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Le grand S. Antoine, alors âgé de quatre-vingt-dix ans, fut tenté de vaine gloire. Il s'imaginait que personne n'avait servi Dieu aussi long-temps que lui dans une entière séparation du monde. Mais, lorsqu'il était occupé de ces pensées, Dieu lui envoya un songe dans lequel il le détrompa. Il lui ordonna en même temps. d'aller chercher un de ses serviteurs qui habitait dans le fond des déserts. Antoine partit dès le lendemain matin. Ayant rencontré un hippocentaure", il fit le signe de la croix, et aussitôt le monstre, qui n'était peut-être qu'un fantôme envoyé par l'esprit des té nèbres, disparut après lui avoir indiqué la route qu'il devait tenir. Peu de temps après, un satyre s'offrit à ses yeux. Il lui donna à entendre qu'il habitait ces déserts, et qu'il était du nombre de ceux que les Gentils adoraient comme des divinités. Le saint, après une marche de deux jours et une nuit, aperçut de loin une lumière qui lui découvrit la demeure de celui qu'il cherchait. Il approche, prie le saint de lui ouvrir, et fait beaucoup d'instances avant que de pouvoir obtenir cette grâce. Paul cependant lui ouvre à la fin, et le reçoit avec un doux sourire. Ils s'embrassent tous deux, s'appellent mutuellement par leur nom, Dieu le leur ayant révélé à l'un et à l'autre. Paul demanda ensuite à Antoine si les hommes se livraient toujours aux embarras du siècle et aux superstitions du paganisme.

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La conversation finie, un corbeau vole vers eux, et laisse tomber un pain entier. « Voilà, dit Paul, ce que Dieu envoie pour notre » nourriture. Il y a plusieurs années que sa bonté me fournit chaque jour la moitié d'un pain; mais comme vous êtes venu me voir, Jésus-Christ a doublé la provision de son serviteur. >> Aussi tôt ils rendent tous deux grâces à Dieu, et s'asseient sur le bord de la fontaine pour prendre leur repas. La nuit suivante se passa en prières. Le lendemain matin Paul dit à son hôte : « Je touche » à ma dernière heure; la Providence ne vous a conduit ici que » pour me rendre les derniers devoirs. Allez chercher, pour envelopper mon corps, le manteau que vous a donné l'évêque Atha» nase. » Ce n'était pas qu'il se souciât beaucoup que son corps fût enseveli; mais il voulait épargner à S. Antoine la douleur de le

a Monstre qui tenait de la forme de l'homme et de celle du cheval, sans en avoir toutefois la nature et les propriétés. Pline assure, l. 7, c. 3, qu'on a vu des hippocentaures. D'autres naturalistes sont du même sentiment. Pour S. Jérôme, il ne veut point décider si l'hippocentaure que vit S. Antoine était un monstre réel, ou simplement un fantôme du démon. Voyez la note de Rosweide sur cet endroit.

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b Quelques monstres, qu'on voyait de temps en temps, ont pu donner lieu aux païens d'inventer leurs divinités des bois. Plutarque raconte dans la Vie de Sylla, que ce général romain étant à Athènes, on lui apporta un satyre. Nous lisons, dans S. Jérôme, qu'on en vit un vivant à Alexandrie; et qu'après sa mort, il fut salé et embaumé pour être porté à Antioche, afin que Cons tantin le Grand pût le voir.

voir mourir, et lui témoigner son respect pour S. Athanase ainsi que son attachement à la foi de l'Eglise, pour laquelle ce saint évêque souffrait alors les plus grandes persécutions.

