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naires avec une supériorité de talens qui le fit admirer de tout ce qu'il y avait de savans à Padoue.

Pendant que le jeune comte, qui avait alors vingt-quatre ans, se préparait à retourner dans sa famille, il reçut une lettre de son père, par laquelle il lui était ordonné de faire le voyage d'Italie. Il partit donc pour Ferrare, d'où il se rendit à Rome. Lorsqu'il se vit dans cette ville, son premier soin fut de visiter les lieux saints. Attendri à la vue des tombeaux des martyrs, il ne pouvait retenir ses larmes. Les débris de la magnificence de l'ancienne Rome lui rappelaient le néant des grandeurs humaines, et resserraient de plus en plus les liens sacrés qui l'attachaient à Dieu. De Rome il alla à NotreDame de Lorette, après quoi il parcourut les plus célèbres villes d'Italie. Enfin, son voyage étant achevé, il reprit la route de sa patrie. Toute sa famille, qui l'attendait au château de la Thuile, le reçut avec les plus grandes démonstrations de joie. Elle fondait sur lui ses plus belles espérances, en le voyant réunir, dans le degré le plus éminent, toutes les qualités de l'esprit et du cœur. En effet, le jeune comte charmait tous ceux qui le voyaient. Claude de Granier, évêque de Genève, et Antoine Faure, qui fut depuis premier président du sénat de Chambéry, ne l'eurent pas plus tôt connu, qu'ils concurent pour lui les sentimens de l'estime et de l'amitié les plus sincères; et, quoique notre saint ne fût encore que laïque, l'évêque le consultait, même sur des affaires ecclésiastiques.

Comme François était l'aîné de sa famille, son père lui avait ménagé un riche parti, et lui avait obtenu du duc de Savoie les provisions d'une charge de conseiller au sénat de Chambéry; mais il refusa l'un et l'autre, sans oser cependant déclarer le dessein qu'il avait d'entrer dans l'état ecclésiastique; il s'en ouvrit seulement à son précepteur, et le pria d'en conférer avec son père. Le maître ne voulut point se charger d'une commission aussi délicate; il employa même tout le crédit qu'il avait sur l'esprit de son élève pour lui faire quitter une telle résolution. Il lui représenta fortement qu'étant l'aîné de sa famille, il ne devait pas renverser l'ordre de la nature; que cette qualité l'obligeait à rester dans le monde pour être le soutien de son illustre maison; que c'était là le but où avaient tendu les soins que l'on avait pris de son éducation, et qu'après tout on pouvait faire son salut dans le monde, lorsqu'on y était placé par la Providence.

François, voyant qu'il ne pouvait compter sur son précepteur, s'adressa à Louis de Sales, son cousin, chanoine de la cathédrale de Genève, pour avoir le consentement de son père. Il le mit si bien dans ses intérêts, qu'il réussit, mais après de grandes diffi

cultés. La prévôté de l'église de Genève étant alors vacante, Louis de Sales la demanda au pape pour son parent, et l'obtint. Le jeune comte, qui avait entièrement ignoré les démarches de son cousin, reçut avec une grande surprise la nouvelle de sa nomination à cette dignité; il protesta qu'il ne l'accepterait pas, et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'on le détermina à en prendre possession. Il n'eut pas plus tôt reçu le diaconat, que son évêque le chargea du ministère de la parole. Ses premiers sermons lui attirèrent beaucoup de réputation, et produisirent les plus grands fruits. Effec tivement, il possédait toutes les qualités requises pour réussir en ce genre. Il avait l'air grave et modeste, la voix forte et agréable, l'action vive et animée, mais sans faste et sans ostentation. Il parlait avec une onction qui faisait bien voir qu'il donnait aux autres de l'abondance et de la plénitude de son cœur. Avant de prêcher, il avait soin de se renouveler devant Dieu par des gémissemens secrets et par des prières ferventes. Il étudiait aux pieds du crucifix encore plus que dans les livres, persuadé qu'un prédicateur ne saurait faire de fruit s'il n'est homme d'oraison.

