Images de page
PDF
ePub

monta sans effroi sur l'instrument préparé pour cette question. C'était un lit de fer dont les barres, faites en forme de scie et garnies de pointes très-aiguës, étaient posées sur un brasier ardent. On étendit et on lia le saint sur cette horrible machine. Toutes les parties de son corps qui n'étaient pas tournées du côté du feu furent déchirées à coups de fouet et brûlées avec des lames toutes rouges. On jetait du sel sur ses plaies, et les pointes de ce sel, aidées par l'activité du feu, entraient fort avant dans sa chair. On tourmenta successivement de la sorte les différentes parties de son corps, et cela à diverses reprises. Sa graisse, qui fondait de tous côtés, servait d'aliment aux flammes et en augmentait la violence. Ce supplice, dont la seule pensée saisit d'horreur, semblait ranimer sans cesse le courage du serviteur de Jésus-Christ; car plus il souffrait, plus il paraissait gai et content. Cependant le juge, couvert de confusion et outré de rage, n'était plus maître de luimême. Il demandait continuellement aux ministres de sa cruauté ce que faisait, ce que disait Vincent. Il est toujours le même, répondaient-ils; il persiste toujours dans sa première résolution; on dirait que les tourmens ne font qu'accroître et affermir sa constance. Effectivement, le martyr invincible ne perdait rien de sa tranquillité. Il se contentait de lever les yeux au ciel et de s'entretenir intérieurement avec Dieu par une prière continuelle.

Le gouverneur, au désespoir, le renvoya en prison, avec ordre de le coucher sur des morceaux de pots cassés, et de lui mettre les pieds dans des ceps de bois qui lui tinssent les jambes fort écartées, et de ne laisser entrer personne, soit pour le voir, soit pour lui parler, ce qui fut ponctuellement exécuté. Mais Dieu n'abandonna pas son serviteur. Des anges, descendus du ciel, vinrent le consoler et chanter avec lui les louanges de son protecteur. Le geôlier ayant regardé par les fentes de la porte, vit le cachot éclairé d'une vive lumière, et le saint qui se promenait en chantant des hymnes. Il fut si frappé de ce prodige qu'il se convertit sur-le-champ, et reçut ensuite le baptême. Cette nouvelle fut pour Dacien comme un coup de poignard; il en pleura même de rage. Il laissa pourtant le saint en repos. Les fidèles eurent aussi la permission d'aller le visiter; ils baisaient en pleurant les cicatrices de ses plaies, et recueillaient son sang dans des linges qu'ils emportaient respectueusement chez eux, comme un préservatif assuré qui les garantirait de tous maux. On mit ensuite le saint sur un lit fort mou; mais à peine y fut-il couché, qu'il expira. On croit que sa bienheureuse mort arriva le 22 janvier 304.

Dacien fit jeter son corps dans un lieu marécageux; mais Dieu commit un corbeau pour le défendre contre la voracité des bêtes

et des oiseaux de proie. Il fut ensuite jeté dans la mer, cousu dans un sac, auquel on avait attaché une grosse pierre. Le dessein du gouverneur échoua encore. Le sac fut poussé sur le rivage par une attention particulière de la Providence. Deux Chrétiens, ayant connu par révélation le lieu où était le corps du saint martyr, l'enlevèrent secrètement et l'enterrèrent dans une petite chapelle hors des murs de Valence ", où il s'opéra plusieurs miracles par la vertu de ses reliques. On garda aussi précieusement le lit de fer et les autres instrumens qui avaient servi à son martyre 1. Vers l'an 864, on transporta les reliques du saint, de Valence à l'abbaye de Castres, en Languedoc, pour les soustraire à la fureur sacrilége des Maures. On en donna une partie à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés et à quelques autres églises. Ce qui en restait à Castres fut brûlé par les Huguenots vers la fin du seizième siècle 2. Le moine Aimoin, auteur contemporain 3, nous a laissé l'histoire de la translation des reliques de S. Vincent à Castres avec une relation de plusieurs miracles opérés par leur vertu.

Jamais Dieu ne manifesta plus visiblement sa puissance, que quand il permit aux païens d'éprouver son Eglise par le feu des persécutions. Jamais le triomphe de sa grâce ne parut avec plus d'éclat que dans les victoires des martyrs et dans les vertus héroïques qu'ils firent briller au milieu des tourmens les plus affreux. Que leur exemple nous apprenne au moins à nous humiher. Nous ne voulons rien souffrir pour Jésus-Christ; la plus légère contradiction nous abat et nous décourage. Lâches et impatiens, nous aimons à nous représenter notre situation comme la plus malheureuse qu'il y ait au monde. Il est vrai que la nature souffre dans les épreuves, et que l'on peut demander à Dieu d'en être délivré, pourvu qu'il y trouve l'intérêt de sa gloire. Mais attendons sans murmurer l'effet de nos prières; et si nous ne sommes pas exaucés, souffrons avec résignation. Dieu ne se retire de nous que pour nous procurer l'occasion de le chercher avec plus d'ardeur, et nous faire désirer de lui être unis d'une manière plus intime.

a On apprend ceci des Actes du saint, publiés par Ruinart et Bollandus.

