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habités. Le vaisseau ayant abordé en Sicile, Eulalius, évêque de Syracuse, qui passait avec les moines tout le temps qu'il pouvait dérober aux fonctions de l'épiscopat, le détourna de ce voyage, en lui disant que le pays où il allait était séparé de la communion de Pierre par un schisme perfide a. Il ajouta que l'Egypte étant remplie d'hérétiques, il fallait, lorsqu'on y demeurait, ou communiquer avec eux, ou être privé des sacremens.

Fulgence prit donc le parti de rester en Sicile. Quoiqu'il reçût très-peu de chose pour sa subsistance, il trouvait encore le moyen d'assister les pauvres et d'exercer l'hospitalité. Eulalius, rempli d'admiration, se reprocha son peu de ferveur à pratiquer ces vertus, et se proposa toujours dans la suite le beau modèle qu'il avait éu sous les yeux.

Le saint confesseur, au lieu de son voyage d'Egypte, en fit un à Rome, pour visiter les tombeaux des apôtres. Comme il passait un jour par la place nommée Palma Aurea, il aperçut Théodoric, roi d'Italie, élevé sur un trône superbement paré; il était environné du sénat et de la cour la plus brillante, Rome n'ayant rien épargné pour recevoir ce prince avec la plus grande magnificence. * Ah! s'écria Fulgence à la vue de ce spectacle, si Rome terrestre » est si belle, quelle doit être la Jérusalem céleste! Si dans cette » vie périssable, Dieu environne d'un si grand éclat les partisans et » les amateurs de la vanité, quel honneur, quelle gloire, quelle félicité prépare-t-il donc à ses saints dans le ciel!» Ceci arriva vers la fin de l'année 500, lorsque Théodoric fit sa première entrée à Rome.

Peu de temps après, Fulgence retourna en Afrique, où il fut reçu avec une joie incroyable. Il bâtit dans la Byzacène un monastère qui fut bientôt rempli d'un grand nombre de personnes de piété. La dignité de supérieur ne s'accordant point avec son hu milité, il forma le projet d'y renoncer. Il alla s'enfermer dans un petit monastère situé sur le bord de la mer. Là, il partageait son temps entre la lecture, la prière et les exercices de la mortification : il s'occupait encore à faire des nattes et des parasols de feuilles de palmier; mais il ne goûta pas long-temps les douceurs de la solitude. On le découvrit; et l'évêque Fauste, qui avait des droits sur lui, l'obligea de quitter sa retraite pour venir reprendre le gou vernement de son monastère.

Plusieurs siéges avaient été long-temps sans pasteurs, à l'occas sion d'un édit du roi Trasamond ou Trasimond, par lequel il était défendu d'ordonner des évêques orthodoxes. Les catholiques, resolus de pourvoir aux besoins des églises vacantes, n'eurent point

a A communione Petri perfida dissensio separavit. Vit. S. Fulg. c. 12. Théodoric, qui commença à régner en Italie l'an 463, avait toujours fait sa résidence à Ravenne:

d'égard à l'édit du prince. Cette fermeté généreuse coûta la liberté à Victor, primat de Carthage, qui s'était montré très-zélé dans une conjoncture aussi critique. Fulgence, informé que plusieurs villes le voulaient avoir pour évêque, resta caché durant tout le temps des élections. On fit en vain les perquisitions les plus exactes, il fut impossible de découvrir le lieu de sa retraite; et ce ne fut qu'après avoir jugé qu'il n'était plus question de lui, qu'il retourna ✯ son monastère. Cependant la ville de Ruspe était toujours sans pasteur. Elle demanda le saint tout d'une voix. On court aussitôt au monastère; on le tire de sa cellule malgré lui, et on l'ordonne évêque, du consentement du primat, que Trasimond faisait toujours garder.

Cette nouvelle dignité n'apporta aucun changement dans sa manière de vivre. Jamais il ne portait l'orarium ; hiver et été, il n'était vêtu, comme dans son monastère, que d'une tunique fort pauvre; il marchait souvent nu-pieds, se couchait tout habillé, et se levait toujours pour prier avant l'office de la nuit; il se nourrissait de légumes, de racines et d'œufs, sans admettre le moindre assaisonnement. Il ne diminua rien de ses austérités, même dans sa vieillesse. Il consentit seulement à user d'un peu d'huile, à cause de la faiblesse de sa vue. Il fallait des raisons de santé bien pressantes, pour l'obliger à faire usage de vin; encore le trempait-il avec tant d'eau, qu'il n'en pouvait sentir le goût. Depuis son entrée dans l'état monastique jusqu'à sa mort, il ne fut jamais possible de le déterminer à manger de la viande. Sa modestie, sa douceur, son humilité le firent aimer de tout le monde, même du diacre Félix, qui s'était opposé à son élection. Le saint ne se vengea des intrigues de cet ambitieux, qu'en le recevant et en le traitant avec la charité la plus cordiale.

