Images de page
PDF
ePub

VIES

DES PÈRES, MARTYRS,

ET AUTRES

PRINCIPAUX SAINTS.

PREMIER JOUR DE JANVIER.

LA CIRCONCISION DE JÉSUS-CHRIST *.

La circoncision, dont l'origine était antérieure de plusieurs siècles à la promulgation de la loi mosaïque, fut ordonnée à Abraham, sous des peines très-rigoureuses 1. Le précepte de cette cérémonie était fondé sur trois principales raisons. Elle devait être 1o le sceau de l'alliance que le Seigneur avait contractée avec Abraham; 2o un signe qui distinguât des autres peuples de la terre les descendans du saint patriarche; 30 un gage des bénédictions

La fête de la Circoncision est appelée Octave de la Nativité de Notre-Seigneur dans un ancien Sacramentaire de l'Eglise romaine, publié par le Bienheureux Thomasi, Sacramentaire auquel le pape Gelase Ier, ou plus vraisemblablement Léon 1er, mit la dernière main, mais dont le fonds était sûrement de ses prédécesseurs. Cette fête porte le même nom dans l'ancien calendrier latin, ou recueil des évangiles à lire à la messe pendant l'année, lequel a été mis au jour par le P. Fronteau, chanoine régulier de Sainte-Geneviève. De tout ceci Baillet conclut qu'anciennement on ne faisait point mémoire de la Circonsicion de Notre Seigneur au 1er janvier. Mais il est visible qu'il se trompe. Car, 1° la Circoncision est renfermée dans l'Octave de la Nativité de Notre-Seigneur, comme le remarque Thomassin d'après Yves de Chartres, puisque les enfans étaient circoncis, dans l'ancienne loi, le huitième jour de leur naissance; 2° le Sacramentaire cité plus haut fait une mention expresse de la Circoncision dans la secrète de la messe; 3° dans le calendrier du P. Fronteau, l'évangile de la messe de ce jour est précisément l'histoire de la circoncision de JésusChrist, rapportée par S. Luc; 4° enfin le 1er jour de janvier est tout à la fois appelé Octave de la Nativité et Circoncision de Notre-Seigneur, dans un ancien manuscrit du Sacramentaire de S. Grégoire qui est dans la bibliothèque du Vatican, et dans un autre du Martyrologe d'Usuard qui était à Saint-Germain-des-Prés.

On disait anciennement deux différentes messes le 1er janvier, l'une de la Circoncision, et l'autre de la Ste Vierge ce qui se prouve par l'autorité de Durand, qui écrivait dans le 13° siècle, Ration. Offic. l. 6, c. 15; par celle de Beleth, docteur de Paris, et par plusieurs missels. La raison qu'en apporte le Microloge, est qu'il convenait de faire une commémoration spéciale de la Ste Vierge, qui avait eu tant de part au mystère de la naissance de Jésus-Christ. Or cette commémoration avait été remise au jour de l'Octave. La seconde messe ne se dit plus aujourd'hui; mais une grande partie de l'office du Bréviaire romain a là Ste Vierge pour objet.

On lit dans le calendrier du P. Fronteau ces mots : Natale S. Mariæ, après le titre Octave. D. Martenne a cru, mais sans fondement, qu'il y avait une faute et qu'il fallait substituer Martinæ à Maria. Le terme Natale, qui primitivement signifiait le jour de la naissance des empereurs, fut depuis adopté par les écrivains ecclésiastiques pour marquer les fêtes annuelles.

* Genes. XVII, 14, etc.

TOME I.

I

promises dans la personne d'Abraham à tous ceux qui observeraient fidèlement les ordonnances du Seigneur.

