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Si je ne suis pas dans le bon chemin, je prie Dieu tous les jours » que, par son infinie miséricorde, il lui plaise de m'y mettre. » Le saint missionnaire espérait qu'une cinquième conférence achèverait de dissiper tous les doutes du ministre. Mais ceux de Genève, à qui ses premières visites avaient donné de l'ombrage, observèrent Bèze de si près, qu'elle ne put avoir lieu. Le ministre mourut peu de temps après. On dit que dans ses derniers momens il marqua une grande douleur de ce qu'il ne pouvait parler à notre saint1. Du moins est-il certain qu'il parut fort irrésolu dans la quatrième conférence. D'un côté, il était frappé du vif éclat de la lumière qui brillait à ses yeux; mais de l'autre, il était chef de parti, et il en eût trop coûté à son orgueil pour donner une rétractation. D'ailleurs, il lui eût fallu renoncer à des passions honteuses et secrètes dont il n'eut jamais le courage de briser le joug.

Cependant notre saint continuait toujours avec le même fruit ses travaux apostoliques dans le Chablais. La peste dont la ville de Tonon fut affligée lui fournit une nouvelle occasion de faire éclater son zèle et sa charité. Supérieur aux impressions de crainte dont ce terrible fléau frappe souvent les cœurs les plus intrépides, il se dévoua généreusement au service des pestiférés. Il volait partout où il y avait des malades, afin de procurer aux âmes et aux corps tous les secours dont ils avaient besoin. Les hérétiques, qui ne voyaient rien de tel dans leurs ministres, en furent extrêmement édifiés. Aussi le calvinisme faisait-il sans cessé de nouvelles pertes. Des bourgs entiers venaient faire abjuration; et François, avec l'aide de quelques ouvriers évangéliques qu'on lui avait en, voyés, fut bientôt en état de former plusieurs paroisses. Enfin les erreurs de Calvin furent bannies en 1598 du Chablais et des bailliages de Terni et de Gaillard, et l'on fit partout une profes sion publique de la vraie foi.

Il fallait, pour opérer ce merveilleux changement, un homme tel que notre saint, c'est-à-dire un missionnaire animé du zèle le plus pur, incapable d'être rebuté par les fatigues et les difficultés, intrépide au milieu des dangers les plus évidens, plein de cette douceur qui n'est point déconcertée par les contradictions, insensible aux affronts et aux calomnies; en un mot, un François de Sales.

Un succès aussi prompt et aussi inespéré, joint à d'éminentes vertus, attira à notre saint les louanges les plus flatteuses de la part du souverain pontife, du duc de Savoie et de toute l'Eglise; mais elles ne firent pas la moindre impression d'orgueil sur son Voyez la Vie du saint, par Augusté de Sales.

âme, solidement établie dans l'humilité. Il possédait cette vertu dans un si sublime degré, qu'il se réservait toujours ce qu'il y avait de plus pénible et de plus humiliant dans l'exercice du ministère, laissant aux autres les fonctions les plus honorables. Les peuples savaient toutefois le distinguer, et ils avaient une telle confiance en lui, que tous le choisissaient pour directeur. Rien ne pouvait résister à la force toute-puissante de sa piété et de sa douceur; elle était sûre de triompher du vice et de l'hérésie dès qu'elle les attaquait.

François, jugeant que sa présence n'était plus si nécessaire dans le Chablais, revint à Annecy en 1596, pour rendre compte à son évêque de la commission dont il l'avait chargé, conjointement avec le duc de Savoie. Il ne s'attendait pas que ce prélat lui proposerait de le faire son coadjuteur. Jamais surprise ne fut semblable à la sienne; effrayé des dangers de l'épiscopat, il conjura son évêque de fixer son choix sur un autre sujet, ajoutant qu'il était tout-à-fait indigne de cette sublime dignité. Claude de Granier, ne pouvant obtenir son consentement, mit dans ses intérêts le pape et le duc de Savoie. François se soumit à la fin; mais ce fut uniquement dans la crainte de résister à la volonté de Dieu, qui se manifestait par la voix de ses supérieurs. Et ce qui prouve la sincérité de ses dispositions, c'est que l'idée de la grandeur des devoirs attachés à l'épiscopat le frappa si vivement, qu'il fut pris d'une maladie dangereuse dont il pensa mourir. Dès que sa santé fut rétablie, il partit pour Rome, afin de recevoir ses bulles et de conférer avec Sa Sainteté sur plusieurs points relatifs aux missions de Savoie. Il fut traité dans cette ville avec tous les égards et toute la distinction due à son mérite. Le pape, qui ne le connaissait que de réputation, ne l'eût pas plus tôt entretenu, qu'il conçut pour lui la plus haute estime. Il le nomma évêque de Nicopolis et coadjuteur de Genève; puis lui fit expédier ses bulles. Le saint, n'ayant plus rien qui le retînt à Rome, alla visiter l'église de Notre-Dame de Lorette, et reprit la route d'Annecy. Il passa par Turin pour presser l'exécution des brefs donnés par le souverain pontife. Il s'agissait de la restitution des biens ecclésiastiques du Chablais, qui étaient entre les mains des ordres militaires de Saint-Maurice et de Saint-Lazare. Cette restitution, que le saint coadjuteur demandait avec instance, avait souffert jusque là de grandes difficultés; mais il l'obtint à la fin. Ces biens ayant fourni des fonds suffisans pour établir des pasteurs et pour rebâtir les églises et les monastères, le Chablais prit une face toute nouvelle, et la religion catholique s'y affermit de plus en plus.

