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dre possession du comté, l'aimèrent et l'honorèrent toujours depuis comme leur père. Elzéar fit connoître lui-même le motif de cette patience admirable avec laquelle il souffroit les injures et les affronts. «Quand je reçois quelque affront, disoit

il, ou que je sens quelque mouvement d'impa» tience s'élever dans mon cœur, je tourne >> toutes mes pensées vers Jésus crucifié, et je me » dis à moi-même: Puis-je comparer ce que je » souffre avec ce que Jésus-Christ a daigné souf» frir pour moi?» Ce n'étoit donc point par défaut de courage, mais par grandeur d'ame, et par une générosité vraiment chrétienne, qu'il agissoit de la sorte. Rapportons un autre exemple de son zèle à pardonner à ses ennemis. En parcourant différens papiers, il trouva des lettres d'un officier qui servoit sous lui. Elles étoient adressées à son père. Elzéar y étoit traité de la manière la plus indigne. L'officier tâchoit d'y persuader au père de déshériter son fils, sous prétexte qu'il étoit plus propre à faire un moine qu'un guerrier. Delphine ne pouvant retenir son indignation, dit à son mari qu'il ne devoit point souffrir impunément une pareйle conduite de la part d'un homme qui cachoit la noirceur de son ame sous des dehors affectés d'attachement : mais il lui répondit Jésus-Christ défend la vengeance; qu'il commande de pardonner les injures; qu'il veut qu'on oppose la charité à la haine, et conséquemment que son dessein étoit de brûler les lettres dont

que

s'agit, et de n'en faire jamais aucun usage. Il brûla également dans d'autres circonstances des informations qu'on lui avoit données touchant certaines injures qu'il avoit reçues, afin d'épargner aux coupables la confusion de savoir qu'il étoit instruit de ce qui s'étoit passé.

Il prit de sages mesures pour bien faire administrer la justice dans le comté d'Arian les officiers coupables de malversation étoient rigoureusement punis. Lorsque les malfaiteurs étoient condamnés à mort, il alloit les visiter, et il réussit plus d'une fois à faire entrer dans de vifs ́sentimens de pénitence tous ceux qui avoient été sourds aux exhortations des prêtres chargés de les disposer à mourir chrétiennement. Quand leurs biens avoient été confisqués, il les rendoit secrètement à leurs femmes et à leurs enfans. Dans une lettre qu'il écrivoit d'Italie à sainte Delphine, il lui disoit : « Vous désirez apprendre souvent de mes nouvelles. Allez souvent visiter » Jésus-Christ dans le saint Sacrement. Entrez » en esprit dans son cœur sacré. Vous savez que » c'est là ma demeure ordinaire ; vous êtes sûre de m'y trouver toujours. »>

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Elzéar, après avoir été retenu cinq ans en Italie, obtint du roi Robert, frère de saint Louis, évêque de Toulouse, la permission de retourner en Provence. Il fut reçu à Ansois avec la plus grande joie. Peu de temps après, il fit solennellement le vœu de chasteté absolue avec sainte Delphine. La conduite de l'un et de l'autre offroit le spectacle le plus édifiant. Ils vivoient dans la retraite au milieu des grandeurs humaines; ils savoient allier la contemplation aux embarras du monde ; ils trouvoient dans l'union conjugale des motifs de s'exciter mutuellement à la piété et à la pratique des bonnes œuvres. Cette sainte émulation dans le service de Dieu leur faisoit goûter une joie pure, une tranquillité parfaite, et des consolations ineffables. Le jour même où ils firent vœu de chasteté, ils entrèrent dans le tiers-ordre de saint François. Les personnes reçues dans cet

ordre s'engageoient à porter une partie de l'habit des Franciscains sous leurs vêtemens ordinaires, et à réciter certaines prières tous les jours, sans toutefois que ces différentes pratiques obligeassent sous peine de péché.

Elzéar, deux ans après son retour en Provence, fut rappelé en Italie par le Roi Robert. Ce prince le créa chevalier d'honneur, titre dont il savoit qu'il s'étoit rendu digne par des actions qui annonçoient en lui autant de sagesse que de bravoure à la guerre. Le Saint, suivant la coutume qui s'observoit alors, passa la nuit en prières dans l'église pour se préparer à la cérémonie de sa réception. Il se confessa, et communia le lendemain matin (c). Le roi ne put retenir ses larmes à la vue du recueillement et de la piété qu'il faisoit paroître. Toute la cour fut également édifiée de voir un jeune seigneur réunir les plus grandes qualités aux plus éminentes vertus du christianisme.