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Cette demande du manteau donné par S. Athanase surprit S. Antoine; il vit bien que Dieu seul pouvait avoir révélé ce fait au bienheureux Paul. Au lieu donc d'approfondir les motifs d'une telle demande, il ne pense qu'à obéir. Il embrasse son hôte, et reprend la route de son monastère. « Je ne suis qu'un misérable pécheur, dit-il à ses moines en arrivant; je suis indigne d'être ap pelé serviteur de Dieu. J'ai vu Elie, j'ai vu Jean-Baptiste dans le désert; en un mot, j'ai vu Paul dans un paradis. » La crainte où il était que le saint ermite ne mourût pendant son absence l'engagea à repartir promptement: il ne fit donc qu'entrer dans sa cellule pour prendre le manteau. L'événement montra que cette crainte n'était que trop bien fondée. En effet, il vit en chemin l'âme du bienheureux Paul monter au ciel au milieu des anges, des prophètes et des apôtres. Malgré la joie que lui causa un tel spectacle, il ne put refuser des larmes à la perte d'un trésor qu'il n'avait fait qu'entrevoir. Il se prosterna le visage contre terre pour donner un libre cours à sa douleur; puis, s'étant relevé, il continua sa route Lorsqu'il fut arrivé à la caverne, il trouva le corps à genoux, la tête levée et les mains étendues en haut: il crut d'abord qu'il priait, et il se mit aussi à prier. Mais, ne l'entendant pas soupirer, comme il avait coutume de faire dans la prière, il lui fut aisé de voir qu'il était mort. Il ne songea donc plus qu'à lui rendre les derniers devoirs. Il enveloppa son corps dans le manteau de S. Athanase, et le tira de la caverne. Son embarras fut extrême, lorsqu'il se vit dépourvu d'instrumens propres à creuser un tombeau. Dieu, en qui il avait mis sa confiance, y suppléa. Dans le moment deux lions s'approchèrent de lui; ces animaux, qui n'avaient rien de leur férocité naturelle, parurent prendre part à sa peine. Ils grattèrent ensuite la terre avec leurs ongles jusqu'à ce qu'ils eussent fait une fosse capable de contenir un corps humain. Antoine y descendit le bienheureux Paul, après avoir récité les prières de l'Eglise. Dès qu'il eut satisfait à ce que la piété chrétienne exigeait de lui, il retourna à son monastère, où il raconta à ses disciples tout ce qui lui était arrivé. Il garda toujours précieusement la tunique que S. Paul s'était tissue de ses propres mains avec des feuilles de palmier ; il s'en revêtait aux jours solennels de Pâque et de la Pentecôte. S. Paul mourut en 342, à l'âge de cent treize ans. Il en avait passé quatre-vingt-dix dans le désert. On lui donne ordinairement le titre de premier ermite pour le distinguer des autres saints du même nom.

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On dit que le corps de S. Paul fut porté à Constantinople dans ie douzième siècle, par les ordres de l'empereur Michel Comnène. On le transféra de cette ville à Venise en 1240 a. Louis Ier, roi de Hongrie, fit faire, avec l'agrément de la république, une troisième translation des reliques du saint. Elles furent déposées à Bude, sous la garde des ermites de S. Paul . La fête de notre saint est marquée au 10 de janvier dans plusieurs anciens Martyrologes d'Occident; mais elle n'est qu'au 15 du même mois dans le Martyrologe romain, ainsi que dans l'Anthologe des Grecs.

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Nous apprenons de Sulpice-Sévère que Postumien visita en 402 la cellule de S. Paul, premier ermite, qu'on montrait encore aux étrangers.

