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à Rome. Il emmena aussi des vitriers, parce que l'usage des vitres était encore inconnu en Angleterre. Un cinquième voyage qu'il fit à Rome le mit en état de former une nouvelle collection de bons livres, et surtout des écrits des saints Pères. Il apporta aussi de nouvelles reliques et plusieurs tableaux de piété.

Cependant les moines de Saint-Pierre de Weremouth édifiaient le royaume par l'éclat de leurs vertus, et répandaient de toutes parts la bonne odeur de Jésus-Christ. Egfrid, qui n'avait d'autre désir que de multiplier le nombre des vrais serviteurs de Dieu, donna de nouveaux fonds de terre au saint, qui bâtit le monastère de Jarrow sous l'invocation de S. Paul, Ces deux monastères n'en faisaient, pour ainsi dire, qu'un seul, et S. Benoît avait le gouvernement de l'un et de l'autre. Chaque communauté ne laissait pas d'avoir son abbé particulier qui veillait à l'observance de la règle. L'établissement de ces supérieurs subalternes était devenu nécessaire, parce que les voyages et les diverses occupations du saint ne lui permettaient pas de tout faire par lui-même c.

Benoît avait un grand zèle pour la décoration du lieu saint. Il en donna des preuves en ornant de tableaux les églises de ces deux monastères. Ceux qu'il mit à Weremouth représentaient la Ste Vierge, les douze apôtres, l'histoire évangélique, et les visions mystérieuses de l'Apocalypse. On voyait dans ceux de Jarrow plusieurs sujets tirés de l'Ecriture sainte; et ils étaient disposés de manière qu'ils montraient les rapports des deux Testamens, et que les figures étaient expliquées par la réalité. Par exemple, JésusChrist, chargé de la croix sur laquelle il allait consommer son sacrifice, contrastait avec Isaac portant le bois qui devait servir à son immolation. Nous avons dit que notre saint avait apporté ces tableaux de Rome. Mais que lui eût servi de se procurer de quoi embellir des temples matériels, s'il eût négligé la décence du culte extérieur? Il pria donc le pape Agathon de lui permettre d'emmener avec lui Jean, abbé de Saint-Martin, et archichantred de l'église de Saint-Pierre. Il le plaça dans l'abbaye de Weremouth, afin

a Les bâtimens de pierre avaient été jusque là forf rares en Angleterre; l'église même de Lindisfarne était de bois, et couverte de chaume; elle resta dans cet état jusqu'à l'évêque Eadbert, qui en revêtit le toit et les murailles de plaques de plomb. Voyez Bède, Hist. l. 3, c. 25.

b A six milles de Weremouth. Il fut bâti vers l'an 677. Il était anciennement appelé Girwy.

Les abbayes de Weremouth et de Jarrow furent détruites par les Danois. On les rétablit en partie. Elles existaient encore sous le titre de prieurés, lorsque les monastères d'Angleterre furent détruits l'an 37° du règne de Henri VIII. Ces deux prieurés étaient soumis à l'abbaye de Durham depuis l'an 1083. Voyez Matthieu de Westminster, ad an. 703; le Monasticon Anglic. tom. 1, p. 41, 96 et 384; Leland, Collection, vol. 2, p. 348, et vol. 3, p. 42; Wilkins, Conc. Britan. tom. 1, p. 63; Ben., Vit. abbatum; Tanner, Notitia_Monastica. d Præcentor

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qu'il enseignât parfaitement à ses moines le chant grégorien, et qu'il les instruisît à fond des cérémonies dont l'Eglise romaine se servait dans la célébration de l'office divin.

a

Le saint comptait parmi ses religieux un de ses parens, nommé Easterwin, qui, comme lui, avait autrefois vécu à la cour de Northumberland. Il le fit abbé avant d'entreprendre son dernier voyage de Rome : son choix ne pouvait mieux tomber. Easterwin était un homme qui possédait toutes les qualités nécessaires à un supérieur, et entre autres, une piété tendre, une humilité profonde, une douceur inaltérable. Comme il mourut pendant l'absence de S. Benoît, les moines choisirent pour le remplacer le diacre S. Sigfrid, qui ne survécut pas de beaucoup à son élection; car au bout de quelque temps il fut enlevé de ce monde par une maladie de langueur qui lui fit souffrir les douleurs les plus aiguës. Ce fut par son conseil que S. Benoît, deux mois avant sa mort, élut S. Céolfrid, abbé des deux monastères.

