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perfectionna l'édifice spirituel dont il avait jeté les fondemens sur la mortification la plus absolue. Comme il voulait se purifier de plus en plus des souillures de ses premières années, il pria ses supérieurs de lui imposer quelque rigoureuse pénitence qui pût expier la vaine satisfaction qu'il avait prise quelquefois à enseigner. Ils lui en imposèrent une, mais bien différente de celle qu'il attendait. Cette pénitence fut de composer un recueil de cas de conscience, pour l'instruction des confesseurs et de ceux qui étudient la morale. On appelle ce recueil la Somme de S. Raimond, et c'est le premier ouvrage qui ait été écrit en ce genre. On n'y trouve point de principes hasardés; ils sont puisés dans l'Ecriture sainte et dans la tradition.

Raimond ne se concentrait pas tellement dans la solitude, qu'il n'en sortît pour contribuer au salut des âmes; il travaillait à la conversion des hérétiques, des Juifs et des Maures : il instruisait les fidèles et réconciliait les pécheurs. Jacques, roi d'Aragon, se mit au nombre de ses pénitens. Il était aussi confesseur de S. Pierre Nolasque, qu'il aida beaucoup dans l'institution de l'ordre de la Merci pour la rédemption des captifs.

Le roi d'Aragon ayant épousé sans dispense Eléonore de Castille, sa proche parente, le pape Grégoire IX envoya un légat sur les lieux pour examiner et juger cette affaire. Le mariage fut déclaré nul par les évêques des deux royaumes, assemblés en concile à Tarragone; mais il fut arrêté en même temps que don Alphonse, né de ce mariage, serait réputé légitime et habile à succéder à son père. Le cardinal légat fut si enchanté des vertus et de la capacité de Raimond, que le roi avait mené avec lui au concile, qu'il le chargea de prêcher la croisade contre les Maures. Il s'en acquitta avec tant de zèle, de prudence et de charité, qu'il porta comme les premiers coups à la puissance formidable de ces infidèles. Les Chrétiens, esclaves des Maures, étant extrêmement corrompus, il leur représenta avec autant de force que d'onction qu'ils compteraient en vain sur la victoire, s'ils ne commençaient par détruire en eux le règne du péché, qui avait allumé la colère de Dieu. Il prêcha la même doctrine dans les différens royaumes d'Espagne; ses discours produisirent les plus grands fruits. Il se fit partout un prodigieux changement dans les mœurs du peuple. La colère céleste étant désarmée, les Chrétiens eurent toujours l'avantage sur leurs ennemis. Les rois de Castille et de Léon leur enlevèrent plusieurs places importantes. Don Jacques, roi d'Aragon, les chassa des îles de Majorque et de Minorque, et quelque temps après a, de tout le royaume de Valence.

a En 1237.

Le pape Gregoire IX ayant appelé notre saint à Rome en 1230, le fit son chapelain, c'est-à-dire auditeur des causes du palais apostolique, puis son pénitencier et son confesseur. Plein de confiance en ses lumières, il lui demandait toujours son avis avant de prononcer sur les affaires difficiles. Il l'appelait le père des pauvres, à cause du zèle avec lequel il pourvoyait à leurs besoins. La pénitence que lui imposait Raimond était de recevoir et d'écouter toutes les requêtes qu'on lui présentait, et d'y répondre sans délai. Ce pontife, très-versé dans la science du droit canonique, chargea le saint de recueillir les décrets des papes et des conciles depuis l'an 1150, où finissait la compilation de Gratien. Raimond mit trois ans à faire cette collection, connue sous le nom de Décrétales. Elle est divisée en cinq livres. Grégoire ordonna, en 1234, qu'elle fût suivie dans les écoles et dans les tribunaux a.

L'année suivante, le même pape nomma Raimond à l'archevêché de Tarragone, capitale du royaume d'Aragon. L'humble religieux employa les prières et les larmes pour éloigner de lui une dignité qu'il regardait comme un fardeau redoutable; mais on n'eut point d'égard à ses prières. Cependant la charge de l'épiscopat fit sur lui une impression si vive, qu'il en tomba malade. Grégoire consentit enfin d'écouter les raisons tirées du mauvais état de sa santé; mais ce fut à condition qu'il indiquerait une personne capable de le remplacer. Le choix du saint tomba sur un pieux et savant chanoine de Girone. Ce ne fut pas la seule occasion où il fit éclater son éloignement pour les dignités.

