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pratiques infernales de la magie avoient rendus fameux. Lorsqu'il eut fini ses courses, il s'abandonna à toutes sortes de crimes, et il se mit à blasphémer contre la religion chrétienne. Il égorgea plusieurs enfans pour offrir leur sang au démon, et chercher dans leurs entrailles palpitantes la connoissance de l'avenir. Il employoit la science funeste qu'il avoit acquise à séduire les vierges; mais il ne put venir à bout de ravir l'honneur des femmes chrétiennes.

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Il y avoit à Antioche une jeune vierge nommée Justine, que sa naissance et sa beauté rendoient recommandable. Ses parens étoient idolâtres; mais elle avoit eu le bonheur de connoître Jésus-Christ. Sa conversion fut suivie de celle de sa famille. Un jeune homme, païen de religion, conçut pour elle une violente passion. Les efforts qu'il fit pour toucher son cœur ayant été inutiles, il pria Cyprien de le servir par son art. Celui-ci partagea bientôt la passion du jeune homme, et mit tout en œuvre dans le dessein de réussir pour lui-même. Justine, qui se voyoit fortement attaquée, joignit la prière à la vigilance et à la mortification. «< Avec le D signe de la croix, dit Photius d'après Eudo» cie (1), elle mit les démons en fuite. Elle » s'arma, dit saint Cyprien lui-même daùs sa » confession (2), du signe de Jésus-Christ., et >> rendit inutile l'invocation des esprits de ténèbres. » S'étant adressée, selon saint Grégoire de >> Nazianze, à la vierge Marie, pour la conjurer > de venir au secours d'une vierge en danger, elle » se fortifia par l'antidote du jeûne, des larmes » de la prière. »

Cyprien, se voyant vaincu par un pouvoir supérieur, commença à réfléchir sur la foiblesse (1) Cod, 184. (2) P. 310.

des esprits infernaux ; bientôt il résolut de quitter leur service. Le démon, furieux de la perte d'un homme par le moyen duquel il avoit assu- jetti un si grand nombre d'ames à son empire, attaqua Cyprien de toutes ses forces. Le nouveau converti résista courageusement; mais il tomba dans une profonde mélancolie, et le souvenir de ses crimes passés le jeta dans le désespoir. Tandis qu'il étoit agité par les pensées les plus affligeantes, Dieu lui inspira de s'adresser au saint prêtre Eusèbe, qu'il connoissoit depuis longtemps. Il ne lui eut pas plutôt communiqué ses peines, qu'il se sentit extrêmement consolé. Il y avoit trois jours qu'il étoit dans cet état violent, sans qu'il lui eût été possible de manger. Eusèbe lui fit prendre un peu de nourriture, et le matin du dimanche suivant, il le conduisit à l'assemblée des fidèles. On y admettoit les personnes qui demandoient à se faire instruire; mais on les obligeoit de sortir pendant la célébration des saints mystères. Ces assemblées se tenoient de grand matin, tant pour vaquer plus librement à la prière, que pour ne point donner ombrage aux païens. La vue du respect et de la piété dont étoient pénétrés les fidèles en adorant le vrai Dieu, frappa singulièrement Cyprien. « Je vis, dit-il lui-même, » (3), le chœur des hommes célestes ou des >> anges qui chantoient les louanges de Dieu >> et terminoient chaque verset des psaumes par >> le mot hébreu alleluia; en sorte qu'ils ne me » paroissoient plus être des hommes (a). ›

(3) Cod. p. 329.

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On lit ce qui suit dans l'Essai sur les écrits et le génie de Pope (p. 325) par Warthon, qui avoit voyagé en France: il y a, je crois, peu de personnes qui, en assistant à la » messe dans un chœur bien ordonné, n'aient pas éprouvé » de vifs sentimens, sinon de dévotion, au moins de respect..

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Ceux qui étoient à l'assemblée furent fort étonnés de voir un prêtre introduire Cyprien parmi eux : l'évêque qui y présidoit pouvoit à peine en croire ses yeux, ou du moins il ne s'imaginoit pas que la conversion de celui qui causoit sa surprise fût sincère; mais Cyprien dissipa ses doutes le lendemain, en brûlant devant lui tous ses livres de magie, en donnant tous ses biens aux pauvres, et en se mettant au nombre des catéchumènes. Lorsqu'il eut été instruit, et suffisamment disposé, l'évêque lui-même le baptisa. Agladius, l'amant de Justine, se convertit de la même manière, et reçut aussi le baptême. Quant à Justine, elle fut si touchée de ces deux exemples de la miséricorde divine, qu'elle se coupa les cheveux en signe du sacrifice qu'elle faisoit à Dieu de sa virginité, et distribua aux pauvres tout ce qu'elle possédoit.

