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qu'au lever du soleil, et souvent jusqu'à trois heures après midi '. Quelquefois il se plaignait de ce que le retour de l'aurore le rappelait à ses occupations journalières 2. « Qu'ai-je affaire de ta lumière, disait-il au soleil, lorsqu'il commençait à paraître ?-pour» quoi viens-tu me distraire? pourquoi ne te lèves-tu que pour » m'arracher à la clarté de la véritable lumière ? » Cassien, qui rapporte ce trait, ajoute que, parlant de l'oraison, il disait que celle d'un religieux n'était pas parfaite, lorsqu'en priant il s'apercevait lui-même qu'il priait : ce qui fait voir combien son oraison était sublime.

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Les visions dont nous avons déjà parlé ne furent pas les seules dont Dieu favorisa son serviteur. Il lui découvrit, sous la figure de mulets qui renversaient l'autel à coups de pied, les horribles ravages que les Ariens causèrent deux ans après dans la ville d'Alexandrie. Et de graves auteurs nous assurent qu'il prédit clairement les excès auxquels la fureur de ces hérétiques se porta. Il détestait en général tous les ennemis de l'Eglise; il les chassait de sa montagne, en les traitant de serpens venimeux, et jamais il ne leur parlait, à moins qu'il ne fût question de les exhorter à rentrer dans l'unité.

Plusieurs évêques, persuadés que personne ne serait plus propre que notre saint à confondre les Ariens, l'engagèrent, vers l'an 355, à faire un voyage à Alexandrie. Il se rendit à leurs sollicitations. A peine fut-il arrivé dans cette ville, qu'on l'entendit prêcher hautement la foi catholique. Il enseignait que le Fils de Dieu n'était point une simple créature, mais qu'il était consubstantiel au Père. « Il n'appartient, disait-il, qu'aux sectateurs impies d'Arius » de le traiter de créature. Aussi ne diffèrent-ils pas des païens, qui » rendaient un culte sacrilege à la créature, au lieu d'adorer le Créa»teur. >> Tout le monde s'empressait d'aller le voir et de l'entendre. Les idolâtres partageaient cet empressement avec les Chrétiens. « Nous voulons voir l'homme de Dieu », disaient-ils. Il y en eut plusieurs d'entre eux qui, frappés de ses discours et de ses miracles, demandèrent le baptême. Antoine vit à Alexandrie le célèbre Didyme, qui, quoique aveugle depuis l'âge.de quatre ans, s'était néanmoins rendu très-habile dans toutes sortes de sciences, et qui, à cause de son zèle à défendre la foi de Nicée, était fort estimé de S. Athanase et de tous les évêques catholiques. Il lui dit, un jour qu'ils s'entretenaient ensemble : « Pourriez-vous regretter la perte » de la vue? Les yeux vous étaient communs avec les mouches, les » fourmis et les animaux les plus méprisables. Vous devez pluHom. VIII in Matth. S. Jérôme, ep. 16; Sozom. l. 6, c. 5.

1 Pallad. Laus.

2 Cassian. Collat. 9, cap. 31, p. 495. S. Athan. n. 82, p. 857; S. Chrysost.

4 S. Athan. n. 68, 69, p. 847.

» tôt vous réjouir de posséder une lumière qui ne se trouve que » dans les apôtres, les saints et les anges: lumière par laquelle » nous voyons Dieu même, et qui allume dans nous le feu d'une » science toute céleste. La lumière de l'esprit est infiniment préfé rable à celle du corps. Il ne faut qu'un regard impudique pour » que les yeux charnels nous précipitent dans l'enfer. » Le saint, ayant passé quelques jours à Alexandrie, ne pensa plus qu'à retourner dans sa cellule. En vain le gouverneur d'Egypte voulut le retenir plus long-temps ; il ne répondit à ses invitations que par ces paroles: « Il en est d'un moine comme d'un poisson; l'un meurt s'il quitte l'eau, et l'autre, s'il quitte la solitude. » S. Athanase le reconduisit par respect jusqu'aux portes de la ville, où il le vit guérir une fille possédée du démon.