La circoncision tenait un rang distingué parmi les sacremens de la loi ancienne; c'était la première observance requise pour appartenir au peuple choisi: par elle on était initié dans le service du vrai Dieu, suivant l'alliance faite avec Abraham; par elle on s'obligeait d'une manière solennelle, non-seulement à croire les vérités qu'il avait révélées, mais encore à vivre conformément aux règles de morale qu'il avait tracées; par elle on s'engageait aussi à suivre les rites et la discipline de l'Eglise judaïque, lesquels cependant n'obligeaient que ceux qui participaient aux avantages et aux priviléges de l'alliance. Plusieurs célèbres théologiens ont attribué une vertu plus étendue à la circoncision ❝: ils ont enseigné, d'après S. Augustin, qu'elle effaçait le péché originel dans les màles de la postérité d'Abraham. Mais, quand même leur sentiment serait vrai, on ne devrait pas en conclure que Dieu eût abandonné sans ressource l'un des deux sexes, et tous ceux qui n'appartenaient point à l'alliance. Ils avaient un remède contre la tache originelle, et ce remède était, selon toutes les apparences, quelque acte extérieur de foi.

Comme le précepte de la circoncision a obligé jusqu'à la mort de Jésus-Christ, il convenait que cet homme-Dieu, qui était né sous la loi et qui venait apprendre aux hommes à garder le commandement du Seigneur, s'y soumît pour accomplir toute justice, Il s'est donc assujetti à la loi, c'est-à-dire à la circoncision, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi, en les délivrant de la servitude qu'elle leur imposait; il s'y est assujetti pour que les esclaves, devenus libres, pussent recevoir l'adoption des enfans dans le baptême qu'il a institué pour cet effet. Le jour qu'il fut circoncis, il reçut le nom de Jésus, que l'ange lui avait donné dès avant sa conception '. Que ce nom de Jésus est énergique ! L'Evangile nous en développe le sens par ces paroles qu'il applique à JésusChrist Ce sera lui qui sauvera son peuple, en l'affranchissant du joug de ses péchés 2. Mais que ne lui en a-t-il pas coûté pour mériter le nom de Sauveur? Il n'y a point de souffrances, point d'humiliations qu'il n'ait éprouvées. Il s'est rabaissé lui-même, dit S. Paul 3, non-seulement jusqu'à la mort, mais encore jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi Dieu l'a élevé et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse.

a Ils fondent leur opinion sur le chap. XVII de la Genèse.

Les Romains, suivant Plutarque, Problem. 102, donnaient le nom aux Luc. I, 31.

2 Matth. I, 21.

[ocr errors]

Philip. 11, 8, etc.

Jésus-Christ, en tant que Dieu, pouvait se dispenser de la circoncision; mais il a voulu, pour plusieurs raisons, se soumettre rette dangereuse et humiliante cérémonie de la loi mosaïque.

Premièrement, en y assujettissant sa propre personne, il abrogeait d'une manière honorable un rit que Dieu n'avait institué que pour un temps.

Secondement, il prouvait par là qu'il avait véritablement un corps humain, et confondait d'avance les sophismes de l'hérésie, qui, malgré la preuve évidente tirée des souffrances et des autres actions de sa vie mortelle, devait un jour en nier la réalité.

Troisièmement, il montrait non-seulement qu'il était le fils de l'homme, mais de tel homme en particulier, de la race duquel te Messie promis devait sortir. Il prévenait les objections que pourraient faire les Juifs pour lui contester la divine qualité de Messie, sous prétexte qu'il était étranger, et il acquérait le droit de converser avec eux pour le salut de leurs âmes. Il se faisait notre modèle, afin de nous engager à souffrir volontairement des peines qui, sans être d'une obligation stricte pour nous, peuvent contribuer beaucoup à l'utilité du prochain. Quoiqu'il eût une connaissance anticipée des douleurs de la circoncision, et qu'il les ressentît vivement d'avance, il ne refusa pas de les souffrir. S. Bernard et les autres Pères n'ont point douté qu'il n'ait versé des larmes durant cette pénible opération. Mais quelles larmes! c'était sa miséricorde qui les lui arrachait.

