Images de page
PDF
ePub

qu'autant qu'il le fallait pour soutenir la nature 1. » Il avait entièrement renoncé à sa volonté propre, pour ne faire que celle des autres, et c'était pour cela qu'il ne refusait point de boire le vin qu'on lui présentait; mais ensuite il se privait de toute espèce de boisson pendant deux ou trois jours, afin de se punir en quelque sorte de sa complaisance. Evagre, qui s'en aperçut, pria les étrangers de ne lui plus offrir de vin 2.

[ocr errors]

Les instructions qu'il donnait aux autres étaient conçues en peu de paroles, et avaient pour but principal de recommander le silence, la prière, le recueillement, l'humilité et la mortification : vertus qu'il possédait lui-même dans le plus parfait degré. « Quand >> vous priez, disait-il, il n'est pas besoin d'user de beaucoup de paroles. Il suffira de répéter souvent dans la sincérité du cœur > ce peu de mots : Seigneur, faites-moi miséricorde de la manière » que vous jugerez m'être la plus utile. Mon Dieu, secourez-moi 3.» Il connaissait par expérience l'efficacité de ces oraisons jaculatoires, et il n'y en avait point qu'il aimât tant que celle-ci, qui est tout à la fois le langage de la résignation et de l'amour : « Sei» gneur, ayez pitié de moi de la manière que vous le voulez, et » que vous savez être plus conforme à votre bonté “. »

On ne pouvait se lasser d'admirer la douceur et la patience de Macaire. Rien n'était capable d'altérer en lui ces deux vertus. Un prêtre païen et plusieurs autres infidèles en furent si frappés, qu'ils se convertirent à la religion chrétienne *. Son humilité n'était pas moins admirable: elle tira un jour cet aveu du démon luimême. « Macaire, disait-il au serviteur de Dieu, je peux bien te surpasser en veilles, en jeûnes et en plusieurs autres choses; >> mais ton humilité me confond et me désarme 5.

ע

Plusieurs personnes s'empressaient de toutes parts d'aller consulter le saint abbé. De ce nombre fut un jeune homme qui voulait embrasser la vie solitaire. Macaire lui ordonna de se rendre dans un lieu rempli de morts, et de leur dire des injures. Il l'y fit retourner une seconde fois pour leur donner des louanges. A son retour, il lui demanda quelle réponse les morts lui avaient faite. * Ils n'ont répondu, dit le jeune homme, ni aux injures ni aux »louanges. Allez donc, reprit le saint, et imitez leur insensibilité. » Si vous mourez au monde et à vous-même, vous commencerez ⚫ à vivre pour Jésus-Christ. » Comme nous ne pouvons rapporter

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

toutes les paroles de Macaire, nous nous contenterons de citer quelques exemples. On jugera par là des progrès qu'il avait faits dans la vie spirituelle.

[ocr errors]

Il dit un jour à une personne : « Si vous recevez de la main de » Dieu la pauvreté comme les richesses, la faim et la nécessité » comme l'abondance et les festins, vous terrasserez à coup sûr » l'ennemi de votre salut, et vous dompterez toutes vos passions'. Un anachorète se plaignant à lui de ce qu'une faim dévorante le sollicitait toujours à rompre le jeûne dans la solitude, au lieu que dans le monastère il passait aisément des semaines entières sans manger, il lui répondit agréablement : « C'est, mon fils, que dans >> le désert vous n'avez personne qui soit témoin de vos jeûnes, • qui vous soutienne et vous nourrisse de ses louanges; au lieu ⚫ que la vaine gloire était votre nourriture dans le monastère, ou » le plaisir de vous distinguer des autres par votre abstinence » vous valait un bon repas 2. » Un autre anachorète l'ayant consulté sur les moyens de vaincre les efforts de l'esprit impur qui le tentait violemment, le saint, qui vit que ces tentations venaient de l'oisiveté, lui conseilla de s'occuper fortement de son travail, de ne pas le discontinuer pendant tout le jour, et de ne manger qu'après le coucher du soleil. Le solitaire obéit de point en point, et fut délivré de ses peines.