Cet Aimoin est un peu plus ancien que le moine du même nom qui nous a laissé une histoire de France. Ce qu'il dit est fondé sur l'autorité d'Audalde, moine de Conques, dans le diocèse de Rodez, lequel apporta les reliques de notre saint, de Valence en Languedoc. Les Portugais prétendent qu'elles furent transférées de Valence à Lisbonne, dans le douzième siècle, sous le règne d'Alphonse Henriquès. Ils ajoutent que depuis l'an 1137, ils font la fête de cette translation le 15 septembre, fête qui depuis a été approuvée par Sixte V. On peut voir leurs raisons dans Mariana, Hist. l. 7, c. 6; dans Resende, Annal. Lusitan. dans Bollandus, etc. Voyez encore Thomas de l'Incarnation, chanoine régulier, dans son Historia Ecclesiæ Lusitana, imprimée à Lisbonne en 1759, tom. 1, sæc. 4, r. 6, p. 215.

Voyez Prudence.

• Voyez Chastelain, p 378.

S. ANASTASE, MARTYR.

Tiré de ses Actes sincères, qui furent loués par le septième concile général, environ cent soixante ans après la mort du saint.

L'AN 628.

CHOSROES, roi de Perse, s'étant rendu maître de Jérusalem en 614, emporta dans son royaume la croix sur laquelle Jésus-Christ avait donné sa vie pour le salut du monde. Ce bois sacré fut l'instrument dont Dieu se servit pour opérer la conversion de plusieurs Persans: de ce nombre fut Anastase. Il était fils d'un mage, qui l'instruisit dans toutes les sciences de sa secte. Il prit de bonne heure le parti des armes. Le bruit que faisait l'enlèvement de la vraie croix lui donna envie d'examiner d'où pouvait venir la vénération des Chrétiens pour l'instrument d'un supplice que l'on regardait comme infâme. Il se mit donc à étudier leur religion. Il fut extrêmement frappé, et de la beauté de sa morale, et de la sublimité de ses dogmes.

De retour en Perse, après une expédition contre les Romains, dans laquelle il avait servi, il renonça, ainsi que son frère, à la profession des armes, se retira dans la ville d'Hiéraple, et y prit un logement chez un monnayeur persan qui était chrétien. Celui-ci, afin de l'entretenir dans ses bonnes résolutions, le menait souvent avec lui à la prière des fidèles. Les peintures dont les églises étaient ornées firent sur Anastase la plus vive impression. Il aimait surtout à considérer celles qui représentaient les combats des martyrs dont on lui expliquait l'histoire. Il ne pouvait se lasser d'admirer le courage de ces glorieuses victimes de Jésus-Christ. Leur sort lui paraissait digne d'envie, ce qui redoublait en lui le désir de connaître parfaitement la foi chrétienne. Quelque temps après, il sortit d'Hiéraple, ville soumise aux Perses, pour aller recevoir le baptême à Jérusalem. Ce sacrement lui fut administré par Modeste, qui gouvernait cette église en qualité de vicairegénéral, durant la captivité du patriarche Zacharie. Il changea son nom persan de Magundat en celui d'Anastase, qui est grec, et dont l'étymologie donnait à entendre qu'il était passé de la mort à la vie. Il s'était préparé avec une ferveur singulière à la grâce de la régénération. Le nombre de jours pendant lesquels il était d'usage que les nouveaux baptisés portassent des habits blancs, il les employa aux exercices de la piété et à écouter des instructions propres à l'affermir de plus à l'affermir de plus en plus dans la foi. Le

terme expiré, il se retira dans un monastère situé environ à deux lieues de Jérusalem, afin d'y garder les vœux qu'il avait faits au baptême, et avec plus de facilité et d'une manière plus parfaitė. L'abbé Justin lui fit d'abord apprendre la langue grecque et le Psautier; après quoi il lui coupa les cheveux, et lui donna l'habit monastique, l'an 621.

Anastase devint bientôt le modèle de ses frères par son exactitude aux différens exercices de la communauté; il s'y trouvait toujours le premier. Ce zèle paraissait surtout quand il fallait se rendre à l'église, pour y assister à la célébration des saints mystères. La soif ardente qu'il avait de la parole de Dieu se manifestait par l'attention avec laquelle il écoutait les discours de piété : à cette attention il joignait la plus grande ferveur dans la pratique. Après l'Ecriture sainte, il n'y avait point de livre qu'il lût avec plus de plaisir que l'histoire des martyrs : leurs combats et leurs triomphes faisaient couler de ses yeux un torrent de larmes, et l'embrasaient du désir de verser son sang pour Jésus-Christ. Des pensées importunes sur ce que son père lui avait appris des abominables superstitions des mages, altérèrent pendant quelque temps la tranquillité de son âme. Mais, ayant découvert ses peines› à son directeur, il en fut délivré par ses avis et par ses prières.