Les trois dernières années de la vie de notre saint ne furent plus qu'un tissu d'infirmités. Une cruelle paralysie, 'qui l'avait privé de l'usage de ses membres, le contraignit enfin à garder le lit. Lorsqu'il fut dans l'impossibilité d'assister à l'office canonial, quelques moines, partagés en deux chœurs, venaient chanter à côté de lui les psaumes de chaque heure du jour ou de la nuit; il s'unissait à eux autant qu'il lui était possible, mêlant même sa faible voix avec les leurs. Son esprit ne s'occupait que de Dieu et de la perfection de ses disciples, qu'il exhortait fréquemment à observer leur règle avec exactitude. « Mes enfans, leur disait-il, n'allez pas regarder comme » une invention de mon esprit les constitutions que je vous ai » données. Après avoir visité dix-sept monastères bien disciplinés, » dont j'ai tâché de connaître parfaitement les lois et les usages, » j'ai formé un recueil de toutes les règles qui m'ont paru les meil>> leures; c'est ce recueil que je vous ai donné. » Benoît, qui sentait augmenter sa faiblesse, demanda le saint viatique, et mourut peu de temps après l'avoir reçu, le 12 janvier 690. On transféra ses reliques à l'abbaye de Thorney, en 9701. Les moines de Glastenbury prétendaient en avoir une partie 2. Le Martyrologe romain nomme S. Benoît Biscop en ce jour. Les Bénédictins anglais l'honorent comme un de leurs patrons.

Voyez la Vie du saint dans l'Histoire des premiers abbés de Weremouth, écrite par Bède, et publiée à Dublin par Jacques Ware, en 1664.

a Le 6 de mars, à l'âge de trente-six ans. Il n'avait été que quatre ans abbé. Malmesb. de Pontif. Angl. l. 4.

Monast. Anglic. tom. 1, p. 4; Ivan de Glastenbury, Hist. Glast.

S. AELRED, ABBÉ DE RIEVAL OU RIDAL,

DANS LA PROVINCE D'YORCK.

AELRED naquit l'an 1109, dans la partie septentrionale de l'Angleterre. Ceux dont il reçut le jour étaient distingués dans le monde par la noblesse de leur extraction. Ils prirent un soin extrême de l'éducation de leur fils, qui répondit parfaitement à leurs vues. Sa réputation l'ayant fait connaître à David, roi d'Ecosse, ce prince religieux voulut se l'attacher, en lui confiant le gouvernement de son palais. Aelred remplit cette charge avec une supériorité qui lui attira l'estime du prince et de tous les courtisans. La corruption du monde ne put gagner jusqu'à son âme; incapable d'être ébloui par l'éclat des grandeurs passagères, il conserva tou jours l'humilité, cette vertu favorite de Jésus-Christ sans laquelle il n'y a point de vrai chrétien. Il possédait encore dans un degré éminent cette douceur qui, selon l'esprit de l'Evangile, est insé parable de l'humilité : un ou deux traits fourniront la preuve de ce que nous avançons.

Un jour qu'une personne de qualité lui faisait des reproches injurieux en présence du roi, il l'écouta avec patience, puis la remercia de la charité qu'elle avait de l'avertir de ses fautes. Cette conduite fit tant d'impression sur son ennemi, qu'il lui demanda pardon aussitôt. Une autre fois, étant occupé à discuter quelque matière, il fut interrompu par quelqu'un de la compagnie, qui l'accabla d'invectives; il les reçut avec un profond silence, et reprit ensuite le fil de son discours, sans témoigner la moindre émotion. Quelle humilité! quelle douceur ne fallait-il des tentations aussi délicates!

pas pour vaincre

Aelred sentait en lui un ardent désir de quitter le monde, pour se consacrer uniquement au service de Dieu; mais les charmes de l'amitié, auxquels il était fort sensible, l'y retinrent encore quelque temps. Cependant, à force de réfléchir que la mort le séparerait tôt ou tard de ceux qu'il chérissait le plus tendrement, il s'accusa de lâcheté, et prit enfin la généreuse résolution de briser ces liens, quoiqu'ils lui fussent infiniment plus agréables que tous les autres plaisirs de la vie. Voici de quelle manière il décrit la situation de son âme au milieu des combats que la nature livrait à la grâce. « Ceux qui ne me regardaient que par l'éclat extérieur qui m'environnait, et qui jugeaient de ma situation sans connaître > ce qui se passait au-dedans de moi, ne pouvaient s'empêcher de ⚫ s'écrier: Oh! que le sort de cet homme est digne d'envie! oh! qu'il

■ est heureux! mais ils ne voyaient pas l'accablement de mon esprit : ils ne savaient pas que la plaie profonde de mon cœur me » causait mille tourmens, et qu'il m'était impossible de supporter » l'infection de mes péchés. » Il ajoute, en parlant du temps où il résolut de renoncer au monde : « Ce fut alors, ô mon Dieu! que je connus par expérience le plaisir ineffable qui se trouve dans » votre service, et que je goûtai cette aimable paix qui en est la compagne inséparable 1. »

