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les frayeurs ne cessèrent point; on passa donc le Bosphore pour aller visiter l'église de Saint-Pierre et de Saint-Paul, qui était de l'autre côté de la mer. Malheureusement le peuple oublia Dieu aussitôt que le danger eut disparu. Il assista le vendredi saint aux courses de chevaux, et le lendemain aux jeux du théâtre. L'archevêque en eut l'âme percée de douleur, et fit, le jour de Pâque, un discours d'une force singulière contre les jeux et les spectacles du théâtre et du cirque. Entraîné par la vivacité de son zèle, il entra brusquement en matière par ce début plein de véhémence : « Ciel! » qu'avons-nous vu? Qui pourrait retenir son indignation? J'en » appelle à vous-mêmes : soyez vos propres juges. » Il répéta plusieurs fois cette exclamation, comme pour donner quelque soulagement à la douleur qui le suffoquait. Il s'étendit ensuite sur la sainteté de notre foi, sur les bienfaits de Dieu, sur l'obligation indispensable où nous sommes de le servir, et sur le compte rigoureux que nous lui rendrons de tous nos momens. « Ce qui me » désole, ajouta-t-il, c'est que les coupables se prétendent innoaprès qu'ils ont donné la mort à leurs âmes et à celles de » leurs enfans. Comment approcherez-vous désormais de la table > sainte? Comment participerez-vous au pain céleste? Vous vois-je pénétrés de douleur et couverts de confusion? A la vérité, quel⚫ ques-uns d'entre vous baissent la tête. Hélas! ce sont peut-être > ceux qui n'ont point péché, et que l'aveuglement de leurs frères > touche de compassion. Pourrais-je n'être pas accablé de tristesse, lorsque je considère les horribles ravages que fait le démon » dans le troupeau confié à mes soins? Ah! si vous voulez vous joindre à moi, nous l'empêcherons de nuire, et nous rendrons » ses efforts inutiles. Cherchons ceux qu'il a blessés, afin de les » arracher de sa gueule infernale. Qu'on ne me dise pas que le , nombre de ces malheureux est petit. N'y en eût-il que dix, que cinq, que deux, qu'un seul, c'est toujours une grande perte. Le » bon pasteur laisse ses quatre-vingt-dix-neuf brebis, et ne va les rejoindre que quand il a trouvé celle qu'il avait perdue. Ne dites » donc pas : Il n'y en a qu'un. Apprenez à connaître le prix d'une âme; c'est pour elle que toutes les choses visibles ont été faites; » c'est pour elle que la loi a été donnée, que les miracles ont été opérés, que les mystères ont été accomplis; c'est pour elle que > Dieu a porté l'amour jusqu'à ne pas épargner son propre Fils. Encore une fois, connaissez le prix d'une brebis, par la rançon qu'il a fallu payer pour la ramener au bercail. Si vos exhortations » et les miennes sont inutiles, j'emploierai l'autorité dont Dieu » m'a fait le dépositaire. » Ensuite le saint déclara excommuniés tous ceux qui ne voudraient pas se convertir. La ville consternée

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fit éclater les sentimens de la plus vive componction. L'archevêque ne porta pas plus loin la sévérité : au contraire, il excita le courage de ceux qui étaient rentrés en eux-mêmes, en donnant à leur conversion de justes éloges. Une conduite aussi pleine de zèle et de charité produisit d'heureux effets. Les personnes les plus passionnées pour le théâtre et pour les jeux du cirque renoncèrent entièrement à ces écoles du démon.

Quoique la sollicitude pastorale de notre saint embrassât indistinctement tous ceux qui composaient son troupeau, il se sentait pourtant une sorte de prédilection pour une communauté de vierges consacrées à Dieu dans la solitude. Le motif de cette prédilection était fondé sur ce qu'il connaissait toute la gloire que Dieu reçoit d'une seule àme qui marche dans les voies de la perfection. Nous trouvons dans ses ouvrages' une description de la manière de vivre de ces saintes vierges. Elles allaient nu-pieds, portaient le cilice, et n'avaient d'autre lit qu'une natte étendue sur la terre. Elles ne vivaient que de légumes et d'herbes, ne se permettant point l'usage du pain. Elles ne mangeaient qu'une fois le jour; encore ne prenaient-elles ce repas que le soir. Leur amour pour la prière était si ardent, qu'elles y consacraient une bonne partie de la nuit. En un mot, tous leurs momens étaient partagés entre l'oraison, le travail des mains et le service des malades de leur sexe. Elles avaient pour mère spirituelle Ste Nicarète, que l'Eglise honore le 27 de décembre.