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Plusieurs philosophes païens, curieux de voir un solitaire dont la renommée publiait tant de merveilles, visitèrent souvent Antoine, dans le dessein de disputer avec lui. Il leur prouvait d'une manière invincible que la religion chrétienne est la seule vraie, la seule qu'on puisse professer avec sûreté. « Nous autres Chrétiens, leur disait-il, en prononçant seulement le nom de Jésus crucifié, nous mettons en fuite ces démons que vous adorez » comme des dieux. Leurs prestiges et leurs charmes perdent » toutes leurs forces où le signe de la croix est formé. » Il confirmait ce qu'il avait avancé en invoquant le nom de Jésus, et en faisant le signe de la croix sur des possédés qui, se trouvant toutà-coup délivrés, se levaient pour témoigner à Dieu leur reconnaissance 2. Quelques-uns de ces philosophes lui demandèrent un jour à quoi il pouvait s'occuper dans son désert, puisqu'il était privé du plaisir que l'on goûte dans la lecture. « La nature, répondit-il, est pour moi un livre qui me tient lieu de tous les >> autres. » Quand il y en avait qui voulaient tourner en ridicule son ignorance dans les sciences profanes, il leur demandait avec une simplicité admirable, qui de la raison ou de la science était la première, et laquelle des deux avait produit l'autre ? « C'est sans » doute la raison, répondirent-ils. La raison suffit donc, repre» nait le saint. » C'était ainsi qu'il confondait ces prétendus savans, et qu'il prévenait toutes leurs objections. Ils s'en allaient si frappés de la sagesse de ses discours, qu'ils ne pouvaient lui refuser leur admiration. D'autres, dans le dessein de le trouver en défaut, l'interrogèrent sur les raisons qu'il avait de croire en JésusChrist. Mais il leur ferma la bouche, en leur montrant que d'attribuer, comme eux, les vices les plus infâmes à la divinité, c'était la dégrader; que le mystère humiliant de la croix était la preuve 1 S. Athan. n. 85, p. 859. 2 Ibid. n. 80, p. 855.

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la plus sensible de la bonté divine, et que les humiliations passagères de Jésus-Christ avaient été amplement effacées par la gloire de sa résurrection et par les miracles sans nombre qu'il avait opérés, en rendant la vie aux morts, la vue aux aveugles, la santé aux malades. Il établissait ensuite que la foi en Dieu et les œu vres dont elle est le principe avaient quelque chose de bien plus clair et de bien plus satisfaisant que toutes les rêveries des Grecs a..

On ne peut douter de l'attachement de S. Antoine à la doctrine du concile de Nicée, après ce que nous avons dit de son voyage à Alexandrie. Ce ne fut pas cependant la seule occasion où il fit connaître ses sentimens ; car il n'eut pas plus tôt été informé que le faux patriarche Grégoire, soutenu de l'autorité du duc Balac, persécutait les orthodoxes avec fureur, qu'il lui écrivit de la manière la plus pressante pour l'exhorter à ne pas déchirer le sein de l'Église. Malheureusement sa lettre ne produisit aucun effet : le duc, au lieu d'y avoir égard, la mit en pièces, cracha dessus et la foula aux pieds. Il menaça même le saint de décharger sur lui le poids de son indignation. Mais la justice de Dieu ne tarda guère à le punir. En effet, allant cinq jours après 1, sur des chevaux de sa propre écurie, avec Nestor, gouverneur d'Egypte, ces animaux se mirent à jouer ensemble, et celui que Nestor montait, quoique très-doux, se jeta sur Balac, le renversa par terre, et, hennissant contre lui, le mordit plusieurs fois à la cuisse. Le duc, extraordinairement maltraité, fut porté à la ville, où il mourut au bout de deux jours.