Robert, qui prenoit le plus vif intérêt à l'éducation de Charles son fils, duc de Calabre, crut que personne n'étoit plus propre qu'Elzéar à seconder ses vues; il le choisit donc pour être gouverneur du jeune prince, qui avoit d'heureuses dispositions, mais qui étoit d'un caractère fier et intraitable. Elzéar dissimula d'abord les défauts de son élève, pensant qu'il devoit s'appliquer d'abord à bien connoître la trempe de son ame, et à gagner sa confiance. Lorsque le temps fut arrivé, il l'avertit avec douceur de ce qu'il y avoit en lui de défectueux, et lui fit sentir l'obligation où il étoit d'acquérir les vertus

(a) Cette pieuse préparation avoit lieu non-seulement pour la réception des chevaliers; mais encore lorsqu'on s'enrôloit dans les armées. Voyez Ingulphe, Hist. de Croyland.

qu'exigeoient son auguste naissance et sa qualité de chrétien. Le jeune prince, vivement touché de ses discours, lui dit en se jetant à son cou: <<< Il est encore temps de commencer; dites-moi » ce que je dois faire. » Elzéar prit de là occasion d'entrer dans le détail des vertus qui lui étoient nécessaires; il lui représenta qu'un prince qui craint Dieu est toujours certain d'avoir un protecteur dans le ciel, quelque chose qu'il puisse arriver sur la terre; mais que celui qui perd le Seigneur de vue, et qui ne le consulte point dans ses entreprises, sera privé de la satisfaction de voir réussir ses projets. « Il n'y a, disoit-il, » qu'une piété solide qui puisse vous prémunir >> contre les dangers auxquels vous serez exposé » de la part des flatteurs, de l'orgueil et des >> autres passions. Approchez des sacremens de pénitence et de l'eucharistie aux principales >> fêtes. Aimez les pauvres, et Dieu multipliera » ses faveurs sur votre maison. Ne dites rien lorsque vous êtes en colère, autrement vous » vous perdrez vous-même. Plus de princes ont » péri par leur langue et par la colère, que » par le tranchant de l'épée. .. Vous devez » haïr les flatteurs comme le plus grand des » maux; si vous ne les chassez d'auprès de vous, >> ils causeront votre perte. Honorez les gens de » bien, et les pasteurs de l'église; une telle con» duite fera votre principale grandeur, etc. » Le Saint, par ses soins et ses instructions, corrigea les défauts de son élève, et ilen fit un prince sage et vertueux.

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Le roi Robert, voulant passer en Provence, laissa Charles son fils régent de Naples, sous la conduite d'Elzéar, qui fut établi chef du conseil, et chargé de presque toutes les affaires importantes. Le Saint

voyant les pauvres abandonnés, demanda au duc de Calabre la grâce d'être fait leur avocat. « Quel > office me demandez-vous, répondit le prince en » riant? Vous ne devez pas craindre les com» pétiteurs. Je vous accorde l'objet de votre » demande, et je mets sous votre protection tous » les pauvres de ce royaume. » Elzéar fit faire un sac qu'il portoit dans les rues, et où il mettoit les requêtes des malheureux, qu'il recevoit avec bonté. Il écoutoit leurs plaintes, leur distribuoit des aumônes, et ne laissoit personne sans consolation. Il se chargeoit lui-même de plaider la cause des veuves et des orphelins, et leur faisoit rendre justice. Sa qualité de principal dépositaire de l'autorité souveraine engagea plusieurs personnes à lui offrir de riches présens; mais on ne put les lui faire accepter; et comme on prenoit de là occasion de l'accuser de manquer aux bienséances, il disoit : « Il est plus sûr et plus facile » de refuser tous les présens, que de discerner » ceux que l'on peut recevoir sans danger. Il n'est » pas facile à un homme qui a commencé à prendre, de savoir où il convient de s'arrêter. » Les présens enflamment la cupidité. »

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L'empereur Henri VII forma le projet de tomber sur le royaume de Naples, et le pape Clément V fit d'inutiles efforts pour l'engager à renoncer à l'expédition qu'il méditoit. Le roi Robert envoya contre lui Jean son frère, et le comte Elzéar. Il se livra deux batailles, dans lesquelles l'empereur fut défait. Les Napolitains attribuèrent principalement la victoire à la prudence et au courage d'Elzéar. Le roi Robert, pour le récom penser de ses services, lui fit de grands présens. Le Saint, craignant de déplaire à son maître, Tome IX.

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