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Raimond retourna, avec l'agrément du pape, dans sa patrie, pour y rétablir sa santé, qui était toujours mauvaise. On l'y reçut avec les plus grandes démonstrations de joie. On eût dit que salut du royaume et de chaque particulier dépendait de sa présence. Rendu à lui-même et à sa solitude, il reprit ses premiers exercices. Il voulut faire comme un second noviciat, et pria ses supérieurs de lui enseigner de nouveau les règles de la perfection monastique. Il ajouta encore aux austérités de la règle, en ne mangeant qu'une fois le jour, excepté les dimanches. Sa ferveur était si grande, qu'il ne pouvait retenir ses larmes, non-seulement quand il priait seul, mais même pendant l'office divin. Sa douceur

a Cette collection est la partie la plus achevée de tout le Corps du droit 'canonique, et celle ́sur laquelle les commentateurs ont ordinairement travaillé. Il ne faut pourtant pas négliger, comme on ne le fait que trop souvent, la lecture du décret de Gratien, où, en retranchant quelques citations apocryphes, on trouvera les plus beaux préceptes sur les différens devoirs de tous les états. Il est vrai que cette belle compilation aurait un mérite de plus, s'il y régnait une méthode plus suivie et plus raisonnée, et si l'on remarquait dans toutes les matières cet enchaînement et cette liaison qui partent des principes généraux; mais il ne sera pas difficile, pour peu qu'on ait de jugement, de suppléer à ce défaut.

et son humilité avaient quelque chose d'admirable. Toujours petit à ses propres yeux, il ne se laissa point éblouir par les louanges qu'on lui donnait de toutes parts. Il avait un talent singulier pour retirer les pécheurs de leurs égaremens, et il n'y a que Dieu qui connaisse toutes les conversions dont il fut l'instrument.

Le saint Siége et le roi d'Aragon avaient en lui une confiance entière; ils l'employèrent plus d'une fois dans des affaires importantes, et jamais ils ne se repentirent du choix qu'ils avaient fait.

Pendant que Raimond goûtait à Barcelone les douceurs de la vie privée, le chapitre des frères Prêcheurs, tenu à Bologne en 1238, lui envoya quatre députés pour lui porter la nouvelle de son élec tion au généralat". Il en fut accablé de douleur; il eut recours aux plus vives représentations et même aux larmes pour se dispenser d'accepter cette charge; mais on ne voulut point l'écouter. Il fallut céder à la fin, et se soumettre par obéissance. Le nouveau général fit à pied la visite de son ordre, sans rien diminuer de ses austérités, et sans omettre aucun de ses exercices ordinaires. Son principal soin fut d'inspirer à ses enfans spirituels l'amour de la régularité, de la solitude, de la mortification, de la prière, des travaux évangéliques, et surtout de la prédication. Il donna une meilleure forme au recueil des constitutions de son ordre, et éclaircit par des notes les passages qui pouvaient souffrir quelque difficulté. Cet ouvrage fut approuvé dans trois chapitres généraux. Dans un de ces chapitres, tenu à Paris en 1239, le saint fit arrêter qu'on recevrait la démission d'un supérieur qui produirait de bonnes raisons. On ne douta pas qu'il n'eût en cela travaillé pour lui-même, quand on le vit l'année suivante se démettre du généralat, sous prétexte de son grand âge. Ce fut avec la plus grande joie qu'il rentra dans l'état de simple religieux.

Comme le zèle du salut des âmes dévorait le saint de plus en plus, il reprit les fonctions du sacré ministère. L'unique but de toutes ses pensées était de faire à Jésus-Christ de nouvelles conquêtes, surtout parmi les Sarrasins. Ce fut dans le dessein de faciliter la conversion de ces infidèles, qu'il engagea S. Thomas à écrire son traité contre les Gentils, qu'il introduisit l'étude de l'arabe et de l'hébreu dans plusieurs couvens de son ordre, et qu'il en fit fonder deux parmi les Maures, l'un à Tunis et l'autre à Murcie. Tous ces moyens réunis produisirent des effets si heureux, qu'en 1256 le saint écrivait lui-même à son général que dix mille Sarrasins avaient reçu le baptême.

Le voyage que Raimond fit à Majorque avec dom Jacques lui

a S. Raimond' fut le troisième général des frères Prêcheurs; il prit la place de Jourdain de Saxe, successeur immédiat de S. Dominique.

TOME. I.

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procura l'occasion d'affermir l'église fondée depuis peu dans cette fle. Dom Jacques, aussi grand homme de guerre qu'habile politique, aimait sincèrement la religion; mais l'amour des femmes ternissait l'éclat de ses rares qualités. Malgré la docilité avec laquelle il écoutait les avis que le saint lui donnait sur ses désordres, malgré les belles promesses qu'il faisait souvent de changer de vie, il n'avait point le courage de vaincre son malheureux penchant. Le bruit s'étant répandu qu'il entretenait un commerce illicite avec une dame de la cour, Raimond le pressa de la renvoyer; dle promit, mais il négligea de tenir parole. Le saint, mécontent de ce délai, demanda la permission de retourner à Barcelone; le roi la lui refusa, et défendit même, sous peine de mort, de le laisser embarquer. Raimond, plein de confiance en Dieu, dit à son compagnon : « Un roi de la terre nous ferme le passage, mais le » roi du ciel y suppléera. » Son espérance ne fut point confondue; car Dieu fit un miracle en sa faveur, pour lui procurer le moyen de retourner à Barcelone . Dom Jacques, informé de ce qui s'était passé, rentra en lui-même, et suivit toujours dans la suite les avis de Raimond, soit pour la direction de sa conscience, soit pour le gouvernement de son royaume.