Anastase, se sentant de plus en plus animé du désir du martyre, et ayant d'ailleurs connu par révélation qu'il mourrait pour la foi, sortit de son monastère, où il vivait depuis sept ans avec beaucoup d'édification. Il fit des pélerinages à Diospolis, à Garisim et à Notre-Dame de Césarée en Palestine. Il resta deux jours. dans cette dernière ville, alors soumise aux Perses, ainsi que la plus grande partie de la Syrie. Son zèle s'alluma à la vue des enchantemens que quelques soldats de la garnison faisaient dans les rues. Il leur parla avec force contre l'impiété de semblables pratiques. Les magistrats persans, informés de ce qui s'était passé, et craignant que ce ne fût un espion, ordonnèrent qu'on l'arrêtât. Lorsqu'il fut devant eux, il dit qu'il avait été lui-même mage autrefois, mais qu'il avait renoncé à ce vain titre, pour devenir disciple de Jésus-Christ. A peine eut-il confessé sa foi, qu'on le conduisit en prison. Il y passa trois jours sans boire ni manger, après quoi on le mena devant Marzabane, gouverneur de la ville. Il s'avoua chrétien dans l'interrogatoire qu'il subit. On voulut en vain le gagner par les plus magnifiques promesses; il y fut insensible, aussi bien qu'à la menace du supplice de la croix. Le gouverneur, irrité, ordonna qu'on lui attachât un pied et le cos avec une grosse chaîne, et qu'on le liât à un autre prisonnier. Il fut ensuite condamné à porter des pierres en cet état. Les Perses,

et surtout ceux de la province de Rasech, où il était né, lui firent mille insultes. Ils le chargeaient de coups comme un misérable, qui était, disaient-ils, l'opprobre de son pays. Ils lui arrachaient la barbe, et l'accablaient sous les plus pesans fardeaux.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Quelque temps après, Marzabane le fit ramener devant lui, et voulut l'obliger à prononcer les paroles usitées dans les superstitions des mages. « Eh quoi! dit le saint, pourrais-je prononcer des impiétés auxquelles il n'est pas même permis de penser?Savez-vous, reprit le juge, que j'en écrirai au roi?-Écrivez ce qu'il vous plaira, répliqua Anastase; je suis chrétien: oui, je le répète, je suis chrétien.- Qu'on le frappe, dit le gouverneur, >> avec des bâtons pleins de nœuds. » Les bourreaux se préparant à le lier, il leur adressa ces paroles: « Cette précaution est inutile; je me sens assez de courage pour me tenir dans la posture » que vous voudrez; je m'estime trop heureux de souffrir pour » Jésus-Christ. J'ôterai seulement mon habit, afin qu'il ne soit pas profané. » Après ces mots, il l'ôte avec modestie, se couche par terre, et reçoit les coups dont on le charge, sans remuer, ni changer de posture. Le gouverneur l'ayant encore menacé d'écrire au roi, le saint lui dit : « Qui devons-nous plutôt craindre, ou un » homme mortel, ou Dieu, qui a fait toutes choses de rien? » Et comme on le pressait de sacrifier au feu, au soleil et à la lune, il répondit : « Je ne regarderai jamais comme des divinités les créatures que le vrai Dieu a faites pour notre usage.» Après avoir rendu ce glorieux témoignage à sa foi, il fut renvoyé en prison.

ע

[ocr errors]

Cependant l'abbé Justin fut informé de tout ce que souffrait son disciple pour la cause de Jésus-Christ. Il ordonna des prières dans la communauté, et fit partir deux moines pour le consoler et l'assister. Quant au saint confesseur, il était obligé de porter des pierres tout le jour. Il n'avait de relâche que pendant la nuit : encore en passait-il une grande partie en oraison. Sa conduite frappait extraordinairement ses compagnons.Un d'entre eux le vit une nuit tout rayonnant de lumière, et au milieu d'un choeur d'anges qui priaient avec lui. Il le fit voir aussi aux autres prisonniers. Le saint avait coutume de prier, le cou baissé, observant de ne pas remuer le pied, de peur de troubler le repos de celui qui était attaché à la même chaîne.

Dès que Marzabane eut reçu la réponse de Chosroès, auquel il avait écrit touchant Anastase, il fit dire au saint que le roi voulait bien user d'indulgence envers fui, et que s'il abjurait le christianisme seulement de bouche, il lui serait libre d'embrasser tel état qu'il voudrait.« Vous pourrez, ajouta l'envoyé, au nom du

gou

« PrécédentContinuer »