Son grand amour pour la retraite lui inspira le dessein de bâtir un monastère à Ruspe, auprès de son église; et il en destinait le gouvernement à Félix, son ancien ami; mais Trasimond l'exila en Sardaigne, avec six autres évêques catholiques, avant qu'il eût commencé l'exécution de ce projet..

Quoique Fulgence fût le plus jeune de ces respectables exilés, tous cependant le consultaient dans leurs doutes. Il était leur oracle. C'était lui qui portait la parole et qui prenait la plume dans le besoin. L'éclat de ses belles qualités était encore rehaussé par la modestie et l'humilité avec lesquelles il proposait son sentiment. Jamais il ne préféra son avis à celui des autres; jamais il ne chercha à le faire prévaloir.

a C'est la petite ville appelée aujourd'hui Alfaques, dans la dépendance de Tunis.

b. L'orarium était une écharpe de toile dont les évêques se servaient dans ce temps là, et d'où est venue notre étole.

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Le pape Symmaque, par une charité digne du père commun des fidèles, avait soin de fournir aux différens besoins des confesseurs de Jésus-Christ 1. Nous avons encore une lettre qu'il leur écrivit2, et dans laquelle il employait les plus puissans motifs pour les consoler et les encourager. Il ajoutait, à l'occasion des reliques de S. Nazaire et de S. Romain qu'il leur envoyait : « Que l'exemple » et la protection 3 de ces généreux soldats de Jésus-Christ vous animent, vous qui êtes ses confesseurs, à combattre courageuse»ment pour le Seigneur. » Fulgence, s'étant associé quelques personnes, fit une espèce de monastère de la maison qu'il habitait à Cagliari. Les affligés y allaient chercher de la consolation; les pauvres y trouvaient une ressource assurée dans leurs misères; les habitans du pays avaient recours à Fulgence comme à un oracle, dont les réponses décidaient leurs différends sans appel. Dans cette retraite, le saint composa plusieurs savans traités pour consoler et instruire les fidèles d'Afrique.

Trasimond, informé que Fulgence était le plus puissant défenseur de la doctrine catholique, fut curieux de le voir, et le manda à Carthage. Il lui fit remettre un écrit, ou recueil d'objections, avec ordre d'y donner une réponse nette et précise. Le saint fit, sans hésiter, ce qu'on exigeait de lui, en composant un livre qu'on croit être le même que celui qui a pour titre : Réponse aux dix objections. Le roi admira tout à la fois son humilité et la force de ses raisons, sans cependant renoncer à ses préjugés. Pour les catholiques, ils triomphèrent de l'éclatante victoire que leur foi avait remportée sur l'arianisme. Trasimond envoya encore d'autres objections; mais, pour s'épargner la honte d'une seconde défaite a, il avait donné ordre au porteur de les lire seulement à Fulgence. Celui-ci refusa d'abord de répondre par écrit, à moins qu'on ne lui permît de tirer une copie des objections; il ne laissa pourtant pas d'entreprendre une ample et modeste réfutation de l'arianisme, que nous avons encore sous le titre de Trois livres au roi Trasimond. Le prince, charmé de la beauté et de la solidité de cet ouvrage, permit au saint de demeurer à Carthage. Le zèle de Fulgence ne resta point oisif dans cette ville; il travaillait sans cesse à affermir les fidèles et à démasquer les subtilités des hérétiques. L'Eglise de Carthage voyait augmenter de jour en jour et la ferveur et le nombre de ses enfans. Les évêques ariens, furieux des pertes continuelles que faisait leur secte, s'en plaignirent amèrement à Anast. in Symmach. Baronius, ad an. 504; Fleuri, 1. 31.

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Inter opera Ennodii, et tom. 4 Conc. Labb. col. 1300.

3 Patrocinia.

C'est que S. Fulgence avait inséré les premières objections dans la réponse qu'il y avait faite; et la défaite du roi était par là devenue publique.

Irasimond, lui peignirent Fulgence comme un homme dangereux, et firent jouer tant de ressorts, qu'il fut renvoyé en Sardaigne en 520.

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Le saint étant sur le point de s'embarquer, vit un catholique nommé Juliatus, qui fondait en larmes. « Ne vous affligez point, lui dit-il, mon absence ne sera pas longue. Nous verrons la foi » de Jésus-Christ fleurir dans ce royaume, et il sera bientôt permis » d'en faire une profession ouverte. Mais ne divulguez point ce » que je vous confie sous le secret. » L'événement justifia la prédiction. Son humilité lui faisait cacher les miracles qu'il opérait; et il avait coutume de dire à ce sujet : « On peut être doué du don » des miracles, et cependant perdre son âme. Les miracles n'as» surent point le salut; ils peuvent, à la vérité, procurer de l'estime » et des applaudissemens : mais que servira-t-il à un homme d'être » estimé sur la terre, s'il est ensuite condamné aux supplices de >> l'enfer? » Si, par ses prières, il obtenait la guérison des infirmes, son humilité la lui faisait attribuer à la miséricorde divine et aux causes naturelles.