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Cependant le saint homme, sentant que sa fin approchait, s'y prépara par un redoublement de ferveur, et en consacrant les jours et les nuits aux exercices de la pénitence et de la prière. Durant sa dernière maladie, les rois de Castille et d'Aragon le visitèrent avec leur cour, et s'estimèrent heureux de recevoir sa bénédiction. Enfin il mourut dans sa centième année, le 6 janvier 1275, après s'être muni des sacremens de l'Église. Les deux rois dont nous venons de parler assistèrent à ses funérailles, avec les princes et princesses de leur sang. Il se fit à son tombeau un grand nombre de miracles, dont plusieurs sont rapportés dans la bulle de sa canonisation, donnée par Clément VIII en 1601. Clément X a fixé la fête de S. Raimond au 23 de janvier.

Les saints ne sont entrés dans les fonctions du ministère sacré qu'après avoir appris dans la solitude à mourir au monde et à eux-mêmes; qu'après s'être revêtus de l'esprit de Jésus-Christ, et s'être familiarisés avec la pratique du recueillement intérieur. Lorsque l'utilité du prochain les appliquait aux travaux apostoliques, ils ne se contentaient pas de ménager certains momens, où, dans

a On peut voir le détail de ce miracle dans la bulle de la canonisation du saint, et dans les premiers historiens de sa vie. Le P. Touron raconte au long comment le saint passa la mer sur sa chappe étendue sur les flots, quoique le trajet fût de soixante lieues.

Le récit de ces miracles remplit quinze pages in-fol. dans Bollandus.

le silence de la retraite, ils s'élançaient vers Dieu par la vivacité de leurs gémissemens et de leurs désirs; ils faisaient encore toutes leurs actions dans une telle disposition de cœur, qu'elles devenaient, en quelque sorte, un acte continuel d'amour et de louanges.

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Et voilà, selon S. Bonaventure, ce qui caractérise un homme vraiment intérieur. « Toujours, dit ce saint docteur 1, il a son esprit élevé vers Dieu.... Toutes les fois que son attention en » est distraite, ne fût-ce que pour un instant, il gémit et s'afflige » d'avoir eu le malheur d'être privé de la présence de son bien>> aimé, qui ne l'oublie jamais. Comme le bonheur des saints con» siste dans la vision éternelle de Dieu, c'est y participer en quel >> que sorte, que de penser continuellement à lui. Qu'il soit donc toujours présent à notre esprit dans ce lieu d'exil...., même au » milieu de nos occupations extérieures. Imitons les anges, qui, » en exerçant les fonctions dont ils sont chargés auprès de nous, » ne perdent jamais Dieu de vue.

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Ste ÉMÉRENTIENNE, VIERGE ET MARTYRE.

Ste ÉMÉRENTIENNE reçut la couronne du martyre vers l'an 304. On trouve son nom dans les Martyrologes de S. Jérôme, de Bède, etc. Il est dit dans ses Actes qu'elle fut assommée à coups de pierres, lorsque, n'étant encore que catéchumène, ellé príait sur le tombeau de Ste Agnès.

S. CLÉMENT D'ANCYRE, ÉVÊQUE ET MARTYR.

Ce saint, que les Grecs comptent parmi les grands martyrs, souffrit sous l'empereur Dioclétien. Nous lisons dans ses Actes qu'on prolongea son martyre en lui faisant endurer divers supplices durant l'espace de vingt-huit ans ; mais ceci n'est pas appuyé sur des preuves bien solides ". On a gardé long-temps ses reliques à Constantinople, où il y avait deux églises de son nom; celle du palais, et une autre dans le faubourg appelé aujourd'hui Péra. Les Latins s'étant rendus maîtres de Constantinople, dans le treizième siècle, apportèrent à Paris le crâne de S. Clément. La reine Anne d'Autriche le donna à l'abbaye du Val-de-Grâce, qu'elle faisait re1 S. Bonav. de Profect. Religios. l. 2, c. 20, p. 604.

Les Actes de notre saint sont l'ouvrage de quelque Grec moderne. Baronius et les plus habiles critiques ont démontré qu'ils étaient apocryphes.

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