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esprit, qui s'entretenait intérieurement avec Dieu par la prière. Un tel prodige jeta tous les moines de Tabenne dans un étonne inent qu'on ne peut exprimer; et lorsque le carême fut passé, ik représentèrent à S. Pacôme qu'il ne devait pas tolérer une singu larité de cette espèce, dont les suites pourraient être fort préju diciables au bien général du monastère. Le saint abbé, avant de rien décider, eut recours à Dieu, et le pria instamment de lui faire connaître cet étranger. Sa prière fut exaucée, et il apprit par révélation que l'homme extraordinaire qu'il avait reçu était le grand Macaire. Aussitôt il l'alla trouver, et après lui avoir donne des marques de sa charité et de sa reconnaissance, il le renvoya, en le conjurant de se souvenir devant Dieu de tous ceux qui habitaient le monastère de Tabenne 1.

La vertu de ce grand saint fut souvent exercée par les tentations. Il lui vint un jour dans l'esprit qu'il ferait bien d'aller à Rome, afin de servir les malades dans les hôpitaux. C'était un piége de l'amour-propre dont se servaient les démons pour arriver à leurs fins. Macaire n'y tomba pas; et, parce qu'il était vraiment humble, il sut le découvrir, malgré les dehors spécieux qui le couvraient. Cependant la pensée de quitter le désert se grava fortement dans son imagination, Il en était excessivement tourmenté, sans qu'il lui fût possible de s'en délivrer. Enfin, après bien des combats, il se coucha sur le seuil de sa cellule, et se mit à crier aux démons : « Arrachez-moi d'ici, si vous le pouvez, car je n'en » veux point sortir. » Il demeura jusqu'à la nuit dans cette pósture, et désarma les démons par sa vigoureuse résistance 2. Mais les assauts recommencèrent dès qu'il fut levé. Il ne se décourage point ; il remplit de sable deux grands paniers, les charge sur ses épaules, et traverse ainsi le désért. Une personne de sa connaissance l'ayant rencontré, lui demanda ce qu'il prétendait faire, et lui offrit de le décharger d'une partie de son fardeau. Macaire ne lui fit que cette réponse : Je tourmente celui qui me tourmente. Il retourna le soir à sa cellule tout épuisé de fatigues, mais entièrement délivré de la tentation,

Macaire voulant, au rapport de Pallade, goûter d'une manière plus parfaite les saintes douceurs de la contemplation, au moins pendant cinq jours de suite, s'enferma dans sa cellule, en disant à son âme : « Puisque tu as choisi ta demeure dans le ciel, où tu >> dois converser avec Dieu et avec ses saints anges, prends garde >> d'en descendre et de te laisser aller à des pensées terrestres. » Les deux premiers jours, son âme fut inondée de ces délices ineffables que produit l'union intime avec Dieu. Mais, comme cette vis

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n'est pas un état de jouissance, et que l'homme y est incapable d'une contemplation non interrompue, il éprouva le troisième iour des troubles si violens et des agitations si terribles, qu'il fut obligé d'abandonner son dessein et de reprendre son premier genre de vie. Telles sont les âmes contemplatives: lorsque Dieu ne se montre à elles qu'avec des consolations, elles voudraient ne sortir jamais de sa divine présence; mais bientôt elles en sont distraites par le poids de la mortalité, par les besoins de la nature et par les artifices du démon. Souvent Dieu se cache, afin que, rentrant en elles-mêmes, elles sentent leur propre faiblesse, et comprennent que cette vie est un temps de combats et d'épreuves. C'est ce qui arriva à notre saint.

Dieu, qui prend plaisir à départir aux âmes pures des faveurs extraordinaires, faisait connaître à Macaire les choses les plus cachées et les plus impénétrables à l'esprit humain. Etant unjour à l'église, il eut une vision qui lui représenta les démons occupés à tenter les frères. Ils employaient mille ruses, ou pour les faire dormir, ou du moins pour les distraire. Quelques solitaires, inté rieurement fortifiés par une vertu surnaturelle, les mettaient en fuite, tandis que les autres étaient le jouet de leurs suggestions. Macaire, pénétré d'une vive douleur, fondait en larmes. La prière finie, il avertit chacun des frères des distractions qu'ils avaient eues; il leur en découvrit la source dans les piéges du démon, et les exhorta tous à redoubler de zèle et de ferveur durant ce saint exercice 1.