Jean regardait les veuves comme des personnes destinées par état à mener une vie pénitente et retirée. Aussi ne cessait-il, conformément à la doctrine de l'apôtre, de les exhorter à correspondre avec fidélité à la grâce de leur vocation 2. Parmi celles qui se consacrèrent à Dieu sous la conduite d'un si grand maître, on comptait Olympiade, Salvine, Procule, Pantadie, toutes quatre distinguées par leur naissance. La dernière, veuve de Timase, premier ministre de l'empereur, fut faite diaconesse de l'église de Constantinople. Olympiade se chargea du soin de pourvoir à la nourriture du saint archevêque, en lui fournissant tout ce dont il pouvait avoir besoin. On juge bien qu'un pasteur qui parlait avec tant de force contre la somptuosité des festins ne démentait pas ses paroles par ses actions. Il mangeait seul ordinairement : sa table était d'ailleurs si frugale et si pauvre, que peu de personnes auraient voulu manger avec lui. Par là il ménageait le temps et la dépense. Il y avait cependant une table décemment servie pour les étrangers, dans une maison voisine de la sienne. Ses revenus

Hom. XIII in Ephes. tom. 11, p. 95. Tim. v. 5; item, t. 3 de Sacerd. c. 8; Pallad. Dial. S. Chrys. Hom. in I 1. ad Vid. jun. Stilting, § 67, p. 603,

TOM, I.

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étaient employés aux besoins des pauvres. Ce fut encore pour les soulager, qu'il vendit le riche ameublement que lui avait laissé Nectaire; et qu'une autre fois, dans une grande cherté, il fit vendre une partie des vases sacrés. Non content d'avoir fondé plusieurs hôpitaux, dont l'un était auprès de la principale église, il en fonda encore deux autres en faveur des étrangers. Cet amour qu'il avait pour les pauvres était depuis long-temps gravé dans son cœur. Antioche l'avait vu donner son patrimoine aux membres souffrans de Jésus-Christ. Enfin ses aumônes furent si abondantes, qu'elles lui méritèrent le surnom de Jean l'Aumônier1

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Un tel pasteur n'avait garde de négliger les besoins spirituels de son troupeau. Il regardait son diocèse comme un vaste hôpital, rempli de sourds et d'aveugles d'autant plus à plaindre, qu'ils aimaient leur état. Il en voyait plusieurs marcher sur le bord de l'abîme, et un grand nombre tomber chaque jour dans cet étang de feu qui ne s'éteindra jamais. Sans cesse il tâchait, et par ses larmes, et par ses prières, de leur rendre propice le Dieu des miséricordes. Il s'appliquait avec une ardeur infatigable à guérir leur maladie; et lorsqu'il s'agissait de voler à leur secours, ou de prévenir leurs chutes, il ne craignait ni les dangers, ni la mort même avec son appareil le plus terrible. Sa sollicitude franchissait les bornes de son diocèse, et s'étendait jusqu'aux régions les plus reculées. Il envoya deux évêques pour instruire, l'un les Goths, et l'autre les Scythes vagabonds, appelés Nomades. La Palestine, la Perse et plusieurs autres contrées, ressentirent aussi les heureuses influences de son zèle.

Il possédait l'esprit de prière dans le degré le plus éminent. Aussi le regardait-il comme le canal des grâces, et comme un moyen efficace de purifier les affections de l'âme de tout ce qu'elles ont de terrestre, et de faire mener une vie angélique dans un corps mortel. Est-il étonnant après cela qu'il ait si fortement insisté sur la nécessité de la prière, et sur la manière de s'acquitter dignement de ce saint exercice? Il exhortait les laïques mêmes à se lever durant la nuit, afin d'assister à l'office avec le clergé. « Les artisans, disait-il, veillent pour travailler, et les soldats pour » faire sentinelle; comment refuseriez-vous de veiller pour prier » Dieu ??» Les veilles, ajoutait-il, rendent la prière plus efficace, rien n'étant plus propre que le silence de la nuit à inspirer ces sentimens de piété, de ferveur et de componction, sans lesquels Dieu ne nous exauce point. Quant aux femmes, qui ne peuvent aisément aller à l'église pendant la nuit, il leur recommande d'inp. 212; Hom. XIV in Heb.; Pallad. in • Hom. II et XXV in Act. tom. 9, Vit. S. Chrys. p. 47.

1 Pallad. c. 12.

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terrompre pour quelques momens le sommeil de leurs enfans, afin qu'ils élèvent leur cœur à Dieu par une courte prière, qu'ils contractent insensiblement l'habitude de veiller, et que toutes les maisons des Chrétiens soient changées en autant d'églises. Il revient souvent sur la prière continuelle, dont il montre l'avantage et la nécessité avec une énergie singulière. Mais il ne s'exprime jamais avec plus d'onction et de force, que quand il parle de l'amour infini que Jésus-Christ nous témoigne dans l'eucharistie, et qu'il exhorte les fidèles à s'approcher fréquemment de cet auguste sacrement. Au reste, on ne doit point être surpris de cette effusion de cœur pour la divine eucharistie. Une foi vive en était le principe. Nous apprenons de S. Nil', que notre saint eut plusieurs fois le bonheur de voir une multitude innombrable d'anges environner l'autel durant la célébration des saints mystères, et à la communion du peuple. Le saint lui-même donne comme un fait certain la présence des esprits célestes dans ces précieux momens2; ce qu'il confirme par les visions de plusieurs solitaires.