Saint Grégoire de Nazianze décrit, avec son élégance ordinaire, le merveilleux changement qui s'opéra en Cyprien, sa conduite édifiante, son humilité, sa modestie, sa gravité, son amour pour Dieu, son mépris pour les richesses, son application continuelle aux choses divines; il ajoute qu'il demanda par humilité un des plus bas emplois de l'église. Eudocie, citée par Photius, dit qu'il fut fait portier; mais que quelque temps après on l'ordonna prêtre, et qu'il remplit ensuite le siége épiscopal d'Antioche, devenu vacant par la mort d'Anthime.

La persécution de Dioclétien s'étant allumée,

» Le lord Bolinbroke étant à la messe dans la chapelle de » Versailles, dit au marquis de... qui étoit avec lui, lorsqu'on en fut à l'élévation de l'hostie : Si j'étois roi de » France je voudrois faire moi-même cette cérémonie. » Voilà le langage des ennemis de l'église romaine? On peut voir aussi Taylor, etc.

Cyprien fut arrêté et conduit devant le gouverneur de Phénicie, qui faisoit sa résidence à Tyr. Justine éprouva un pareil sort à Damas où elle s'étoit retirée, et qui se trouvoit dans le resssort du même présidial; on la fit donc également paroître devant le gouverneur de Phénicie. Sa constance lui attira une flagellation cruelle. Cyprien fut déchiré avec des ongles de fer. On les con- duisit ensuite l'un et l'autre chargés de chaînes, à Nicomédie, où étoit Dioclétien. Ce prince n'eut pas plutôt lu la lettre du gouverneur de Phénicie, qu'il les condamna tous deux à être décapités. La sentence fut exécutée sur les bords du fleuve Gallus, qui passe auprès de Nicomédie, vers l'an 504. Un chrétien nommé Théoctiste fut aussi décapité pour avoir parlé à Cyprien lorsqu'il alloit au lieu du supplice. Quelques fidèles de Rome portèrent dans cette ville les reliques des saints martyrs. Sous le règne de Constantinle-Grand, une femme pieuse de la famille de Claude, qui se nommoit Rufine, fit bâtir une église, sous leur invocation, près de la place qui porte le nom de ce prince. Leurs sacrés ossemens ont été transférés depuis dans la basilique de Latran.

En même temps que les erreurs et les égaremens de saint Cyprien montrent la dégradation de la nature humaine, devenue esclave du vice par le péché, sa conversion fait éclater le pouvoir qu'a la grâce de la rétablir dans l'état dont elle est déchue. Pour comprendre jusqu'à quel point l'image de Dieu est défigurée dans l'homme par le péché, il suffit de considérer le désordre qui règne dans ses facultés spirituelles, son entendement et sa volonté, qui, dans la création, portoient l'empreinte de la ressemblance divine. Il

n'a pas seulement à se plaindre de la révolte des animaux et des autres créatures, ainsi que de celle de son corps qui est livré en proie aux maladies et à la mort, sa volonté est aussi rebelle, et ses passions s'efforcent d'usurper l'empire sur la raison et la vertu. L'entendement, qui devoit être l'œil de la volonté, est aveugle lui-même; en sorte que la lumière qui est en nous est devenue ténèbres. Dans l'état d'innocence, l'entendement n'étoit point obscurci par les vapeurs des passions; il dirigeoit l'imagination et les sens; il mettoit l'ame à portée de voir clairement et sans effort les vérités spéculatives de l'ordre naturel qui convenoient à la condition humaine: mais son plus beau privilége étoit de donner à l'homme. des idées fixes et vraies des vertus morales; parlà chacun avoit la loi en lui-même, et il suffisoit de descendre dans sa propre conscience pour être guidé sûrement dans la pratique du bien, que le secours de la grâce rendoit toujours facile. Son entendement étoit d'abord éclairé par la révélation divine, et sa volonté ne trouvoit point d'obstacle dans l'exercice des vertus théologales, et des autres vertus surnaturelles. De quels maux sa désobéissance n'a-t-elle pas été suivie ? Nous les déplorons dans les extravagances, les erreurs et les crimes où tombent les hommes, lorsqu'une fois ils sont esclaves de leurs passions. Il n'y a que la religion et la foi qui puissent nous préserver de ces dangers, éclairer notre entendement, et guérir notre volonté de sa perversité.

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