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Cependant Gaïnas devenait de jour en jour plus insolent. Enhardi par la faiblesse de l'empereur, il se fit donner le commandement de toutes les troupes. Fier de son crédit, il se flatta de pouvoir désormais tout entreprendre. Ce fut dans cette pensée qu'il demanda une église pour les Ariens. Mais le saint archevêque, toujours inflexible lorsqu'il s'agissait de son devoir, osa la lui refuser; et lorsque le même Gaïnas, après sa révolte, eut mis le siége devant la capitale, Jean alla le trouver, et lui parla avec une fermeté vraiment épiscopale. Cette généreuse demarche produisit un heureux effet; Gaïnas se retira avec ses troupes. Cependant le traître ne porta pas loin la peine de son crime; il fut d'abord défait en passant l'Hellespont, ensuite massacré par les Huns, chez lesquels il s'était enfui avec les débris de son armée. Ceci arriva l'an 400 de Jésus-Christ.

La même année, notre saint tint à Constantinople un concile où Antonin, archevêque d'Ephèse, fut accusé de plusieurs crimes, entre autres de simonie, par un de ses suffragans'. Les chefs d'accusation étant très-graves, on ne pouvait prendre trop de mesures pour s'informer exactement des faits. Ce fut ce qui engagea l'archevêque de Constantinople à se transporter sur les lieux, comme il en avait été prié par le peuple et le clergé d'Ephèse. Il partit sans avoir égard ni à la rigueur de la saison, ni au mauvais état de sa santé. Il y eut plusieurs synodes tenus tant à Ephèse que dans les villes voisines. Antonin, convaincu de simcnie, y fut déposé, ainsi que quelques autres évêques d'Asie, de Lycie et de Phrygie.

L'affaire des évêques simoniaques étant terminée, le saint ne pensa plus qu'à repartir pour Constantinople. Il y arriva après la fête de Pâque de l'an 401; il avait été cent jours absent. Dès le lendemain il monta en chaire, pour témoigner aux fidèles combien il était charmé de les revoir 2. « Non, leur disait-il, il n'y a pas de joie semblable à la mienne, lorsque je me vois réuni à vous >> tous. Elle embrasse, par son étendue, celle que mon retour » cause à chacun de vous; car ne faites-vous pas ma couronne et » ma gloire? A qui pourrais-je mieux comparer mon troupeau, qu'à un jardin planté d'arbres fleuris? Si par hasard il s'en trou» vait qui ne portassent point de fruit, je n'épargnerai ni soin ni peines pour en améliorer la nature et pour les rendre fertiles. » Et en agissant de la sorte, je ne ferai que remplir les devoirs de » la justice. Eh! ne suis-je pas l'esclave de vous tous? Mais, ô ai> mable esclavage, qui fait toutes mes délices! Ne vous imaginez.

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1 Pallad. Dial. p. 127; Stilting, $47, 2 Tom. 3, p. 411.

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» pas que je vous aie oubliés durant mon absence. Toujours vous » avez été présens à mon esprit. Je n'ai cessé d'offrir à Dieu mes prières pour votre avantage spirituel et temporel. »

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Il ne restait plus à notre saint qu'à glorifier Dieu par ses souffrances. et pour peu que nous examinions les choses avec les yeux de la foi, il nous paraîtra plus grand dans les persécutions qu'il eut à essuyer, que dans toutes les autres circonstances de sa vie. Voyons-le donc victime des passions de ses ennemis.

Le premier qui se déclara ouvertement contre lui fut Sévérien, évêque de Gabales en Syrie. Son procédé renfermait d'autant plus d'indignité, que c'était à lui que le soin de l'église de Constantinople avait été confié durant l'absence de notre saint. Ce prélat, qui s'était acquis de la célébrité par ses prédications, avait trouvé le moyen de se rendre agréable à l'impératrice Eudoxie. C'était une politique qui ne faisait servir ses talens qu'à gagner l'estime de la cour et du peuple. Il ne cherchait que l'occasion d'indisposer les esprits contre le pasteur légitime; il osa même prêcher contre lui dans l'église de Constantinople. Mais l'arrivée du saint archevêque eut bientôt effacé les impressions qu'avaient pu faire les discours de Sévérien, qui fut ignominieusement chassé de la capitale. Jean oublia tous les torts de l'évêque de Gabales, et dans un beau discours qu'il fit sur la paix que Jésus-Christ était venu apporter sur la terre, il pria son peuple de lui pardonner.