La vénération qu'on avait pour notre saint était si universelle, que le grand Constantin et ses deux fils Constance et Constant lui écrivirent vers l'an 337. Ces princes, dans leur lettre commune, sollicitaient le secours de ses prières, et lui témoignaient le plus vif empressement de recevoir une réponse de sa part. Les disciples d'Antoine étant surpris de l'honneur que lui faisait le maître du monde, il leur dit : « Vous ne devez pas vous étonner de ce que je reçois une lettre de l'empereur: c'est un homme qui écrit » a un autre homme. Mais étonnez-vous de ce que Dieu nous a >> fait connaître ses volontés par écrit, et de ce qu'il nous a parlé par son propre Fils. » Il ne voulut pas d'abord faire de réponse, alléguant pour raison qu'il ne savait comment s'y prendre. A la fin pourtant il céda aux représentations réitérées de ses disciples, et écrivit à l'empereur et à ses enfans une lettre dans laquelle il

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S. Antoine, comme le rapporte S. Athanase, n. 77, p. 852, se servit d'un interprète pour disputer contre ces philosophes grecs.

1 S. Athan. n. 86, p. 860.

les exhortait à mépriser le monde, et à ne jamais perdre de vue la pensée du jugement dernier. Elle nous a été conservée par

S. Athanase.

Le saint écrivit aussi plusieurs lettres à divers monastères d'Egypte, dans lesquelles on trouve le style des apôtres et la so·lidité de leurs maximes. Il insiste fortement, dans celle qui est adressée aux moines d'Arsinoé, sur la nécessité d'opposer aux tentations la vigilance, la prière, la mortification et l'humilité. Il y observe, pour mieux faire sentir le danger de l'orgueil, que, c'est ce péché qui a perdu le démon, et par conséquent celui dans lequel il s'efforce particulièrement d'entraîner les hommes. Il répète souvent que la connaissance de nous-même est l'unique moyen de nous élever à la connaissance et à l'amour de Dieu. Il ne paraît pas que S. Antoine ait écrit de règle pour ses disciples ; du moins les anciens auteurs n'en ont rien dit. Ses exemples et ses instructions étaient une règle vivante à laquelle les saints moines de tous les siècles ont toujours essayé de conformer leur vie.

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Dieu fit connaître au saint la décadence future de l'état monastique. Il en avertit ses disciples un jour qu'ils marquaient leur surprise de ce qu'un si grand nombre de personnes venaient pratiquer dans la solitude tout ce que la pénitence a de plus rigoureux. « Un jour viendra, leur dit-il les larmes aux yeux, que >>> les moines se construiront des bâtimens magnifiques dans les villes, qu'ils aimeront la bonne chère, et qu'ils ne se distingue»ront plus des personnes du monde que par leur habit. Cependant, malgré cette corruption générale, il s'en trouvera toujours quelques-uns qui conserveront l'esprit de leur état. Aussi » leur couronne sera-t-elle d'autant plus glorieuse, que leur vertu n'aura point succombé à la multitude des scandales '. » C'était a S. Jérôme parle de sept. Les originaux, écrits en langue égyptienne, se conservent encore dans plusieurs monastères d'Egypte. Nous n'en avons qu'une assez mauvaise traduction latine, faite sur le grec. (In Bibl. Patr. Colon. tom. 4, p. 26.) Voyez le livre intitulé : S. Antonii Magni Epistolæ 20, curâ Abraham Eckellensis, imprimé à Paris, en 1641. De ces vingt lettres attribuées à S. Antoine, il n'y a que les sept dont nous avons parlé ci-devant qui soient véritablement de lui; on ne peut pas non plus lui ôter les discours rapportés dans sa Vie par S. Athanase.