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Un célèbre contemplatif trace le portrait suivant de S. Paul, ce parfait modèle des solitaires : « S. Paul l'ermite, dit-il, ne re» cevant point cet ordre d'agir et de se communiquer, reste seul » avec Dieu seul dans un vaste désert, durant près de cent ans : ignorant tout ce qui se passe dans le monde, l'établissement de la religion, les révolutions des empires, et jusqu'à la succession des temps, connaissant à peine les choses dont il ne peut absolument » se passer, le ciel qui le couvre, la terre qui le porte, l'air qu'il respire, l'eau qu'il boit, le pain miraculeux dont il se nourrit. Que pouvait-il faire dans ce grand loisir, diront peut-être, avec » les mondains dissipés, ces âmes actives qui croiraient ne pas vi» vre, si elles n'étaient dans un mouvement perpétuel? Ce qu'il » faisait? Hélas! on pourrait, avec bien plus de sujet, vous de» mander ce que vous faites vous-même, lorsque vous ne faites » pas ce que le ciel et la terre font: la volonté de Dieu. N'est-ce » donc rien faire que de ne faire que ce que Dieu s'est proposé en » nous donnant l'être, le contempler, l'adorer, l'aimer? Est-ce être » oisif et inutile dans ce monde, que d'y être uniquement occupé » de ce que les bienheureux font dans l'autre, de ce que Dieu » même fait, et de ce qu'il peut faire de mieux? Ce qui suffira à » tous les anges et à tous les saints pendant l'éternité tout entière; ce qui suffira toujours à Dieu même, ne pourrait-il suffire » à l'homme durant cette courte et misérable vie? Faire autre a On peut voir dans Bollandus l'histoire de cette translation, que le père Gamans, jésuite, a publiée d'après un manuscrit original.

Les ermites de S. Paul, qui subsistent encore aujourd'hui dans les royaumes de Hongrie, d'Autriche et de Pologne, eurent pour fondateur le B. Eusèbe de Strigonie. C'était un riche seigneur qui se retira dans les forêts, après avoir distribué ses biens aux pauvres. Plusieurs personnes s'étant jointes à lui, il fonda le monastère de Pisilie, sous le titre de S. Paul, premier ermite, mais sous la règle des chanoines réguliers de S. Augustin. Il y mourut le 20 janvier 1270. Voyez Hermant et Hélyot.

Dial. 1, c. 17 (ol. 11), p. 84, edit. nov. Veron.

chose, si elle ne se rapporte au même but, si Dieu n'en est le principe, comme la fin, si nous ne la faisons dans une dépen>> dance continuelle de sa divine volonté, qui nous demande toujours plus le cœur que la main, et le repos de l'âme plus que son > activité: qu'est-ce, sinon se détourner de sa fin, perdre son » temps, et redemander le néant dont Dieu nous a tirés 1? »

S. ISIDORE, PRÊTRE ET HOSPITALIER

D'ALEXANDRIE.

CE saint vivait depuis plusieurs années dans la solitude, sur la montagne de Nitrie, lorsque S. Athanase l'en tira pour l'élever au sacerdoce et à la dignité de Xénodoque, ou d'hospitalier d'Alexandrie ". Il édifia cette grande ville par le spectacle de toutes les vertus chrétiennes. Etant à table, il lui arrivait souvent de dire, les larmes aux yeux : « Moi, qui suis une créature raisonnable, faite » pour jouir de la possession de Dieu, je me sers de la nourriture > des animaux,. au lieu de manger le pain des anges. » Il ne porta point de linge jusqu'à la mort, si l'on en excepte la bandelette de lin que les prêtres avaient à la tête. Jamais il n'entra dans le bain, ni ne mangea de viande; jamais il ne sortit de table sans être resté sur son appétit. Il était si fortement occupé de Dieu, qu'il lui arrivait quelquefois, dans les heures du repas, d'être ravi en esprit, au point qu'il ne pouvait plus ni parler, ni se mouvoir. Il demeura toujours inviolablement attaché à

celui de l'Eglise catholique; et apr Athanase, dont le parti était

la mort de ce saint évêque, arrivée en 373, il défendit généreusement sa mémoire. Il garda la même conduite sous Pierre II et sous Timothée Ier, qui gouvernèrent successivement l'église d'Alexandrie après S. Athanase", Enfin il eut la gloire de partager avec les Catholiques toutes les persécutions des Ariens . Il se retirait de temps en temps dans le désert de Nitrie, afin d'entretenir en lui l'esprit de recueillement et de mortification.