Notre saint avait un autre ennemi dans la personne de Théophile, patriarche d'Alexandrie ". Les anciens auteurs nous peignent ce prélat comme un homme vain, jaloux, dissimulé et impérieux. Ces vices souillèrent le zèle qu'il montra contre les Anthropomorphites, et ternirent l'éclat des vertus qu'il pouvait avoir d'ailleurs. Il avait chassé de leur solitude quatre abbés de Nitrie, appelés les grands Frères, pour cause d'origénisme. Ils n'en étaient que légèrement soupçonnés, selon Pallade; mais S. Jérôme prétend qu'ils en étaient véritablement coupables . Quoi qu'il en soit, l'archevêque de Constantinople les admit à la communion, après toutefois qu'il eut fait juridiquement leur apologie d. Théo

a Théophile mourut en 412, regrettant de n'avoir pas toujours vécu dans un désert. Dans sa dernière maladie, il fit mettre le portrait de S. Chrysostome à côté de son lit, afin que les marques de vénération qu'il lui donnait prouvassent au moins le désir ardent qu'il avait d'expier l'injustice de ses anciens procédés. (Voyez S. Jean Damascène, or. 3 de Imaginibus, p. 480, edit. Bil. et Sollier, Hist. Chronol. Patriar. Alexand. in Theophilo, p. 52. ) Il nous reste trois lettres pascales de Théophile. On n'y trouve ni méthode, ni justesse dans les réflexions, ni solidité dans les raisonnemens; ce qui ne doit pas beaucoup faire regretter la perte de ses autres écrits.

Voyez Sozomène, Socrate, Pallade, S. Isidore de Péluse, et Synésius. Ils disent encore que Théophile traitait les autres évêques en esclaves, et qu'il ne suivait d'autres règles que sa volonté.

c Baronius a suivi le sentiment de S. Jérôme.

d Voyez leur apologie dans le P. Stilting, § 54, 55, 56, p. 567 et seq.

phile en fut vivement piqué, et résolut de s'en venger. L'occasion ne tarda pas à se présenter.

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Mais comme l'impératrice Eudoxie fut le mobile secret de tous ies complots qui se tramèrent contre notre saint, il faut au moins donner une idée de son caractère. Cette princesse, depuis la chute d'Eutrope, gouvernait despotiquement son mari et l'Empire. Elle était, au rapport de l'historien Zozime, d'une avarice insatiable; ses injustices et ses rapines ne connaissaient point de bornes. Elle avait rempli la cour de délateurs qui s'emparaient du bien des riches après leur mort, au préjudice des enfans, ou des autres héritiers légitimes. Le saint pasteur gémissait sur tous ces abus, et personne n'ignorait quelle était sa façon de penser. Un jour qu'il prêchait contre la vanité ridicule des femmes dans leurs parures, quelques personnes mal intentionnées firent l'application de son discours à l'impératrice. On ne manqua pas d'avertir cette princesse de l'affront prétendu qu'elle venait de recevoir, et de souffler dans son cœur le feu de la vengeance. Sévérien fut un des plus ardens à décrier l'archevêque. Eudoxie résolut aussitôt de le faire déposer. Elle manda donc Théophile, dans la persuasion que personne ne serait plus propre que lui à seconder ses vues. Elle ne se trompa point. Théophile partit avec joie pour Constantinople, où il arriva au mois de juin de l'an 403, avec plusieurs évêques d'Egypte, qui lui étaient entièrement dévoués. Il ne voulut point communiquer avec l'archevêque, pas même le voir. Assuré des sentimens de trente-six évêques, il les fit assembler dans une des églises de Chalcédoine. Ces prélats donnèrent à leur conciliabule le nom de Synode du Chênea. On y accusa notre saint d'avoir déposé un diacre qui avait frappé son valet, d'avoir dit des paroles outrageantes à plusieurs de ses clercs; d'avoir ordonné des prêtres dans sa chapelle domestique, contre l'usage ordinaire; d'avoir vendu des meubles appartenans à l'église, et d'en avoir dissipé les revenus; d'avoir communié des personnes qui point à jeûn; d'avoir déposé des évêques qui n'étaient point du district de sa province. Il n'y avait, dans toutes ces accusations, rien que que uc faux ou de frivole. On cita le saint, qui, de son côté, avait fait assembler quarante évêques à Constantinople: mais il refusa de comparaître, alléguant pour raison de son refus qu'on avait visiblement enfreint les règles des canons. L'esprit de cabale l'emporta, et l'on prononca contre lui une sentence de déposition. Elle fut envoyée à l'empereur, auprès duquel on accusait encore le saint d'avoir traité l'impératrice de Jézabel. Mais, au rapport

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9 Il fut ainsi appelé, parce que l'église où il se tint était dans le quartier de la ville de Chalcédoine auquel un grand chêne avait donné son nom.

de Pallade, c'était une pure calomnie. Arcade, prévenu, donna aussitôt un ordre pour l'exil de l'archevêque.

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Le saint, avant son départ, dit adieu à son troupeau par un discours des plus touchans. « Une tempête violente, dit-il, m'envi» ronne de toutes parts; mais je ne crains rien, parce que je suis » sur un rocher inébranlable. La fureur des vagues ne pourra sub>> merger le vaisseau de Jésus-Christ. La mort n'est pas capable de m'effrayer, elle est un gain pour moi. Redouterais-je l'exil? toute » la terre est au Seigneur. Appréhenderais-je la perte des biens? je suis entré nu dans le monde, et j'en sortirai dans le même état. » Je méprise les menaces et les caresses du monde. Je ne désire de » vivre que pour votre utilité. Jésus-Christ est avec moi; qui pourrais-je craindre? Oui, je le répète : en vain suis-je assailli » d'un violent orage; en vain suis-je en butte à la fureur des princes: tout cela me paraît plus méprisable qu'une vile toile d'araignée..... Je ne cesse de dire : Seigneur, que votre volonté s'accomplisse. Je ferai et souffrirai avec joie, non pas ce que telle » ou telle créature voudra, mais ce qu'il vous plaira d'ordonner. » Je trouve dans cette disposition de mon cœur une solide consolation, une ferme ressource. Encore une fois, si telle est la » volonté de Dieu, qu'elle soit faite. En quelque lieu qu'il veuille » que je sois, je lui en rends grâces. » Il dit ensuite à ses auditeurs qu'il était prêt à donner mille vies pour eux, et qu'il ne souffrait que parce qu'il n'avait rien négligé pour sauver leurs àmes.