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Le saint, pour se dégager de plus en plus de tout attachement au siècle, quitta l'Ecosse, et se rendit à Rieval, où il embrassa l'institut de Cîteaux, sous la conduite de Guillaume, disciple de S. Bernard, et premier abbé de ce monastère a. Il n'avait que vingt-quatre ans lorsqu'il prit l'habit. On eût dit que la ferveur fortifiait son corps naturellement faible et délicat, tant il montrait de joie dans la pratique des plus grandes austérités. La prière et les lectures pieuses emportaient presque tout son temps; les ardeurs de l'amour divin embrasaient tellement son cœur, qu'il ne trouvait rien que de doux dans ce qui contrarie le plus les inclinations de la nature. « Ce joug, s'écriait-il, ne m'ac» cable point, il ne fait qu'élever mon âme ; ce fardeau est léger, et » n'a rien de pesant 2. » Il parle avec une sorte de transport de la divine charité; et l'on doit juger par ses exclamations fréquentes, et toutes de feu, que son occupation la plus ordinaire et la plus agréable était de produire des actes de cette vertu. Ecoutons-le 3: « Puisse votre voix, ô bon Jésus! se faire entendre à mes oreilles, » afin que mon cœur apprenne à vous aimer; afin que mon esprit vous aime; afin que toutes les puissances, et, pour ainsi dire, » les entrailles de mon âme et la moelle de mon cœur soient toutes pénétrées du feu de votre amour; afin que toutes mes affec» tions puissent vous embrasser, vous qui êtes mon unique bien, » ma joie et mes délices! Qu'est-ce que l'amour, ô mon Dieu ? C'est, si je ne me trompe, ce plaisir ineffable de l'âme, qui est d'autant » plus doux qu'il est plus pur, d'autant plus sensible qu'il est plus » ardent. Celui qui vous aime, vous possède; et il vous possède » à proportion de ce qu'il vous aime, parce que vous êtes amour. a Il avait été fondé en 1122 par un seigneur nommé Gautier Especke. It était situé près d'Helmesley, dans le comté d'Yorck. Le lieu où il fut bâti á pris depuis le nom de River. Il est dans le doyenné de Ridal. Rastell, auteur d'une chronique citée par M. Hearne, dit que Rieval fut le premier monastère, de Cisterciens en Angleterre, I se trompe; car il est certain que ces religieut s'établirent d'abord à Waverley, dans la province de Surrey. Ce fut Guillaume Giffard, évêque de Winchester, qui leur fonda un monastère. S. Bernard vivait encore, puisqu'il ne mourut que vers l'an 1152. Voyez les Annales de Wavers ley, publiées par Gale; Tanner, p. 539; Monast. Anglic. tom. 1, p. 727; Brown Willis, Hist. des Abbayes, tom. 2, p. 282.

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. C'est là ce torrent de volupté dont vous enivrez vos élus, en les » transformant en vous par votre amour. »

Comme notre saint avait fait d'excellentes études dans sa jeunesse, et qu'il était doué d'un goût exquis, il sentait mieux que personne toutes les beautés des anciens auteurs. De là ce plaisir qu'il avait autrefois trouvé dans la lecture des ouvrages de Cicéron. Mais il ne se fut pas plutôt consacré à Dieu dans la retraite, que tous les livres profanes lui parurent insipides et ennuyeux: c'est qu'il n'y voyait ni le saint nom de Jésus, ni la parole de Dieu. Il nous en assure lui-même, dans la préface de son livre intitulé: L'Amitié spirituelle.

La seule vue des religieux qui se distinguaient par leur ferveur piquait Aelred d'une sainte émulation. Un d'entre eux, nommé Simon, fixa particulièrement son attention; l'amour de la péni-' tence l'avait fait renoncer à tous les avantages que lui promettaient dans le monde une naissance illustre, des biens immenses, les plus rares talens de l'esprit, et tous les agrémens du corps. On le voyait toujours recueilli et absorbé en Dieu. Son exactitude à garder le silence était extraordinaire. Il ne parlait que rarement, toujours en peu de mots, et jamais qu'à ses supérieurs; encore fallait-il des raisons bien pressantes pour l'y déterminer. Son extérieur toutefois n'avait rien que de doux, d'agréable et d'édifiant. Voici le témoignage que lui rend Aelred : « La vue seule de son humilité » confondait mon orgueil, et me faisait rougir de l'immortifica» tion de mes sens. La loi du silence, qui s'observe parmi nous, m'empêcha de lui parler de propos délibéré. Mais un mot m'é» tant échappé une fois par inadvertance, je m'aperçus, à l'air de » son visage, du déplaisir que cette infraction de la loi lui avait » causé. Je me jetai à ses pieds, et il m'y laissa quelque temps pour expier ma faute : je me la suis toujours reprochée, et jamais je » n'ai pu me la pardonner 1. » Ce saint religieux ne se démentit point pendant les huit années qu'il passa dans le monastère de Rieval. Il y mourut l'an 1142, en prononçant ces paroles: « Sei⚫gneur mon Dieu, je chanterai éternellement votre miséricorde, ▸ votre miséricorde, votre miséricorde! »

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Cette même année, Aelred fut élu, malgré lui, abbé de Revesby, dans le comté de Lincoln ", et on l'obligea l'année suivante de prendre le gouvernement de l'abbaye de Rieval, où il y avait alors trois cents moines. Il décrit ainsi leur manière de vivre. « Ils > ne buvaient que de l'eau, ne mangeaient que des choses fort

1 Spec. l. 1, c. ult.

a Le monastère de Revesby, de l'ordre de Citeaux, venait d'être fondé par Guillaume, comte de Lincoln.

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