Théophile, qui succéda à Timothée Ier sur le siége d'Alexandrie,

Traité de la paix interieure, par le P. Ambroise de Lombez, capucin, p. 372, édit. de Paris, 1758.

a L'hospitalier était un homme préposé dans un hôpital pour avoir soin des pauvres et des étrangers.

b Pierre I gouverňa l'église d'Alexandrie jusqu'à l'an 380; et Timothée Ier, jusqu'à l'an 385.

Ces hérétiques mirent Pistus sur le siége patriarcal d'Alexandrie, au commencement du règne de Constance, en 341; ils lui donnèrent pour successeur Grégoire, qui fut tué dans une sédition en 349. Georges prit sa place en 355, et fut massacré par les païens en 361. Lucien lui succéda en 362. Tous ces patriar ches intrus persécutèrent violemment les Catholiques.

donna d'abord à Isidore les plus grandes marques d'estime et de confiance; il le députa même à Rome vers le pape S. Damase, et voulut le faire élire archevêque de Constantinople après la mort de Nectaire. Mais Isidore perdit les bonnes grâces de son patriarche, pour n'avoir pas voulu se prêter à ses vues, dans l'injuste persécution qu'il suscita à Pierre, archiprêtre d'Alexandrie 1. Un autre fait, rapporté par Socrate 2, acheva de brouiller entièrement Théophile avec notre saint. Une riche veuve avait donné à Isidore mille pièces d'or pour habiller et secourir les pauvres femmes de la ville, mais à condition que le patriarche n'en saurait rien. C'est qu'elle craignait que celui-ci, qui avait la 'fureur de bâtir, n'employât pas cette somme conformément à son intention. Isidore promit le secret; mais Théophile fut instruit de tout par ses espions. Il en fut vivement piqué, et ne pensa plus qu'aux moyens de se venger. II ne garda donc plus de mesures, et comme son ennemi ne donnait point de prise, il eut recours à de faux prétextes pour le chasser de son église. Le saint se réfugia sur la montagne de Nitrie, où les solitaires le reçurent avec beaucoup de respect.

Sa réputation était si bien établie, que quand Pallade, évêqué d'Hélénople, fut venu en Egypte pour y embrasser la vie ascétique, il alla d'abord le consulter. Isidore, avant que de lui donner définitivement son avis, exigea qu'il prît du temps pour s'exercer aux diverses pratiques de la pénitence, sous la conduite d'un habile maître de la vie spirituelle. C'était Dorothée le Thébain, qui, chaque jour, ne prenait pour nourriture que six onces de pain avec une petite poignée d'herbes. Pallade lui ayant représenté qu'il épuisait, à force d'austérités, un corps déjà cassé de vieillesse, il lui répondit : « Je le tue, ce corps, parce qu'il veut me tuer. >>

Cependant la vengeance de Théophile n'était pas encore satisfaite. Il poursuivit Isidore jusque dans le désert. Il confondit sa cause avec celle de quelques moines de Nitrie qui avaient donné dans les erreurs des Origénistes, et lui fit souffrir, comme à eux, les plus indignes traitemens. Notre saint se retira en 400 à Constantinople, où S. Chrysostôme le reçut à la communion, ayant toute fois exigé auparavant, et de lui et des solitaires qui l'accompagnaient, la condamnation expresse des erreurs qu'on leur imputait. La protection ouverte que lui accorda S. Chrysostôme le justifie pleinement de l'accusation d'origénisme, auquel il dit d'ailleurs anathème. Théophile se réconcilia même avec Isidore et les autres moines de Nitrie, après une légère soumission, et les rétablit dans la communion de l'Eglise à Chalcédoine, dans le sy, node du Chêne, sans entrer dans aucune discussion par rapport à Sozom. l. 8, c. 3 et 12. 2 L. 6, c. 9.

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