans son bouillon, il le prit sans se plaindre; et comme on lui demandoit ce qu'il en pensoit, il répondit qu'il n'avoit jamais rien pris de meilleur pour lui. On ne se fut pas plutôt aperçu de la méprise, que le cuisinier confus vint le prier de lui pardonner sa faute. «Que Dieu vous en récompense, lui >> dit le Saint; vous êtes le seul de tous les » frères qui sachiez ce qui me convient. » Un jour qu'il entendoit la comtesse de Lerma, sa fille, se plaindre d'une maladie, il lui dit : « Dieu envoie

des peines à ceux qui ne veulent point les sup»porter, et il les refuse à ceux qui désirent de

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