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S. THÉODOSE LE CÉNOBIARQUE.

Tiré de sa e, écrite par Théodore, évêque de Pétra, qui fut quelque temps son disciple. On la trouve dans Surius et dans Bollandus. Elle est estimée de Fleury, de Baillet, et de tous nos plus habiles critiques.

L'AN 529.

THÉODOSE naquit l'an 423, dans une petite ville de Cappadoce, nommée Mogariasse . Il eut le bonheur d'avoir des parens vertueux qui le formèrent à la piété, autant par leurs exemples que par leurs instructions. Son âme n'avait de goût que pour les choses de Dieu. Il fut ordonné lecteur, étant encore fort jeune, et il en exerça l'office dans l'Eglise avec beaucoup d'édification. Obligé, par état, de lire assidument les saintes Ecritures, il en acquit une grande connaissance, ainsi qu'une facilité merveilleuse à en développer le sens. Plus il en nourrissait son âme, plus les vérités qu'elles renferment y faisaient de profondes impressions, qui le dégageaient chaque jour des choses visibles, et le pressaient de tout quitter, pour tendre à la perfection évangélique. Enfin il entendit la voix de Dieu qui lui disait intérieurement d'imiter Abraham, en s'arrachant à sa patrie et au sein de ses amis. Rien ne put l'arrêter. Docile à la vocation du ciel, il partit pour Jérusalem, afin d'y consulter Dieu sur l'état de vie qu'il devait embrasser, et se consacrer à lui de la manière la plus parfaite. Il se détourna de sa route pour faire une visite à S. Siméon Stylite, célèbre par la vie extraordinaire qu'il menait sur sa colonne. Ce saint, le voyant approcher, lui cria, en l'appelant par son nom : « Théodose, servi>>teur de Dieu, soyez le bien-venu. » Théodose, surpris de s'entendre nommer par le saint, qu'il n'avait jamais vu, se prosterna le visage contre terre. Mais Siméon le fit monter sur sa colonne, l'embrassa tendrement, lui prédit plusieurs choses qui devaient lui arriver, et il lui donna des instructions relatives aux circonstances dans lesquelles il se trouverait. Théodose, après avoir quitté ce grand serviteur de Dieu, reprit la route de Jérusalem. Son premier soin, lorsqu'il se vit dans cette ville, fut de satisfaire sa dévotion par la visite des lieux saints. Il ne s'occupa plus ensuite que du choix de la vie qu'il embrasserait, pour se consacrer au Seigneur sans aucune réserve. Il se détermina pour la vie cénobitique, comme étant pour un jeune novice la plus sûre, à cause des secours que l'on trouvait continuellement dans les avis d'un guide a Appelée depuis Marisse.

sage et éclairé. Il se mit donc sous la conduite d'un saint noine nommé Longin, qui menait la vie d'un reclus dans un coin de la tour de David, et qui passait pour avoir une expérience consommée dans les voies de la perfection. Le maître, charmé des progrès de son disciple dans la vertu, conçut bientôt pour lui l'affection la plus tendre.

Une dame de piété, nommée Icélie, venait de bâtir une église en l'honneur de la Ste Vierge, sur le chemin de Bethléem. Persuadée que personne n'était plus digne que Théodose d'en avoir la direction, elle alla le demander à Longin. On eut beau employer les prières pour vaincre les répugnances de notre saint, il refusa constamment ce qu'on exigeait de lui; et jamais il ne se serait rendu, si son supérieur ne se fût expliqué par un ordre exprès. Il se chargea donc, par obéissance, de la conduite de l'église : mais il y renonça bientôt, dans la crainte que le poison des louanges qu'on donnait à ses vertus ne corrompit son cœur. Il se retira dans une caverne située sur une montagne déserte qui n'était pas éloignée. Là, détaché de tous les objets sensibles, il soumettait la chair à l'esprit par de longues veilles et par des jeûnes rigoureux. Sans cesse il s'entretenait avec Dieu par la prière; et la víve ́ componction dont son cœur était brisé, tirait de ses yeux des larmes presque continuelles. Quelques légumes et quelques herbes sauvages faisaient toute sa nourriture. Pour le pain, il s'en interdit absolument l'usage, et il fut trente années sans en goûter.