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Les Bollandistes ont publié, maii, tom. 3, p. 355, une courte lettre de S. Antoine à S. Théodore, abbé de Tabenne, dans laquelle il dit que Dieu lui avait assuré, dans une révélation, que tous les pécheurs sincèrement repentans de leurs fautes en obtiendraient le pardon.

c Celle que l'on trouve sous son nom dans Abraham Eckellensis est de beaucoup postérieure au temps où il vivait. En Orient, plusieurs moines de SaintBasile portent, depuis le septième siècle, le nom de moines de Saint-Antoine; mais ils suivent toujours la règle contenue dans les ouvrages ascétiques de S. Basile. Ils observent encore les jeûnes et les autres pratiques qui sont en usage dans les monastères de l'ordre de Saint-Basile. Il en est de même des Maronites, et Tillemont se trompe en disant le contraire,

Rosweide, Vit Patr. l. 5, c. 8.

TOME I.

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dans l'intention de prévenir ce malheur, que le saint inculquait si fréquemment à ses disciples le mépris du monde, la nécessité d'avoir toujours la mort présente à son esprit, d'avancer continuellement dans la perfection, d'être sans cesse en garde contre les artifices du démon, et de bien discerner les esprits '.

Antoine, qui sentait que sa fin approchait, entreprit la visite de ses monastères. Ses disciples, auxquels il prédit sa mort prochaine, le conjurèrent tous, les larmes aux yeux, de rester avec eux jusqu'à son dernier moment; mais il ne voulut jamais y consentir. Il craignait qu'on n'embaumât son corps, suivant la coutume des Egyptiens, abus qu'il avait lui-même condamné, comme ayant la vanité et quelquefois la superstition pour principe; et ce fut pour empêcher qu'on ne le commît à son égard, qu'il avait expressément recommandé à Macaire et à Amathas, qui demeurèrent avec lui les quinze dernières années de sa vie, de l'enterrer comme les patriarches l'avaient été, et de garder le secret sur le lieu de son tombeau. De retour dans sa cellule, il y tomba malade peu de temps après. Il réitéra à ses deux disciples les ordres qu'il leur avait donnés précédemment sur sa sépulture, puis il ajouta: Lorsque le jour de la résurrection sera venu, je recevrai ce corps > incorruptible de la main de Jésus-Christ. Partagez mes habits; » donnez à l'évêque Athanase une de mes peaux de brebis, avec » le manteau a sur lequel je couche; donnez à l'évêque Sérapion » l'autre peau de brebis, et gardez pour vous mon cilice. Adieu, » mes enfans, Antoine s'en va, et n'est plus avec vous. » Quand il eut ainsi parlé, Macaire et Amathas l'embrassèrent : il étendit ses pieds, et s'endormit paisiblement dans le Seigneur. Ceci arriva l'an 356. Il paraît que ce fut le 17 de janvier, jour auquel les plus anciens Martyrologes le nomment, et auquel les Grecs célébré rent sa fête peu de temps après sa mort. Il était âgé de cent cinq' ans; et, malgré ses grandes austérités, il n'avait éprouvé aucune de ces infirmités qui sont le partage ordinaire de la vieillesse. Il fut enterré comme il l'avait ordonné.

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Son corps ayant été découvert en 561, il fut transféré avec beaucoup de solennité à Alexandrie. Les Sarrasins s'étant emparés de l'Egypte vers l'an 635, on le porta à Constantinople 2. Bolland. p. 162, 1134.

4 S. Athan. n. 16 et 43.

a S. Athanase se sert du mot épendytes ( n. 46, p. 831 ); ce qui a fort embarrassé les critiques. Il semble que c'était un manteau de laine blanche.

b Il voulait montrer par là qu'il mourait dans la communion de S. Athanase. c La translation des reliques de S. Antoine à Alexandrie a été révoquée en doute par quelques Protestans. Mais elle est attestée par Victor de Tunes (Chron. p. 22, in Scaliger Thesauro), qui était alors relégué à Canope, bourg éloigné seulement de quatre à cinq lieues d'Alexandrie, et qui pouvait avoir été témoin oculaire de cette cérémonie. S. Isidore de Séville, qui vívait dans le même siècle, Bède, Usuard, etc. ont aussi parlé de cette translation, comme d'un fait certain.

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