Ce que nous avons à dire de la conduite du saint archevêque, touchant la chute d'Eutrope, exige que nous reprenions les choses d'un peu plus haut. L'eunuque Eutrope, quoique esclave d'origine, eut le secret de s'insinuer dans les bonnes grâces de l'empereur Arcade. En 395, il succéda au traître Rufin dans la place de premier ministre, et fut même élevé à la dignité de consul. Son crédit parvint à un tel point, qu'on lui érigea des statues d'or dans plusieurs endroits de Constantinople. Mais tant d'honneurs produisirent en lui un orgueil insupportable. Ce vice, joint à une ambition démesurée et à une avarice insatiable, le rendit encore plus odieux que son prédécesseur. Les avis d'un Chrysostôme même ne firent que l'aigrir. Il n'écoutait que les discours empoisonnés des flatteurs qui, en fournissant sans cesse un nouvel aliment à ses passions, les enflammaient de plus en plus. Cependant l'Empire retentissait partout de cris d'indignation. Eutrope seul ne les entendit point, ou plutôt ne les entendit que quand le précipice où il allait tomber fut entièrement creusé.

Il avait un ennemi redoutable dans la personne de Gaïnas, commandant des Goths attachés au service de l'Empire. Cet officier épiait le moment de venger un affront que le tribun Trigibilde, son parent, avait reçu d'Eutrope. L'impératrice Eudoxie ne haïssait pas moins le premier ministre; et sa haine ne connut plus de bornes lorsqu'elle s'en vit indignement insultée. Elle courut à l'empereur, avec ses deux enfans dans les bras, afin d'implorer sa justice contre un sujet insolent. Arcade, qui ne savait pas mieux 1 L. 2, ep. 294, p. 266.

2 L. 3 de Sacerd.

garder que choisir ses favoris, donna des ordres pour l'exil d'Eutrope et pour la confiscation de ses biens. Ce malheureux, dont on n'avait plus rien à craindre ni à espérer, se vit tout-à-coup abandonné de ses créatures. Privé de toute ressource, il eut recours à la protection de l'Eglise, en se réfugiant auprès de ces mêmes autels dont il avait violé les priviléges. Toute la ville en rumeur prend parti contre lui. L'armée demanda sa mort : en un moment, l'église fut investie d'une troupe de soldats armés, dont les yeux étincelaient de fureur; et il ne fallut rien moins que les larmes de l'empereur et les remontrances du saint archevêque, pour les empêcher d'en venir aux dernières extrémités. On laissa donc Eutrope jouir des immunités du sanctuaire.

Le lendemain, le peuple accourut en foule pour voir un homme dont les seuls regards faisaient trembler tout l'univers deux jours auparavant. Il tenait l'autel embrassé; il grinçait les dents; tous ses membres étaient dans une agitation violente. Son imagination troublée n'offrait à ses yeux que des épées nues, des chaînes et des bourreaux. Le saint archevêque profita de cette occasion pour faire un discours sur la vanité des choses humaines. Il y peignit, de la manière la plus touchante et la plus énergique, le faux éclat, le vide, le néant des honneurs du monde; puis s'adressant au peuple, il l'exhortait à pardonner au coupable. « Seriez-vous, disait-il, plus inflexibles que l'empereur, qui veut bien lui faire grâce, quoiqu'il soit la première personne lésée? Pourriez-vous solli» citer le pardon de vos péchés, si vous ne l'accordiez à votre prochain? Savez-vous ce qui se passe dans le cœur de cet homme que vous jugez digne du dernier supplice? Peut-être que, par ses dispositions actuelles, il est saint aux yeux de Dieu. >> Ce discours arracha des larmes à tous les auditeurs. Les esprits se calmèrent, et la paix parut rétablie 1.

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Quelques jours après, Eutrope sortit de l'enceinte de l'église, pour se sauver secrètement de Constantinople; mais il fut arrêté, et relégué dans l'île de Chypre ". Gaïnas trouva le moyen de le faire rappeler au bout de quelques mois, et de le faire condamner à perdre la tête, comme coupable de trahison. Il sut encore extorquer de l'empereur l'injuste condamnation d'Aurélien et de Saturnin, deux des principaux seigneurs de la cour. L'arrêt de leur mort était déjà porté, et c'en était fait de leur vie, si le saint archevêque n'eût obtenu, à force de sollicitations, qu'ils seraient seulement bannis. Leur exil fut court, car on les rappela peu de temps après.

Stilting, § 43, p. 530 et seq.

a Ce fut vers ce temps-là, c'est-à-dire vers l'an 399, que le poète Claudien écrivit ses deux livres contre Eutrope. Il avait exercé aussi sa verve satirique contre Rufin.

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