L'éclat de sa vertu attira auprès de lui plusieurs personnes touchées du désir de servir Dieu dans la retraite. Il n'en voulut d'abord recevoir que six ou sept: bientôt il en admit un plus grand nombre. La charité le fit ensuite résoudre à ne refuser aucun de ceux dans lequels il remarquait d'excellentes dispositions. La nécessité de penser continuellement à la mort était le sujet de la première instruction qu'il faisait à ses disciples; et ce fut dans le dessein de graver plus profondément cette pensée dans leur esprit, qu'il fit creuser un tombeau destiné à la sépulture de toute la communauté. Lorsqu'il fut entièrement achevé, il y mena tous ses frères, et leur dit : « Voilà le tombeau tout prêt; mais qui d'entre vous en >> fera la dédicace? Ce sera moi, répondit le prêtre Basile.» Aussitôt il se jette aux pieds de son abbé, et lui demande sa bénédiction. Théodose ordonna qu'on dît pour lui les prières des morts. Effectivement Basile mourut quarante jours après, sans aucune apparence de maladie.

Le saint n'avait encore que douze disciples, lorsqu'il arriva une chose bien digne d'être remarquée. Il se trouva que la commu nauté n'avait rien à manger le jour de Pâques; on manquait méme

de pain pour offrir le saint sacrifice. Quelques-uns des frères se mirent à murmurer: mais Théodose les reprit de leur peu de foi. Mettez, leur dit-il, votre confiance en Dieu : il saura pourvoir à >> vos besoins. » La promesse ne fut pas vaine, car on vit bientôt arriver des mulets chargés de provisions.

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Le bruit des miracles de Théodose, joint à son éminente sainteté, grossissait tous les jours le nombre de ses disciples, et sa grotte était devenue trop petite pour les contenir tous. Il consulta Dieu sur la conduite qu'il devait tenir; et sur la réponse qu'il en reçut intérieurement, il bâtit près de Bethleem " un vaste monastère, qui fut bientôt rempli de personnes recommandables par leurs vertus. Trois infirmeries étaient attenantes au monastere. L'une, destinée aux malades, fut fondée par une dame vertueuse du voisinage. On recevait dans la seconde les vieillards et les infirmes; la troisième était pour les solitaires qui, s'étant retirés dans le désert sans une vocation particulière de Dieu, avaient été punis de leur orgueil, ou par la perte des sens, ou par la possession du démon. Les deux dernières avaient été bêties par Théodose. Il y avait un ordre admirable dans toutes ces infirmeries. On pourvoyait, avec une attention pleine de tendresse, aux besoins spirituels et corporels de ceux qui y étaient renfermés.

Le saint n'oublia point les étrangers : il fit construire plusieurs bâtimens pour les loger. On y recevait indistinctement tous ceux qui se présentaient. Un jour le nombre des hôtes se trouva si grand, qu'il y avait près de cent tables servies pour eux. Il arriva plus d'une fois que Théodose multiplia, par la vertu de ses prières, les provisions du monastère, que le concours des étrangers avait rendues insuffisantes.

Mais, pour revenir au monastère, rien n'était plus édifiant que le spectacle qu'il offrait. On eût pris tous les frères pour autant d'anges revêtus d'un corps mortel. Unis ensemble par les liens de la charité et de la paix, ils n'avaient tous qu'un cœur et qu'une âme. Rigides observateurs de la loi du silence, ils ne se dissipaient point par des communications extérieures. On voyait régner parmi eux une sainte émulation pour l'accomplissement de leurs devoirs, et pour toutes les observances prescrites par la règle. Il y avait quatre églises dans l'enclos du monastère. La première était pour les frères qui parlaient grec; la seconde, pour les Arméniens auxquels on avait réuni les Arabes et les Perses; la troisième, pour les Besses, c'est-à-dire pour tous ceux qui étaient venus des pays septentrionaux, et d'au-delà, comme de la Thrace, de l'Europe, et qui parlaient la langue esclavonne ou rhunique. Chacune de ces nations • Dans un lieu nommé Cathisme. Il était peu éloigné de la grotte du saint

chautait dans son église particulière ce que l'on appelait la messe des catéchumènes, c'est-à-dire cette partie de la messe qui précède l'offertoire. Après la lecture de l'Evangile, elles s'assemblaient toutes dans l'église des Grecs, qui était la plus nombreuse. C'était là qu'on offrait le saint sacrifice, et que tous les moines participaient au corps et au sang de Jésus-Christ '. La quatrieme église était à l'usage de ceux qui expiaient leurs fautes par les travaux et les humiliations de la pénitence.

Ce n'était pas assez pour Théodose que d'avoir destiné à la prière publique une partie considérable du jour et de la nuit; il voulut encore préserver ses disciples des maux que cause ordinairement l'oisiveté parmi les moines. Il leur ordonna donc de s'appliquer à quelque métier utile, qui, sans être incompatible avec l'esprit de recueillement, pût fournir les choses nécessaires à la communauté.