[ocr errors]

Quatrièmement, en se soumettant à la circoncision, il nous donnait un gage assuré de son amour pour nous, de sa compassion pour l'abîme de nos misères spirituelles, et nous instruisait de l'horreur qu'il a du péché. Impatient, pour ainsi dire, de tout garçons le neuvième jour de leur naissance, et aux filles le huitième. Les Juifs n'avaient aucun précepte sur ce point; mais ils nommaient communément leurs enfans le jour de la circoncision. On trouve néanmoins plusieurs exemples d'enfans qui ont été nommés le jour de leur naissance. Un enfant, avant le huitième jour d'après sa naissance, était réputé trop faible et trop délicat pour souffrir une opération aussi douloureuse que celle de la circoncision. C'était l'usage parmi les Juifs de circoncire les enfans, non dans le temple, mais dans leurs maisons particulières. Il n'était point nécessaire d'avoir des prêtres ou des lévites pour cette cérémonie. Ordinairement le père, et quelquefois la mère en étaient les ministres. C'est ce que nous voyons pratiqué du temps d'Abraham, Gen. XVII, Act.vII; de Moïse, Exod. IV, et des Machabées, I Machab. 1. Il est probable que le Sauveur fut circoncis dans l'antre de Bethleem où il était né, par la Ste Vierge ou S. Joseph. S. Epiphane, Her. 80, dit expressément: Circumcisus in spelunca. Corneille de la Pierre, in cap. 2; S. Luc., v. 21; Sandini, Hist. Famil. Sacræ de Christo Domino, c. 2, et le cardinal Gotti, de Verit. Relig. Christ. tom. IV, part. 1, c. 9, se déclarent pour ce sentiment. Le P. Ayala, dans son Pictor Christianus, imprimé à Madrid en 1730, relève en conséquence l'erreur des peintres qui représentent Jésus-Christ circoncis dans le Temple par un prêtre. On se servait, pour la circoncision, d'une pierre aiguisée, Exod. iv, Jos. v. L'opinion de ceux qui ont avancé que le Sauveur avait été circoncis avec un couteau d'acier, est contraire au sentiment de S. Augus tin, Tract. in Joan. c. 30, et de S. Bernard, serm. 1, de Circumcis. n. 1, ef serm. 4, in Epiphan, n. 1.

délai, il préludait à sa passion et à sa mort, où la soif ardente dont il brûlait pour les souffrances et les humiliations fut enfin pleinement satisfaite. Embrasé tout à la fois, et d'une charité immense pour les pécheurs, et d'un zèle infini pour la gloire de son Père, il s'offrit à lui en ce jour comme une victime dévouée à tous les coups de sa justice, et cette offrande, il la fit avec les sentimens de la patience la plus invincible et de l'humilité la plus profonde.

Cinquièmement, par son obéissance volontaire à une loi qui ne pouvait l'obliger, il nous apprenait à garder celle de Dieu avec la fidélité la plus parfaite, et à ne pas chercher des excuses à notre désobéissance dans les prétextes les plus frivoles.

Sixièmement, par cette humiliante cérémonie, il expiait notre orgueil, et nous enseignait la vertu contraire à ce vice. Quel spectacle, en effet, que de voir le Fils éternel de Dieu, consubstantiel à son Père, voiler ces titres augustes sous la forme d'un esclave! Rougirons-nous encore de passer pour ce que nous sommes effectivement, c'est-à-dire pour de misérables pécheurs qui ne méritent que les reproches et le mépris de toutes les créatures? Que fautil de plus pour nous engager à nous rendre justice? Frappés de l'exemple de Jésus-Christ, ne conviendrons-nous point enfin que les humiliations doivent être notre unique partage?

Septièmement, Jésus-Christ, en commençant le grand ouvrage de notre rédemption de la manière dont il devait un jour le consommer, c'est-à-dire en souffrant dans sa propre personne la punition du péché qu'il n'avait pas commis, confondait l'impénitence de tous ceux qui ne veulent rien souffrir pour l'expiation de leurs crimes. Enfin il nous prêchait la nécessité de la circoncision du cœur, dont celle de la chair n'était que la figure, selon l'apôtre 1.