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Quand il vit approcher le jour où il allait être élevé au sacerdoce, il s'y prépara avec une ferveur toute céleste. Aussi reçut-il, avec l'imposition des mains, la plénitude de l'esprit sacerdotal. Il se fit un devoir d'offrir tous les jours le saint sacrifice de la messe, et il s'acquittait de cette sublime fonction avec une piété vraiment angélique. On se sentait pénétré de la plus tendre dévotion en le voyant à l'autel ses yeux et son visage s'enflammaient visiblement, tant était grande l'activité du feu divin qui embrasait son cœur. Après la messe, qu'il avait coutume de dire de grand matin, il entendait les confessions de toutes les personnes qui se présentaient. Il aimait à parcourir les villages pour instruire cette portion du troupeau de Jésus-Christ qui vit d'ordinaire dans une profonde ignorance de ses devoirs; sa piété, son désintéressement, sa charité pour les malades et pour les pauvres, le faisaient chérir dans tous les lieux où il passait, et lui attiraient la confiance du peuple. Ces pauvres villageois, dont la grossièreté rebute les âmes communes, il les regardait comme ses enfans; il vi vait avec eux comme leur père; il compâtissait à leurs besoins, et se faisait tout à tous. Mais rien ne lui gagnait les cœurs avec autant d'efficacité, que sa douceur inaltérable et à l'épreuve de toutes les contradictions. Tout le monde ne sait peut-être pas que l'acquisition de cette vertu lui avait coûté bien des combats. Nous apprenons de lui-même qu'il était naturellement vif et porté à la colère; et l'on remarque dans ses écrits un certain feu, une sorte d'impétuosité qui ne laissent aucun lieu d'en douter. Dès sa jeu

nesse, il se fit les plus grandes violences pour réprimer les saillies de la nature; et à force d'étudier à l'école d'un Dieu doux et humble de cœur, il vint à bout d'établir, sur les ruines de sa passion dominante, le règne d'une vertu qui a fait son caractère distinctif. Ce fut surtout cette douceur qui dessilla les yeux aux Calvinistes les plus opiniâtres, et qui arracha soixante-douze mille âmes du sein de l'hérésie. Il établit à Annecy la confrérie de la Croix, un an après qu'il eut été ordonné prêtre. Les associés s'engageaient à instruire les ignorans, à consoler les malades et les prisonniers, à éviter tous les procès, ordinairement si préjudiciables à la charité chrétienne. L'érection de cette confrérie donna lieu à un ministre calviniste d'écrire contre l'honneur que les Catholiques ont coutume de rendre au signe sacré de notre salut. François, qui entendait parfaitement la controverse, réfuta solidement le ministre, dans un ouvrage intitulé l'Etendard de la croix, auquel on ne fit point de réplique.

Nous devons présentement considérer notre saint aux prises avec les hérétiques; mais, avant que de le suivre dans ses travaux apostoliques, il faut reprendre les choses d'un peu plus haut. Genève ayant refusé d'obéir à son évêque et au duc de Savoie, qui tous deux prétendaient avoir la souveraineté de cette ville, s'était érigée en république, et était devenue le centre du calvinisme. Quelque temps après, les Genevois s'emparèrent du duché de Chablais et des bailliages de Gex, Terni et Gaillard, tandis que les Suisses protestans du canton de Berne se rendaient maîtres du pays de Vaud. Ils en bannirent la religion catholique, à laquelle ils substituèrent l'hérésie de Calvin, qui y régna soixante ans. Mais Dieu ne permit pas qu'ils jouissent plus long-temps du fruit de leur usurpation. Charles-Emmanuel, duc de Savoie, reprit sur eux le Chablais et les trois bailliages. Le premier soin de ce prince fut d'y rétablir la foi sur les ruines de l'erreur. Il écrivit donc à l'évêque de Genève, pour lui communiquer ses pieux desseins, t pour lui demander des missionnaires.

A ne juger de cette entreprise qu'avec les yeux de la prudence humaine, le succès en était impossible. Aussi l'évêque de Genève ne put-il venir à bout de faire goûter le projet de la mission à ceux auxquels il le proposa: au lieu donc de s'offrir pour l'entreprendre, ils employèrent les raisons les plus spécieuses pour l'en dissuader. Et c'en était fait de cette bonne œuvre, si François, plus zélé et plus courageux que les autres, ne se fût présenté pour y travailler. Son exemple fut suivi de celui de Louis de Sales, son parent. L'évêque résolut de commencer la mission avec ces deux ouvriers, et il se flatta que Dieu répandrait sa bénédiction sur leurs travaux. L'événement prouva que ses espérances n'étaient point vaines,

Cependant le comte de Sales, qui ne voyait que des dangers dans l'entreprise dont son fils s'était chargé, mit tout en usage pour l'en détourner. Il employa aussi toutes les personnes qui avaient quelque autorité sur son esprit. Les représentations les plus pressantes n'ayant pas eu le succès qu'on en attendait, on y joignit les prières et les larmes; mais tout fut inutile. Le saint n'écouta que l'ardeur de son zèle, et partit avec son parent le 9 septembre 1594. Quand les deux missionnaires se virent sur les frontières du Chablais, ils renvoyèrent leurs chevaux, et marchèrent à pied, afin d'imiter plus parfaitement les apôtres. Pleins de confiance en Dieu, ils implorèrent son'secours par l'intercession des anges et des saints tutélaires du pays.

