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riture. Elle se condamna, en punition de son ancienne délicatesse, à coucher sur la terre, qu'elle couvrait d'un cilice. Elle travaillait sans cesse à mortifier sa chair par des jeûnes rigoureux. Dieu seul était l'objet de ses pensées et de ses désirs; elle s'unissait de plus en plus à lui par de pieuses lectures et par l'exercice d'une prière continuelle. Persuadée que les communications avec le monde entraînent peu à peu la ruine du recueillement de l'âme, elle renonça à toutes les visites. Il est vrai qu'elle s'entretenait quelquefois avec les personnes qui faisaient profession de piété; mais la conversation ne roulait jamais que sur des matières spirituelles. Les amusemens et les parures mondaines ne furent plus à ses yeux que des choses souverainement méprisables, et indignes d'occuper une chrétienne. Elle employait en aumônes, non-seulement ce qu'elle retranchait de son ancienne dépense, mais encore toute la partie de son bien dont il lui était libre de disposer. Les pauvres n'avaient pas besoin de solliciter sa charité, et elle se fût reproché qu'une autre main que la sienne eût soulagé leurs misères. « La plus riche succession que je puisse laisser à mes enfans, disait-elle, c'est de leur assurer par mes aumônes les béné» dictions du ciel. »

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L'assemblée de plusieurs évêques d'Orient et d'Occident, convoquée à Rome en 382, au sujet de quelques dissensions survenues dans l'Eglise, lui donna occasion de faire une connaissance particulière avec les plus saints d'entre eux. Elle vit surtout S. Paulin d'Antioche et S. Epiphane de Salamine, et ce fut chez elle que ces deux grands évêques logèrent pendant leur séjour à Rome.

L'aînée des filles de notre sainte, nommée Blésille, étant devenue veuve après quelques mois de mariage, avait formé le dessein de quitter entièrement le monde; mais la mort l'empêcha d'exécuter sa résolution. Paule, vivement touchée de ce coup, s'abandonna à la douleur la plus amère. S. Jérôme, qui avait été son directeur pendant les deux ans et demi qu'il avait passés à Rome, lui écrivit une lettre pour la consoler, et en même temps pour la reprendre de son excessive sensibilitéa. Il lui dit d'abord qu'il ressenti lui-même toute la grandeur de la perte qu'elle vient de faire; puis il ajoute, que Dieu étant le souverain maître, il faut se soumettre à sa volonté, toujours sainte et toujours juste, le louer et le remercier de toutes choses; qu'il est indigne d'une chrétienne de pleurer une personne pour qui la mort n'a été qu'un passage du temps à l'éternité, et que la prolongation de

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a Cette lettre, qui est la vingt-deuxième ( ol. 54 ), fut écrite en 384, peu de temps après l'arrivée de S. Jérôme à Bethleem.

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notre exil est le seul objet vraiment digne de nos larmes. « Votre fille, continue-t-il, est morte dans la ferveur de la résolution qu'elle avait prise de se consacrer à Dieu. Il y avait plus de quatre » mois qu'elle purifiait son âme par la pénitence. N'appréhendez» vous point que le Sauveur ne vous dise: Paule, pourquoi vous fâchez-vous de ce que votre fille est devenue la mienne? Vos >> larmes sont une révolte contre ma providence; elles m'outragent'. » Je sais qu'une mère peut donner quelque chose à la nature; » mais une douleur excessive déshonore la religion, et fait décrier » la vie monastique. Blésille elle-même s'afflige, autant que le peut» permettre son heureux état, de vous voir offenser Jésus-Christ. >> Ne m'enviez pas ma gloire, vous crie-t-elle du haut du ciel. Je suis ici avec la Mère de Dieu, et dans la compagnie des anges et » des saints. Vous pleurez de ce que j'ai quitté le monde, et moi j'ai compassion de votre exil, où vous êtes exposée à de grands dangers. » Paule apprit enfin à triompher de sa faiblesse et à retracer en elle le portrait de la femme forte. Elle perdit encore, en 397, Pauline, sa seconde fille, qui avait épousé S. Pammachius. Pour Eustochie, qui était la troisième, elle resta vierge, et nẹ quitta jamais sa mère.

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Cependant notre sainte ne pouvait plus supporter la vie tumultueuse de Rome, depuis qu'elle avait goûté les douceurs ineffables de la contemplation. Tout son désir était d'aller vivre dans un désert où son cœur ne fût plus occupé que de Dieu. Enfin, son attrait pour la solitude ne faisant que croître de jour en jour, elle résolut, pour le suivre, de quitter sa maison, ses biens, ses enfans même, quoiqu'elle fût la plus tendre de toutes les mères 2. Mais la seule idée de cette séparation réveilla toute sa tendresse; il lui semblait qu'on lui arrachait les entrailles. Une âme ordinaire aurait sans doute succombé à une tentation aussi délicate; notre sainte s'éleva, par l'héroïsme de sa foi, au-dessus des sentimens de la nature; et plus son sacrifice lui coûtait, plus elle en désirait la consommation. Elle ne croyait pas que ses enfans, à l'éducation chrétienne desquels elle avait pourvu, dussent s'y opposer.