Il n'y a point de vertu qui convienne mieux à un solitaire, qu'un parfait détachement des biens de la terre : aussi notre saint prouva t-il par sa conduite qu'il était intimement persuadé de cette vérité; il déclara dans une occasion quels étaient là-dessus ses sentimens. Un anachorète de Nitrie laissa en mourant cent écus qu'il avait amassés à faire de la toile 2: on s'assembla dans le désert pour dé libérer sur l'emploi de cet argent. Les uns étaient d'avis qu'on les distribuât aux pauvres, les autres voulaient qu'on les donnât à l'église. Macaire, Pambon et les autres qu'on appelait Pères, ayant été consultés, dirent qu'il fallait enterrer les cent écus avec le mort, et prononcer sur lui ces formidables paroles : Que ton argent périsse avec toi3. Cet exemple répandit une si grande terreur parmi tous les solitaires, que dans la suite personne n'osa rien laisser après sa mort.

Macaire avait encore le don des miracles; et Pallade, qui avait

Rosweide, Vit. Patr. l. 2, c. 29,

p. 481.

S. Hier. Ep. 18, al. 22 ad Eustoch.

tom. 4, part. 2, p. 44, edit. Ben. et
Rosweide, Vit. Patr. l. 3, c. 319.
Act. VIII, 20.

vécu trois ans avec lui, en rapporte plusieurs dont il fut témoin. Nous en citerons un entre autres. Un prêtre dont la tête était mangée d'un horrible cancer, vint à la cellule du saint dans l'espérance d'y trouver une prompte guérison. L'entrée lui en fut refusée; Macaire ne voulut pas même lui parler. Pallade le conjura de la manière la plus pressante de dire au moins quelque chose à un misérable si digne de compassion. « Il ne le mérite pas, répondit le serviteur de Dieu : sa hideuse maladie est l'effet de la vengeance céleste, qui le punit pour un péché d'impureté. Cependant je prierai pour sa guérison, si je puis m'assurer de son repentir, et » s'il me promet de ne plus célébrer les divins mystères le reste de » sa vie. » Le prêtre confessa son crime, et protesta que, conformément à l'ancienne discipline de l'Eglise, il n'exercerait plus aucune fonction sacerdotale. Aussitôt lé saint lui remit son péché par l'imposition des mains, et peu de jours après il s'en retourna parfaitement guéri, louant Dieu et rendant de grandes actions de grâces à Macaire.

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Nous avons déjà remarqué que notre saint possédait supérieurement le talent de découvrir les artifices du démon. Il en donna une nouvelle preuve par rapport à ce Pallade dont nous venons de parler. Le malin esprit l'avait jeté dans le découragement, en lui exagérant son peu de progrès dans la vertu, et en le tourmentant par l'idée qu'il n'était point fait pour la vie solitaire. Il n'eut garde de s'en rapporter à son propre jugement pour la décision de ses doutes; il alla consulter son maître, auquel il ouvrit son cœur. Celui-ci lui répondit que le moyen de vaincre cette tentation était de la mépriser, de ne point quitter son premier dessein, et de dire constamment au démon : « Mon amour pour » Jésus-Christ me retient dans ma cellule; je suis déterminé à y >> rester afin de lui plaire, et de le servir d'une manière conforme » à sa volonté. » Le saint connaissait par expérience l'efficacité d'un tel moyen.

Macaire d'Alexandrie était uni par les liens d'une amitié sainte avec Macaire d'Egypte, surnommé l'Ancien; ce dernier édifiait par ses vertus le désert de Scété. Un jour que ces deux grands hommes passaient le Nil dans un bac, des officiers, suivis d'un nombreux cortége, se trouvèrent par hasard avec eux : frappés de la joie et de la sérénité qui éclataient sur le visage des deux solitaires, ils se disaient l'un à l'autre qu'ils devaient goûter un bonheur parfait dans leur pauvreté. « Vous avez raison, »> répondit Macaire d'Alexandrie, en faisant allusion à son nom et à celui de son compagnon «, « Vous avez raison de nous appeler heureux, • Macaire est un mot grec qui signifie keureux.

TOM, I

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car c'est notre nom. Mais si nous sommes heureux en méprisant » le monde, que doit-on penser de vous qui vous plaisez dans ses >> chaînes? » Ces paroles, prononcées avec ce ton de voix énergique qui annonce la conviction intérieure de l'âme, touchèrent si vivement l'officier qui avait parlé le premier, qu'à son retour il distribua son bien aux pauvres, pour embrasser la vie solitaire,

Mais en vain notre saint aurait été le modèle des anachorètes, s'il n'eût pas conservé dans toute son intégrité le précieux dépôt de la foi. Il sut se préserver du venin de l'arianisme, dont les ravages déchiraient le sein de l'Eglise. Jamais il ne prêta l'oreille aux nouveautés profanes des hérétiques; et il était si connu par son attachement inviolable à la doctrine catholique, que Lucius, patriarche arien d'Alexandrie, le fit exiler, en 375, avec S. Macaire d'Egypte, Enfin, après avoir vécu jusqu'à une extrême vieillesse, il s'endormit dans le Seigneur, l'an 394 ou 395 a. Les Latins en font la fête le 2 de janvier. Pour les Grecs, ils l'honorent le 19 du même mois, avec S. Macaire l'Ancien. Il y a encore aujourd'hui dans le désert de Nitrie un monastère qui porte le nom de S. Macaire ".