Macaire apprit un jour par révélation qu'il n'était pas encore aussi parfait que deux femmes mariées qui demeuraient dans une ville voisine. Il partit aussitôt pour les visiter : il trouva effectivement qu'elles menaient la vie la plus sainte. Attentives à veiller sur leurs langues, elles ne prononçaient jamais de paroles inutiles. Humbles, patientes, douces, complaisantes pour leurs maris, elles se conformaient en tout à leurs volontés, lorsque la loi de Dieu n'y mettait point d'obstacle. Toujours recueillies, elles recouraient fréquemment à Dieu par des oraisons jaculatoires, afin de lui consacrer sans cesse toutes les puissances de leurs âmes et de leurs corps 3.

Outre le don de prophétie, notre saint avait encore celui des miracles. Il en donna une preuve éclatante dans une occasion où il s'agissait de confondre l'erreur. Un hérétique de la secte des Hiéracites s'était insinué dans le désert, où il répandait ses dogmes impies. Quelques solitaires, émus de ses discours captieux, étaient en danger de perdre la foi. Macaire en fut alarmé, et opRosweide, l. 7, c. 38; Cotel. tom. 1, Rosweide, l. 3, c. 97; l. 6, c. 3, § 17, p. 537. p. 657. Cassien, Collat. 5, c. 32.

a Ainsi appelés d'Hiérax, leur chef, qui dogmatisait en Egypte vers le temps de l'empereur Dioclétien. Entre autres erreurs, il niait la résurrection des corps

par

posa la doctrine de l'Eglise aux vains sophismes de l'hérétique. Mais, comme il avait affaire à un ennemi souple et rusé, qui persistait toujours à débiter ses chimères, il proposa de confirmer un miracle la croyance que ses frères et lui avaient eue jusqu'alors. Il ressuscita effectivement un mort a, ce qui couvrit l'hérétique de confusion, et affermit les solitaires dans la vraie foi.

Ce fut par une suite de ce même attachement à la foi catholique, que S. Macaire et ses disciples détestèrent toujours les impiétés de l'arianisme. Luce, patriarche arien d'Alexandrie, convaincu par l'expérience que les solitaires étaient inébranlables dans la doctrine des Pères du concile de Nicée, envoya des troupes dans les déserts pour les disperser. Il y en eut plusieurs qui remportérent la couronne du martyre; mais les principaux d'entre eux, tels que les deux Macaire, Isidore, Pambon, etc. furent relégués, par l'ordre de l'empereur Valens, dans une petite île d'Egypte, environnée de marais. On vit bientôt dans cette île un changement prodigieux. Les païens qui l'habitaient, instruits par les saints confesseurs, renoncèrent au culte de leurs idoles, et reçurent le baptême 1. Dès que le peuple d'Alexandrie eut appris cette nouvelle, il chargea Luce de malédictions, pour avoir exilé des saints qui n'étaient occupés que du soin de plaire à Dieu et d'accroître le royaume de Jésus-Christ. On cria de toutes parts à l'injustice et à l'impiété, de sorte que le patriarche, qui craignait une sédition, permit aux solitaires bannis de retourner dans leurs cellules.

[ocr errors]

S. Macaire, rendu à la solitude, reprit ses exercices ordinaires. Ayant connu quelque temps après qu'il était proche de sa fin, il fit une visite aux solitaires de Nitrie. Il leur donna des instructions. si touchantes sur la componction, qu'ils se prosternèrent tous à ses pieds, les yeux-baignés de larmes : « Pleurons, mes frères, leur disait-il; que nos yeux versent sans cesse des torrens de larmes' » dans cette vie, de peur que nous ne tombions dans cet abîme où >> elles ne serviraient qu'à donner une plus grande activité au feu » qui brûlerait nos corps 2. » Le saint ne survécut pas de beaucoup à cette visite; il sortit de ce monde en 390, pour aller recevoir la récompense de ses travaux. Il était âgé de quatre-vingt-dix ans, et en avait passé soixante dans le désert de Scété 3.

Notre saint paraît avoir été le premier anachorète qui ait habité

a Ceci est rapporté par Socrate, Sozomène, Pallade ct Rufin. Selon Cassien, S. Macaire fit seulement parler un corps mort, et lui dit ensuite de reposer en paix jusqu'à la résurrection générale.

Les Ariens avaient mis Luce sur le siége d'Alexandrie, après en avoir chassé. Pierre, successeur de S. Athanase. Ce fut en 376 que cet intrus persécuta les. solitaires.

Théodoret, l. 4, c. 18 et 19; Socrat. 1. 4, c. 22; Sozom. l. 6, c. 19 et 20; Rufin, 7. 2, c. 3; S. Jérôme, in Chron. Óros. 4. 7, c. 33; Pallad. Laus. c. 117.