Elle partit donc pour s'embarquer, étant suivie de son frère, de ses amis et de ses enfans, qui tous tâchaient par leurs pleurs de vaincre sa constance. Quand elle fut dans le vaisseau, son fils Toxotius, encore enfant, fondait en larmes, et la conjurait, en lui tendant les bras de dessus le rivage, de ne le point abandonner. Les autres, à qui la douleur avait ôté l'usage de la parole, ne s'exprimaient que par leurs soupirs; mais Paule, tou

1 Rebellibus lacrymis injuriam facis possidenti,

2 Nulla sic amabat filios, etc. S. Hier, in Epith. Paula.

jours inébranlable, lève les yeux au ciel et ne regarde plus le rivage, de peur d'y rencontrer des objets capables de lui déchirer le cœur. Cependant le vaisseau part, et fait voile vers l'île de Chypre. La sainte fut retenue dix jours à Salamine par S. Epiphane. De Chypre, elle passa en Syrie. Qu'il était édifiant de voir cette femme, accoutumée à être portée en litière par des eunuques, faire de longs et pénibles voyages sans aucun appareil extérieur!

Elle visita avec beaucoup de dévotion les cellules des plus célèbres solitaires d'Egypte, de Syrie, et tous les lieux consacrés par l'accomplissement des mystères de notre salut. Le gouverneur de la Palestine lui avait fait préparer à Jérusalem un palais magnifiquement meublé; mais elle ne voulut point y loger, et alla se renfermer dans une pauvre cellule. La vue des monumens sacrés de notre rédemption la fit entrer dans les plus vifs sentimens de ferveur. Prosternée devant la vraie croix, elle adorait le Sauveur, comme s'il У eût encore été attaché. Etant entrée dans le saint sépulcre, elle baisait la pierre qui en avait fermé l'ouverture, et encore plus le lieu où le corps de Jésus-Christ avait reposé. A son arrivée à Bethléem, elle visita la caverne de la Nativité; et là, les yeux baignés de larmes de joie, elle s'écria : « Quel bon>> heur pour une misérable pécheresse comme moi, de pouvoir » baiser la crêche où mon Seigneur, caché sous la forme d'un enfant, » a bien voulu pleurer pour moi! Pourrais-je fixer ma demeure » ailleurs que dans le pays que mon Sauveur a choisi ? » Elle fit encore d'autres pélerinages qu'elle sanctifia par les aumônes abondantes qu'elle répandit dans tous les lieux par où elle passa.

De retour à Bethleem, elle s'y établit avec sa fille Eustochie, se renferma dans un logement fort pauvre, et prit S. Jérôme pour son directeur. Trois ans après, elle fit bâtir une maison d'hospitalité sur le chemin de Jérusalem, et un monastère d'hommes, dont la conduite fut confiée à S. Jérôme. Elle fit aussi bâtir trois monastères de femmes, qui, à proprement parler, ne faisaient qu'une seule et même maison, puisque toutes les sœurs s'assemblaient dans une chapelle commune pour les offices du jour et de la nuit. Le dimanche, elles allaient à l'église, qui était à côté du monastère. Chaque sœur devait savoir le Psautier, que l'on chantait tout entïer dans les différens offices de la nuit et du jour. La règle de ces saintes femmes était fort austère. Leurs jeûnes étaient fréquens et rigoureux; elles ne se servaient point de linge, et portaient un habit uniforme qu'elles se faisaient elles-mêmes. Elles observaient une clôture si exacte, qu'aucun homme ne pouvait passer la porte du monastère. Paule les conduisait avec une charité et une pru

dence admirables, et leur donnait l'exemple de toutes les vertus de leur état. Elle se trouvait la première aux différens exercices de la communauté. On l'eût prise pour la dernière des sœurs, en la voyant occupée aux plus bas offices de la maison. Cela n'empêchait pas qu'elle ne maintînt la règle dans toute sa sévérité. Elle était inflexible sur l'affectation dans les habits, sur la violation du silence et sur le défaut de douceur dans le caractère. Celles qui tombaient dans ces fautes étaient séquestrées de la communauté, occupaient la dernière place, priaient à la porte, et mangeaient seules pendant quelque temps. La sainte abbesse avait beaucoup de complaisance pour les infirmes : quelquefois elle leur permet tait de manger de la viande, et leur accordait d'autres adoucissemens qu'elle se refusait à elle-même. Elle avait un grand amour pour la pauvreté, et cet amour se manifesta jusque dans les églises qu'elle fit bâtir. Elle voulut qu'elles fussent basses et sans ornemens recherchés. Elle disait à ce sujet que l'argent était bien mieux employé à soulager les membres vivans de Jésus-Christ, qu'à décorer les temples matériels. Elle possédait l'esprit de componction dans un degré éminent; et à voir l'amertume avec laquelle elle pleurait les plus petites fautes, les personnes qui ne l'auraient pas connue l'eussent crue coupable de crimes énormes. Elle avait une dévotion singulière à la pratique du signe de la croix; aussi avait-elle coutume de former souvent ce signe sacré sur sa bouche et sur sa poitrine. Elle se servait surtout de ce moyen pour obtenir de Dieu la grâce de souffrir avec patience et avec résignation la perte de ses enfans.