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Cependant trois jours s'était écoulés depuis l'injuste condamnation du saint archevêque, et il n'était point encore parti pour le lieu de son exil, parce que le peuple s'y opposait. Enfin, pressé par les ordres réitérés de l'empereur, il prit de sages mesures pour prévenir la sédition dont la ville était menacée, et il alla se remettre, à l'insu du peuple, entre les mains du comte chargé de le conduire à Prénète, en Bithynie. Ses ennemis placèrent aussitôt des gardes dans tous les quartiers de Constantinople. Sévérien monta en chaire, dans le dessein de prouver qu'il avait été justement déposé. Mais il fut interrompu par les clameurs confuses du peuple, qui demandait tout d'une voix le rétablissement de son pasteur. La nuit suivante, on ressentit les secousses d'un tremblement de terre. L'impératrice épouvantée rentra en elle-même, et alla sur-le-champ trouver Arcade, pour lui demander le rappel du saint « Nous n'avons plus d'empire, dit-elle, si Jean n'est rap» pelé. » Assurée du consentement de l'empereur, elle écrivit la nuit même au saint, pour l'inviter à revenir à Constantinople. Elle lui parlait en termes pleins d'affection et d'estime, et lui protestait Tom. 3, p. 415.

qu'elle avait ignoré son exil. Quand le peuple sut que son pasteur revenait, il courut au-devant de lui, et fit précéder sa marche d'un grand nombre de flambeaux. En vain l'archevêque proposa de rester dans les faubourgs jusqu'à ce qu'il eût été déclaré innocent par un concile plus nombreux que celui qui l'avait condamné : on le força d'entrer dans la ville, tant on désirait de jouir de sa présence. A peine eut-il reparu dans Constantinople, que tous ses ennemis prirent la fuite. Il eût bien voulu se justifier dans un concile légitime, et il y fit appeler Théophile par l'empereur: mais le patriarche refusa de comparaître, sous le frivole prétexte que sa vie ne serait pas en sûreté. Nous lisons pourtant, dans Sozomène, que le rétablissement du saint fut ratifié dans une assemblée de soixante évêques.

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Malheureusement le calme ne fut pas de longue durée. On avait élevé une statue d'argent en l'honneur de l'impératrice. Cette statue fut placée sur une colonne devant l'église de Sainte-Sophie. On en célébra la dédicace par des jeux publics qui troublèrent l'office divin, et qui entraînèrent le peuple dans des superstitions aussi impies qu'extravagantes. Le saint, qui craignait qu'on ne prît son silence pour une approbation, s'éleva contre de tels abus avec son courage et son intrépidité ordinaires. Son zèle ne tombait naturellement que sur l'inspecteur des jeux, qui était manichéen; mais la vanité fit croire à l'impératrice qu'elle était outragée. Elle ne pensa donc plus qu'aux moyens de satisfaire sa vengeance Les ennemis de Jean furent rappelés. Ils se rendirent à Constantinople, excepté pourtant Théophile, qui se contenta d'envoyer des députés, parce qu'il n'osait paraître dans cette ville. Quoique le saint eût pour lui quarante évêques, il n'en succomba pas moins sous les intrigues de la cabale. On gagna l'empereur, en faisant valoir auprès de lui certains canons d'un concile que les Ariens avaient tenu à Antioche pour déposer saint Athanase: canons qui portaient qu'un évêque déposé par un concile ne pourrait rentrer dans son siége qu'après avoir été rétabli par un autre concile ". Ceci prêta une couleur d'injustice à la cause de notre saint. Il fut condamné, et l'empereur lui donna ordre de sortir de Constantinople. On était alors en carême. L'archevêque déclara qu'il n'a

a On lit dans Socrate et dans Sozomène que S. Chrysostôme prêcha contre l'impératrice un sermon qui commençait par ces mots: Hérodiade est encore furieuse. Le P. de Montfaucon réfute très-bien cette calomnie, publiée par les ennemis du saint, et fait voir que le discours en question est manifestement supposé. Il l'a donné dans le tome 3 de son édition des œuvres de S. Chrysostôme, in spuriis. Voyez le P. de Montfaucon ; voyez aussi le P. Stilting, $ 63, p. 593.

Les canons faits par les Ariens n'avaient aucune autorité dans l'Eglise. D'ail leurs la déposition de S. Chrysostôme avait été visiblement contraire à toutes les règles.

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