François commença la mission par Tonon, capitale du Chablais, où il n'y avait que sept Catholiques. Il était obligé d'en sortir tous les soirs pour aller coucher à deux lieues de là, c'est-àdire au château des Allinges, dont le gouverneur et une grande partie de la garnison professaient la vraie foi. Les Calvinistes furent long-temps sans vouloir l'entendre; ils attentèrent même à sa vie, mais Dieu le délivra de leurs mains. Une conspiration formée contre lui ayant ensuite été découverte, il s'intéressa si vivement en faveur de ses ennemis, qu'il obtint que l'on ne ferait point de poursuites contre eux. Ses parens et ses amis, alarmés du danger continuel où il était d'être assassiné, firent de nouveaux efforts pour le rappeler. Le comte de Sales était le plus ardent de tous. Il manda à son fils qu'il devait absolument abandonner une entreprise que toutes les personnes sensées désapprouvaient; qu'il y avait une opiniâtreté condamnable à vouloir suivre un projet dont l'exécution était impossible, et que s'il ne revenait au plus tôt, il ferait mourir sa mère de douleur. Le saint, qui n'était touché que de la gloire de Dieu, resta inébranlable. Les obstacles mêmes ne servaient qu'à donner plus d'activité à son zèle. Il espérait toujours que le moment de la miséricorde divine arriverait. Il ne se trompa point. La vérité se fit jour à la fin, et dissipa les ténèbres de l'erreur par l'éclat de sa lumière. Les soldats calvinistes de la garnison des Allinges furent la première conquête de François. Il dissipa leurs préjugés, réforma leurs mœurs, et bannit d'entre eux l'ivrognerie, les duels et les blasphèmes. Les habitans du Chablais s'humanisèrent peu à peu à son égard; ils vinrent l'entendre, et bientôt ils coururent en foule à ses discours. Plusieurs d'entre eux abjurèrent l'hérésie, malgré tous les ressorts que les ministres firent jouer pour les y retenir. François eut beau proposer des conférences publiques, jamais ils ne voulurent les accepter. Ceci, joint aux violences qu'ils avaient employées,

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contre le saint, et surtout contre un de leurs confrères qui s'était converti, rendit suspecte la cause qu'ils défendaient. Au contraire, la conduite tout apostolique du missionnaire, sa piété, sa douceur, sa charité, son zèle infatigable que rien ne pouvait rebuter, étaient comme autant de voix qui criaient aux Calvinistes que lui seul était le prédicateur de la vérité.

Une des conversions qui firent le plus de bruit, fut celle du baron d'Avuli; ce seigneur jouissait de la plus haute considération parmi les Calvinistes. Il arriva, vers ce temps-là, une autre chose qui fit perdre aux ministres le peu de crédit qui leur était resté. D'Avuli, indigné que La Faye, le plus fameux d'entre eux, eût manqué lâchement à la parole qu'il avait donnée d'entrer en dispute avec le saint missionnaire, mena François chez lui à Genève. La conférence dura trois heures; mais toutes les fois que le ministre se sentait pressé, il se jetait sur une autre question, de sorte que rien ne pouvait être décidé. Il lui fut aisé de lire sur le visage des assistans, que le désayantage était de son côté. Il ne s'en fut pas plus tôt aperçu, qu'il rompit la conférence par un torrent d'injures qu'il vomit contre le saint. Celui-ci les écouta avec sa douceur ordinaire, sans laisser échapper un seul mot qui marquat la moindre aigreur. L'issue de cette dispute ne fit qu'affermir de plus en plus la conversion du baron d'Avuli.

Le duc de Savoie, informé du succès de la mission, manda François à Turin, afin de conférer avec lui sur les moyens de conduire à sa perfection le grand ouvrage qu'il avait si heureusement commencé. Le saint, de retour à Tonon, se mit en possession de l'église de Saint-Hippolyte, la fit réparer, et y célébra les saints mystères la veille de Noël de l'an 1597: huit cents personnes y communièrent de sa main; il prêcha avec son zèle ordinaire, et toute la nuit se passa à louer Dieu. Les fêtes suivantes, il continua les mêmes exercices de piété, et il eut la consolation de voir augmenter tous les jours le nombre des prosélytes. Il regarda depuis l'église de Saint-Hippolyte comme celle dont il était le propre pasteur.

François pensa ensuite à exécuter la commission dont le pape Clément VIII l'avait chargé. Il s'agissait de travailler à faire rentrer dans le sein de l'Eglise Theodore de Bèze, le plus ferme appui du calvinisme. Il alla donc le trouver quatre fois à Genève, et lui proposa des conférences qui furent acceptées. Le ministre, pressé par les raisons de son adversaire, fit connaître par son morne silence et par ses yeux égarés et distraits, qu'il balançait s'il ne se réunirait pas à une église dans laquelle il avait avoué qu'on pouvait se sauver. Il dit même une fois, en levant les yeux au ciel

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