Tandis que notre sainte, morte aux yeux du monde, vivait dans la solitude, son fils Toxotius pratiquait toutes les vertus chrétiennes dans l'état du mariage. Il avait épousé Léta, qui, quoique fille d'un pontife des idoles, servait fidèlement Jésus-Christ. De ce mariage vint la jeune Paule; S. Jérôme écrivit à la mère une lettre sur la manière d'élever chrétiennement sa fille. Cette lettre, que les parens ne peuvent trop lire, est un excellent traité de l'éducation des enfans 1. La jeune Paule fut depuis envoyée au monastère de Bethleem, où elle succéda à sa grand'mère, qui l'avait formée à la plus sublime perfection.

Enfin le moment où la sainte devait aller recevoir la récompense de ses vertus arriva. Elle répétait souvent dans sa dernière maladie, et surtout dans son agonie, quelques versets des Psaumes qui expriment un ardent désir d'être uni à Dieu dans la Jérusalem céleste. Elle mourut le 26 janvier 404, après avoir fait le signe de la croix sur sa bouche. Elle était âgée de cinquante-sept ans, et 1.Ep. 57, ol. 7,

elle en avait passé vingt à Bethléem. Des évêques la portèrent à l'église sur leurs épaules; d'autres suivaient avec des flambeaux et des cierges; d'autres conduisaient les troupes qui chantaient les Psaumes. On l'enterra au milieu de l'église de la grotte de Bethléem, le 28 de janvier.

On voit encore son tombeau auprès de celui de S. Jérôme; mais il est vide. L'épitaphe en vers latins que ce Père y avait fait graver, et que l'on trouve à la fin de sa lettre, est totalement effacée. L'église cathédrale de Sens prétend avoir le corps de Ste Paule, et la fêté de cette sainte était d'obligation dans la ville; mais on la célèbre le 27 de janvier, jour où Ste Paule est nommée dans les Martyrologes d'Adon, d'Usuard, etc. Ceci vient peut-être de ce qu'étant morte le 26, après le soleil couché, l'on aura suivi la coutume des Juifs, qui comptaient les jours d'un soir à l'autre. Le Martyrologe romain fait mémoire de notre sainte le 26 de janvier.

S. CONON, ÉVÊQUE DE L'ILE DE MAN.

Nous lisons, dans quelques Vies de S. Fiacre et dans l'ancien Bréviaire de Limoges, que Conon était fils d'Eugène, roi d'Ecosse. Quoi qu'il en soit, il servit Dieu dès son enfance avec la plus grande ferveur. Ayant passé dans l'île de Man, il y fit fructifier les semences de la foi que S. Patrice y avait jetées, et fut chargé d'en gouverner l'église. Il y mourut vers l'an 648. Son culte a été célèbre dans les îles Hébrides, qui sont à l'occident de l'Ecosse, jusqu'à la prétendue réforme. Il y a encore aujourd'hui plusieurs de ces îles dont le seigneur et tous les habitans sont catholiques ".

Voyez, sur S, Conon, l'Histoire d'Ecosse, par Leslie, etc.

MARTYROLOGE.

A SMYRNE, la fête de S. Polycarpe, disciple de l'apôtre S. Jean, qui, ayant été ordonné évêque en cette ville par le même apôtre, fut primat de toute l'Asie, Ensuite, sous l'empire de Marc-Antonin et de Commode, le proconsul étant à son siége, tout le peuple assemblé dans l'amphithéâtre criant tumultueusement contre le saint, il fut jeté dans le feu; mais comme on vit qu'il n'en recevait aucune atteinte, on

a Quelques auteurs font S. Conon évêque de Sodor, qui, selon eux, était une ancienne ville de l'île de Man. Peu de temps après, cet évêché fut uni à celui des Hébrides. Le siége épiscopal était dans l'ile de Hi, autrement appelée YColm-kille; et le savant M. Keith croit que le titre de Sodor qui a été donné à l'évêque de Man, est dérivé de la cathédrale d'Y-Colm-kille, dédiće à NotreSeigneur,

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