Le portrait qu'un célèbre abbé du dernier siècle a tracé d'un vrai solitaire paraît avoir été copié d'après la vie du grand Macaire. Quand une âme, dit-il, cherche Dieu dans la solitude, elle ne pense plus qu'aux choses célestes; elle oublie la terre, où nul objet ne peut mériter ses affections. Embrasée du feu de l'amour divin, elle ne voit dans la mort que l'heureux moment où elle sera réunie au souverain bien après lequel elle soupire. Il est pourtant une erreur que doivent éviter ceux qui ont abandonné le monde; c'est de s'imaginer qu'en vivant dans la solitude, ils iront à Dieu par une route facile et semée de roses; qu'ils ne trouveront point d'obstacles à vaincre; et que la main du Seigneur sera attentive à écarter tout ce qui pourrait les peiner, et troubler la douceur de leur retraite, Ils doivent au contraire se persuader

a Tillemont, tom. 8, p. 648, constate la certitude de cette date par l'autorité de Pallade.

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La règle dite de S. Macaire est attribuée à celui d'Alexandrie, dans le code des règles imprimé sous le titre de Codex Regularum, collectus à S. Benedicto Anianensi, auctus à Luca Holstenio, Romæ, 1661, 2 vol. in-4°. S. Jérôme paraît en avoir copié quelque chose dans sa lettre à Rusticus. Il y a une autre règle, sous le nom des deux Macaire, de Sérapion (d'Arsinoé ou de Nitrie), de Paphnuce (de Bubale, prêtre de Scété), et de trente-quatre autres abbés. On la trouve dans la Concordia Regularum, auctore S. Benedicto, Anianensi abbate, edita ab Hugone Menardo, monacho S. Benedicti. Paris, 1638, in-4°. Il est probable qu'elle fut composée d'après la vie et les exemples de ces saints solitaires. Elle porte que les frères jeûneront tous les jours, excepté les dimanches et le temps pas cal; qu'ils vivrout dans la plus exacte pauvreté, uniquement occupés de la prière et du travail des mains; qu'ils regarderont l'hospitalité comme un devoir indispensable, et qu'ils observeront un silence rigoureux avec les étran gers, la liberté de parler n'étant accordée qu'à celui qui reçoit les hôtes, Concord. Regul. c. 60, p. 809, edit. Menardi.

que les tentations les suivront partout; qu'on y est exposé en tout état, en tout lieu; et que la paix promise par le Sauveur se trouve parmi les tribulations, comme les roses parmi les épines. Dieu n'a pas dit à ses serviteurs qu'ils ne rencontreraient point d'épreuves, mais seulement qu'il leur ferait tirer avantage de la tentation'. Voilà les conditions auxquelles le ciel nous est offert. Quoi de plus propre à ranimer notre courage! Y a-t-il la moindre proportion entre des tribulations d'un moment, et la gloire d'une couronne immortelle ?

S. CONCORDE, SOUS-DIACRE ET MARTYR.

CB saint fut arrêté dans un désert, sous le règne de MarcAntonin, et conduit vers l'an 178, devant Torquatus, gouverneur d'Ombrie, qui faisait alors sa résidence à Spolette. Les promesses et les menaces ayant été inutiles, on le battit à coups de bâton dans le premier interrogatoire, et on l'étendit sur le chevalet dans le second. Il souffrait avec une patience héroïque, et disait avec joie, dans le fort de ses tourmens: Soyez glorifié, Seigneur Jésus. Trois jours après, Torquatus envoya deux soldats pour le décapiter en prison, s'il refusait de sacrifier à une idole que portait un prêtre qui les accompagnait. Concorde ayant craché sur l'idole, pour marquer l'horreur qu'il avait d'un tel sacrifice, un des soldats lui trancha aussitôt la tête. Son nom se trouve au 1er de janvier dans le Martyrologe romain; mais dans quelques autres, il est au 2 du même mois.

Voyez les actes du saint dans Bollandus, p. 9, et Tillemont, tom. 2, p. 439.

1

LES MARTYRS DES LIVRES SAINTS,

L'EMPEREUR Dioclétien publia, en 303, un édit par lequel il était ordonné de brûler tout ce que l'on pourrait trouver d'exemplaires de nos divines Ecritures. Les magistrats de diverses provinces de l'empire romain eurent recours aux supplices pour forcer les Chré tiens à les leur livrer. Mais il s'en trouva un grand nombre qui aimèrent mieux exposer leurs corps aux tourmens et à la mort, que de contribuer à la destruction sacrilége de ces monumens de I Cor. X, 13.

३.

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