Théodose était lié d'une amitié fort étroite avec S. Sabas, qui vivait aussi en Palestine, et qui soutenait un grand nombre de solitaires dans les voies de la perfection. Salluste, évêque de Jérusalem, qui connaissait le mérite de ces deux grands hommes, voulut donner plus d'exercice à leur zèle et à leur charité. Il nomma Sabas supérieur de tous les ermites, et Théodose supérieur de tous les cénobites de la Palestine. C'est pour cela que ce dernier a été surnommé le Cénobiarque a. Les deux serviteurs de Dieu se faisaient de fréquentes visites; mais leurs conversations ne roulaient jamais que sur des sujets de piété et d'édification. Animés d'un mêine zèle, ils concertaient ensemble les moyens les plus efficaces de procurer la gloire de Dieu. Unis encore par un sincère attachement à la doctrine de l'Eglise, ils eurent tous deux l'honneur d'être persécutés pour sa défense.

L'empereur Anastase, protecteur des Eutychiens, avait chassé, en 513, Élie, patriarche de Jérusalem, qui détestait les impiétés de ces hérétiques, et avait mis sur son siége un moine nommé Sévère, dont tout le mérite consistait à professer l'eutychianisme. En même temps, il avait publié un édit par lequel il était ordonné aux Syriens d'obéir à cet intrus, et d'embrasser sa communion. Théodose et Sabas refusèrent d'obéir, au risque d'encourir l'indignation du prince. Ils persistèrent dans leur attachement à Élie, puis à Jean, son légitime successeur; ils eurent même le courage de prendre hautement la défense de ces deux patriarches. L'autorité des deux abbés était d'autant plus grande,

1 Voyez Le Brun, Explic. des Cérém. de la Messe, tom. 4, p. 234, 235, Dissert. 14, art. 2.

a C'est-à-dire chef des cénobites. Les cénobites vivaient en communauté. On appelait ermites ou unachorètes, ceux qui vivaient séparés les uns des autres.

que tout le monde connaissait leur éminente sainteté. Les ministres J'Anastase sentirent bien qu'il serait dangereux d'avoir recours aux voies de rigueur. Ils jugèrent donc qu'il failait fermerles yeux sur la résistance de Théodose et de Sabas, et choisir quelque autre moyen pour venir à bout de la vaincre. Voici celui dont l'empereur fit usage. Il envoya à notre saint une somme d'argent considérable, sous prétexte de lui fournir plus abondamment de quoi assister les pauvres; mais son unique dessein était de le corrompre et de l'engager dans ses intérêts. Théodose, qui feignit de ne pas s'apercevoir du piége qu'on lui tendait, reçut la somme, et la distribua en aumônes. Quelque temps après, l'empereur le fit prier de souscrire une confession de foi, dans laquelle les deux natures de Jésus-Christ étaient confondues. Il se flattait qu'il ne trouverait aucune résistance dans Théodose; mais il ne fut pas long-temps à se détromper, car le saint lui écrivit, avec un zèle vraiment apostolique, une lettre dans laquelle il réfutait de la manière la plus solide toutes les subtilités des Eutychiens. Il protestait ensuite qu'il souffrirait plutôt la mort que de trahir la vérité. Anastase ne put s'empêcher d'admirer la généreuse liberté de Théodose et la force de ses raisonnemens. Il lui répondit même par une lettre respectueuse, où, après avoir fait l'aveu de sa faute, il déclarait que tout son désir était de voir renaître la paix dans l'Eglise.

Malheureusement ces belles dispositions ne furent pas de longue durée. Anastase reprit bientôt ses premières idées : il publia de nouveaux é lits en faveur de l'eutychianisme, et envoya de toutes parts des troupes avec ordre de les faire exécuter. A la première nouvelle que Théodose en reçut, il alla exhorter tous les fidèles de la Palestine à demeurer fermes dans la doctrine définie par les quatre premiers conciles généraux. Lorsqu'il fut à Jérusalem, il fit assembler le peuple dans l'église; puis, étant monté en chaire, il cria à haute voix : « Si quelqu'un ne reçoit pas les » quatre conciles écuméniques comme les quatre évangiles, qu'il » soit anathème. » Une action aussi hardie de la part d'un vieillard plus que nonagénaire, ranima la foi de tous ceux qui commençaient à chanceler depuis la publication des édits. D'ailleurs, comment se défier d'un homme dont Dieu justifiait la conduite par des miracles? En effet, une femme, rongée d'un horrible cancer, se trouva tout-à-coup guérie en touchant les habits du saint, lorsqu'il sortait de l'église. Cependant Anastase, irrité de ce qu'un simple moine avait la hardiesse de résister à ses volontés, et de traverser ses desseins, envoya aussitôt un ordre pour l'exiler. Mais cet exil ne fut pas long; car, Anastase étant mort peu de temps après, Justin, son successeur, qui favorisait les Catholiques, rappela Théodose.

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