De retour à Cagliari, Fulgence bâtit un nouveau monastère. Son attention était extrême lorsqu'il s'agissait de pourvoir aux besoins des moines, surtout dans leurs maladies; mais il ne leur permettait jamais de rien demander. Sa maxime était qu'il fallait tout recevoir comme venant de la main de Dieu, c'est-à-dire avec résignation et avec reconnaissance. Il n'inculquoit rien tant que la nécessité de mortifier sa volonté propre, parce qu'il savait que c'était là un des plus sûrs moyens de parvenir au comble de la perfection.

Trasimond étant mort en 523, Hildéric, son fils, lui succéda. Ce dernier avait toujours eu un penchant secret pour les catholiques; mais il n'avait pu si bien le cacher qu'il ne fût découvert, et son père, qui en craignait les suites, lui fit jurer, avant que de mourir, qu'il n'accorderait jamais la liberté à ceux qui tenaient pour la consubstantialité du Verbe. Hildéric, afin d'éluder l'obligation qu'il se croyait imposée par son serment, signa, du vivant même de son père, un ordre pour rouvrir les églises catholiques. Malheureusement il ne soutint point cette première démarche; et comme il était d'un caractère faible, il ne put se résoudre à quitter l'hérésie et à professer ouvertement la vraie foi. Cependant les évêques orthodoxes furent rappelés. Le vaisseau qui les portait ayant abordé à Carthage, cette ville fit éclater la plus grande joie, Le rivage retentissait d'acclamations et de cris d'allégresse, qui redoublèrent lorsqu'on vit paraître Fulgence. Les confesseurs ne furent pas plus tôt à terre, qu'ils allèrent rendre grâces à Dieu dans

l'église de Saint-Agilée. Une multitude innombrable de peuple les accompagna. Tandis qu'ils étaient en chemin, il survint toutà-coup une grande pluie. On comprit combien Fulgence était respecté, par l'attention que plusieurs prirent d'étendre sur lui leurs manteaux afin de le mettre à couvert.

Le saint évêque quitta Carthage pour retourner à son église. Il n'y fut pas plus tôt arrivé, qu'il se mit à travailler à la réformation des abus qu'une longue persécution y avait introduits.

L'activité de son zèle fut si bien tempérée par la douceur, qu'il gagna les pécheurs les plus endurcis. Il avait un talent singulier pour instruire; ce qui faisait que ses discours produisaient les plus grands fruits. Boniface, évêque de Carthage, l'ayant entendu prê cher, fondit en larmes, et remercia Dieu d'avoir donné un tel (pasteur à son Eglise. Son humilité était sans bornes, et l'amour qu'il avait pour cette vertu lui faisait sacrifier jusqu'à ses droits les plus incontestables. C'est ce qui arriva au concile de Junque, tenu en 524. L'évêque Quod-vult-Deus, lui ayant disputé injustement la préséance, fut condamné par les Pères du concile, qui voulurent que Fulgence gardât son rang. Le premier ne se soumit que par nécessité à cette décision, et resta persuadé qu'on avait fait injure à la dignité de son siége. Le saint, pour ôter tout sujet de scandale à son frère, obtint dans un autre concile, encore plus par ses prières que par ses raisons, que Quod-vult-Deus prendrait séance devant lui. Bel exemple pour ceux qui soutiennent avec chaleur des droits souvent chimériques !

Fulgence, de retour à Ruspe, reprit ses fonctions ordinaires, et les exerça avec une ferveur toujours nouvelle jusqu'à l'an 532, Sentant alors que sa fin-approchait, il se retira dans un monastère de la petite île de Circine, pour se préparer au passage de l'éternité. Mais les besoins et les plaintes de son troupeau le rappelèrent à Ruspe quelque temps avant sa mort. Durant sa dernière maladie, qui lui causait des douleurs très-aiguës, et qui fut de soixantedix jours, il ne cessait de répéter ces belles paroles : « Seigneur, » donnez-moi présentement la patience, et ensuite le pardon.". »

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Les médecins étant d'avis qu'il prît les bains: « Est-ce qu'ils » pourront, répondit-il, empêcher un homme mortel de mourir quand il est parvenu à la fin de sa course? » Dans son agonie, il fit assembler ses clercs et ses moines: comme ils fondaient tous en larmes, il les consola, demanda pardon à ceux qu'il aurait pu of

a S. Agilée, martyr de Carthage, est honoré le 25 de janvier et le 15 d'octobre. Son église était sur le bord de la mer. S. Augustin y prêcha le jour de są fête. Le concile de Suffète, tenu la même année.

Domine, da mihi modò patientiam, et posteà indulgentiam.

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