[blocks in formation]
[ocr errors]

cette vaste solitude. Cassien le dit expressément1. Quelques auteurs lui donnent le titre de disciple de S. Antoine; mais leur opinion n'est appuyée sur aucun fondement solide ". On trouve le nom de S. Macaire d'Egypte au 15 de janvier dans le Martyrologe romain, et au 19 du même mois dans les Ménées des Grecs ".

1 Collat. 15, c. 18; Tillemont, not. 3, p. 806.

a ce titre convient plutôt à S. Macaire d'Alexandrie. Dans quel temps, en effet, S. Macaire d'Egypte aurait-il vécu sous la conduite de S. Antoine? Ce ne fut point avant son entrée dans le désert de Scété, comme l'histoire de sa vie le donne assez à entendre. Ce ne fut point non plus après son entrée dans ce désert. Il est bien vrai qu'il fit une visite à S. Antoine, dont la demeure était éloignée de la sienne de quinze jours de marche. ( Rosweide, l. 5, c. 7, § 9; Cotel. Apophthegm. Patr. p. 530; Tillemont, art. 4, p. 581, et note 4, p. 806.) Mais cela ne suffit pas pour dire qu'il a été disciple du saint patriarche des solitaires.

On attribue à notre saint une ancienne règle monastique, ainsi qu'une lettre à des moines, laquelle est par sentences, comme le livre des Proverbes. Mais il est plus probable, selon Tillemont, p. 809, que l'une et l'autre sont l'ouvrage de S. Macaire d'Alexandrie, qui avait à Nitrie la conduite de cinq mille moines. S. Macaire n'a laissé qu'une lettre, au rapport de Gennade, Catal. c. 10. Cet écrivain ne déterminant point de quel Macaire il veut parler, ce qu'il dit peut fort bien être entendu de celui d'Alexandrie. Il faut encore observer que Gennade, qui écrivait dans les Gaules, n'avait peut-être pas vu tous les ouvrages d'un auteur qui vivait dans un pays si éloigné du sien, et dont la langue était si peu connue en Occident.

Nous avons encore cinquante homélies qui portent le nom de S. Macaire. Le premier éditeur de ces homélies les attribue à S. Macaire d'Egypte; ce que font aussi quelques manuscrits. Mais le père Poussines les regarde comme l'ouvrage de Macaire de Pispir, qui eut soin de S. Antoine pendant sa maladie, et qui paraît avoir été plus ancien que ceux d'Egypte et d'Alexandrie. D'autres ont cru que le Macaire dont il s'agit était celui d'Alexandrie. Dupin et Tillemont se sont déclarés pour celui d'Egypte. Leur opinion a été adoptée et fort bien défendue par un savant anglais, qui a donné une bonne traduction de ces homélies, laquelle fut imprimée à Londres en 1721, in-8°. Quoi qu'il en soit, les plus habiles critiques y ont reconnu des preuves de la plus haute antiquité.

Dom Ceillier a porté de ces homélies un jugement assez désavantageux, à cause de quelques endroits qui semblent favoriser le pélagianisme. Mais les passages qui ont choqué cet habile bénédictin peuvent s'expliquer par d'autres passages où cette hérésie est ouvertement condamnée. Il n'y règne pas un certain ordre, ce qui vient sans doute de ce qu'elles furent composées pour répondre à diverses questions proposées par des moines. L'auteur était certainement fort versé dans la connaissance des voies intérieures de la piété. Citons quelques exemples.

« Rien n'est comparable à la paix et aux douceurs que goûte une âme cru» cifiée au monde parmi les consolations du Saint-Esprit qui réside en elle. Les » anges mêmes s'attristent, autant que leur état peut le permettre, sur le sort >> des âmes infortunées qui dédaignent ces délices ineffables. C'est ainsi que les » hommes pleurent l'état d'un de leurs meilleurs amis, quand ils le voient étendu » sur un lit de mort. Hom. 1.

>> Faisons-nous un devoir de l'exercice de la présence de Dieu. Si nous y sommes » fidèles, nous triompherons de nos ennemis, et rapporterons tout à la gloire » de Dieu. Alors, soit que nous travaillions, soit que nous lisions, soit que nous >> priions, nous aurons continuellement le Seigneur dans nos pensées, et le Saint» Esprit dans nos cœurs. Hom. 3.