Il est évident, par plusieurs passages de l'Ancien Testament 2, que les hommes, soumis à la loi de la circoncision, ne devaient pas se borner à un acte purement extérieur, mais qu'ils devaient percer l'écorce de la lettre pour aller jusqu'à l'esprit, et unir la circoncision du cœur à celle de la chair. En même temps que ces passages établissent la nécessité de la circoncision, ils la font principalement consister dans une sainte disposition à se conformer à ¡la volonté de Dieu, et à s'y soumettre dans tous les points, dès 'qu'une fois elle est connue. De là vient qu'ils prescrivent le retranchement de toutes les passions déréglées de l'âme, une exacte vigilance sur soi-même, une sage modération dans les choses mêmes dont la loi permet l'usage aux sens. Or, si ceux qui vivaient Deut. x, 16; XXX, 6. Jer. IV, 4.

1 Rom. II, 29.

sous la loi ne pouvaient être agréables à Dieu sans là circoncision du cœur, dont nous venons de marquer les effets, nous en faudrat-il moins à nous autres chrétiens pour appartenir à la race spirituelle d'Abraham, et pour participer aux mérites de JésusChrist, dont le sang commence de couler en ce jour pour notre salut?

Arrachons donc de nos cœurs l'amour désordonné des choses, terrestres ; veillons sans cesse à la garde de nos sens, pour les préserver de la séduction des objets extérieurs; fermons toutes les avenues de nos âmes aux affections charnelles; ayons soin de les prémunir contre les surprises des passions, et principalement contre celles de l'amour-propre. Ce dangereux ennemi nous livre des assauts continuels, et nous n'avons, pour le vaincre, d'autres armes que la défiance de nous-mêmes, la mortification de notre volonté, la pratique des humiliations, et une soumission aveugle aux décrets de Dieu, dans quelque état que nous puissions nous trouver. Il est vrai que la religion exige de nous des sacrifices bien pénibles; mais notre délicatesse ne doit plus faire entendre ses cris, depuis que Jésus-Christ nous a donné l'exemple. Prions-le, ce divin Sauveur, de nous élever au-dessus de notre faiblesse, et d'établir en nous le règne de son amour.

L'Eglise nous invite en ce jour à entrer dans les sentimens de Marie, qui fut présente, qui eut tant de part aux mystères étonnans dont nous célébrons la mémoire. Qui pourrait exprimer ce qui se passa dans son cœur, quand elle vit son Fils assujetti à une cérémonie aussi, douloureuse qu'humiliante ? Frappée d'admiration à la vue d'un Dieu enfant qui, par un excès de miséricorde, versait pour les hommes les prémices de son sang, elle se livrait aux transports de la reconnaissance la plus vive, et produisait des actes fervens d'amour et d'adoration. Au sacrifice que Jésus-Christ faisait de lui-même à son Père, elle joignait celui de sa propre personne, qu'elle offrait avec son Fils et par son Fils. Entrons dans les dispositions de cette sainte Mère; allons nous prosterner au pied du trône de Dieu, afin de lui payer le tribut de nos hommages, et de nous consacrer à son service avec Jésus-Christ et par Jésus-Christ.

Une autre chose que l'Eglise exige de nous en cette fête, c'est le saint emploi d'un jour qui commence l'année ". Ce n'est pas que

a Les anciens Romains célébraient leurs Saturnales ou fêtes de Saturne, pendant sept jours, à commencer au 17. de décembre. Durant ce temps-là, les esclaves mangeaient avec leurs maîtres, et avaient la liberté de tout dire. La fin de cette coutume superstitieuse était de perpétuer le souvenir de la fable de l'âge d'or, où l'on prétendait qu'il n'y avait point eu de distinction de rangs parmi les hommes. Les mêmes peuples célébraient aussi les calendes de janvier en l'honneur de leur dieu Janus, par des spectacles aussi extravagans que licen.

« PrécédentContinuer »