» Voulons-nous vaincre nos passions; veillons continuellement sur nos sens >> et sur nos actions. Sans cette vigilance, nos chutes se multiplieront à l'infini. » Il n'y a que les âmes parfaitement détachées du monde, qui soient dignes d'être >> les épouses de Dieu. Pour celles qui aiment la terre, et dont les pensées et les >> affections sont toutes terrestres, elles ne peuvent aspirer à cet honneur. Il faut >> avoir la conscience pure, pour arriver à cette sainte prudence qui triomphe des passions et qu'on peut appeler l'œil de l'âme au milieu des dangers de » cette vie. C'est par la pureté de conscience que nous nous élèverons jusqu'à >> Dieu, que nous nous unirons à lui, et que nous mènerons une vie toute » divine dans un corps mortel. Hom. 4.

» Comme Dieu ne descend point dans une âme où règnent le trouble, l'inquié

S. HONORAT, ÉVÈQUE D'ARLES,

S. HONORAT, évêque d'Arles et fondateur du monastère de Lérins, naquit dans les Gaules, d'une illustre famille originaire de Rome, laquelle comptait plusieurs consuls. Il reçut une éducation conforme à sa naissance, et se rendit fort habile dans l'étude des belles-lettres. Dès sa jeunesse, il eut le bonheur de connaître la vanité des idoles, et de s'attacher au service du vrai Dieu. Il engagea Vénance, son frère aîné, à imiter sa conduite. Convaincus tous deux du néant des grandeurs humaines, ils n'eurent pour elles qu'un souverain mépris. Ils auraient bien voulu renoncer entièrement au monde; mais leur père, païen zélé, s'opposait a l'exécution de leurs désirs. A la fin pourtant ils eurent le courage de rompre tous les liens qui les retenaient dans le siècle. Ils prirent avec eux un saint ermite nommé Caprais, qu'ils avaient choisi pour leur directeur, et s'embarquèrent à Marseille pour passer dans la Grèce. Leur dessein était d'y vivre inconnus dans quelque désert. Vénance mourut quelque temps après de la mort des justes a. Pour Honorat, sa santé se dérangea considérablement, et il fut obligé de revenir dans les Gaules.

Il vécut d'abord en ermite sur les montagnes voisines de Fréjus. Il se retira ensuite dans la petite île de Lérins ', où il fonda le célèbre monastère de ce nom, vers l'an 400. Quelques-uns de ses disciples vivaient en communauté, et les plus parfaits, dans deș cellules séparées les unes des autres. La règle que le saint leur

»tude et la dissipation, bannissons-les de la nôtre, lorsque nous voulons prier. » Ce sera un moyen efficace d'être exaucés. Hom. 1.

» Il en coûte pour obtenir les consolations intérieures que le Saint-Esprit » communique. Il faut les acheter par beaucoup d'épreuves. Elles ne sont que » pour ceux qui sont morts au monde, et dont le cœur est uni à Dieu par des » liens si forts, qu'aucune créature ne puisse l'en détacher, ni même partager yses affections. Hom. 9.

» Les âmes lâches, tièdes et paresseuses, sont dans un état fort dangereux. » Elles ne peuvent faire ce que Dieu exige de tous ceux qui le servent, c'est-à» dire avancer dans la vie spirituelle de la grâce. Hom., 10.

» Le Saint-Esprit est dans nos cœurs, comme un feu brûlant qui nous communique une activité toujours nouvelle, et qui nous fait soupirer de plus en » plus après la possession de Dieu. » Hom. 11.

On trouve des instructions aussi solides dans les autres homélies; et ce qui prouve que l'auteur n'est point pélagien, c'est qu'il enseigne l'existence du péché originel dans la quarante-huitième, p. 101, tom. 4, Bibl. Patr. Coloniæ, 1618. Il reconnaît aussi la nécessité de la grâce de Jésus-Christ, sans laquelle il dit que nous ne pouvons rien.

a Dans la ville de Méthone en Péloponèse. C'est aujourd'hui Modon, dans la Morée, de la province de Belvedere.

b A deux licues d'Antibes. Elle est aujourd'hui appelée l'île de Saint-Honorat. Il y a dans le voisinage une autre ile plus grande, appelée autrefois Lero, et aujourd'hui Sainte-Marguerite,

« PrécédentContinuer »