Les syndics d'Annecy, qui connaissaient tout le mérite du saint

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coadjuteur, le prièrent de prêcher le carême de l'année 1600. Il leur accorda ce qu'ils lui demandaient; mais, lorsqu'il était près de se mettre en chemin, il apprit que le comte son père était dangereusement malade. Il se rendit en diligence au château de Sales; et, quoique pénétré de la douleur la plus vive, il eut le courage de consoler sa famille, d'administrer les derniers sacremens à son père, et de l'exhorter à la mort. La diminution de la maladie ayant donné quelque lueur d'espérance, il partit pour Annecy. Mais quelques semaines après, il fut obligé de revenir au château de Sales, afin de rendre les derniers devoirs à son père". Il retourna ensuite à Annecy, où il acheva de prêcher le carême. Le bailliage de Gex ayant été cédé à Henri IV, par le traité de paix conclu entre ce prince et le duc de Savoie, le saint se rendit à la cour de France, afin d'obtenir de Sa Majesté très-chrétienne la permission de travailler à la conversion des peuples de ce bailliage. Tout Paris s'empressa de lui donner les marques les plus flatteuses des sentimens que son rare mérite avait fait naître. Comme il était resté dans cette ville pendant le voyage de Fontainebleau, on le pria de prêcher le carême suivant à la cour, dans la chapelle du Louvre. On ne peut dire jusqu'à quel point il y fut goûté, et combien ses discours opérèrent de conversions. Sachant qu'il y avait des Calvinistes dans son audi

a François avait fait la cession de ses biens et de ses droits à Louis de Sales, son frère, qui était plus jeune que lui de dix ans. Il le forma, par ses instructions et par ses exemples, à la plus sublime pratique de la douceur, de l'humilité et de toutes les autres vertus chrétiennes. Louis de Sales ne pouvait penser aux piéges dont Dieu l'avait délivré dans sa jeunesse, sans déplorer avec amertume le triste état des jeunes gens qui sont exposés à tant de dangers, surtout de la part des libertins. Il priait fréquemment pour eux, et leur proposait un remède qui lui avait merveilleusement réussi dans les plus violentes tentations. C'était, de se dire à eux-mêmes, au fort de la tentation : « Ah! Chrétien infidèle, » pourrais-tu être assez lâché que de consentir à déshonorer et à effacer en toi >> l'image de Dieu? » Le comte Louis de Sales vit élever, en 1645, son fils CharlesAuguste sur le siége de Genève. Ce siége avait été rempli auparavant par Juste Guérin, religieux barnabite, qui fut sacré en 1637. Guérin avait pris la place de Jean-François de Sales, frère et successeur immédiat de notre saint. Pour revenir au comte Louis de Sales, il mourut en 1654, entre les bras de CharlesAuguste, son fils, à l'âge de soixante-dix-huit ans. Lorsque son fils l'exhortait dans ses derniers momens à se soumettre avec résignation à la volonté de Dieu, il lui répondait en répétant ce distique, qu'il avait souvent à la bouche: Sive mori me, Christe, jubes, seu vivere mavis, Dulce mihi tecum vivere, dulce mori.

Quoiqu'il possédât dans un éminent degré l'esprit de prière, de retraite, d'hu milité, de douceur et de charité, il n'y avait pourtant point de vertu qui brillât plus en lui que le détachement de toutes les choses terrestres. Il pratiqua à la lettre cette belle maxime de S. François de Sales, son frère : Qu'un Chrétien doit être sur la terre, comme dans un tombeau; en sorte que son esprit et son cœur soient toujours dans le ciel, la vraie terre des vivans. Toutes les fois qu'il entendait prononcer le mot de paradis, il ne pouvait contenir sa joie, tant il était frappé de cette consolante pensée, que Dieu nous a créés pour jouir de lui pendant l'éternité Voyez la Vie du comte Louis de Sales, frère de S. François de Sales, modèle de piété dans la vie civile, par le P. Buffier, jés suite. Paris, 1737, in-12.

toire, il donna un sermon sur la prétendue réforme, qu'il attaqua par ses fondemens, en démontrant que les ministres étaient sans autorité légitime, puisqu'ils ne tenaient leur mission que d'une troupe de laïques, auxquels le droit d'envoyer des pasteurs ne pouvait appartenir. Ce sermon ouvrit les yeux à plusieurs Calvinistes, entre autres à la comtesse de Perdrieuville, qui avait plus de prévention que de lumières. Les ministres n'ayant pu dissiper ses doutes, elle alla trouver le coadjuteur de Genève, qui, dans des conférences particulières, acheva de la convaincre. Elle fit abjuratior avec toute sa famille. Sa conversion fut suivie de celle de l'illustre maison de Raconis et de celle d'un si grand nombre de zélés défenseurs de la prétendue réforme, que le célèbre cardinal du Perron, alors évêque d'Evreux, ne put s'empêcher de dire « Je suis sûr de convaincre les Calvinistes; mais pour les convertir, c'est un talent que Dieu a réservé à M. de Genève. » Le carême fini, les duchesses de Longueville et de Mercœur, qui connaissaient la modicité des revenus du saint et ses aumônes abondantes, lui envoyèrent une somme d'argent considérable dans une bourse fort riche. François admira la beauté du travail de la bourse sans l'ouvrir; puis, l'ayant rendue au gentilhomme qui la lui avait apportée, il le pria de remercier de sa part les princesses de l'honneur qu'elles lui avaient fait d'assister à ses sermons, et d'avoir contribué par leur bon exemple au fruit qu'ils avaient pu faire. Le roi, informé du talent singulier qu'avait notre saint pour la prédication, voulut l'entendre lorsqu'il fut de retour à Paris. Il l'entendit en effet avec la plus grande satisfaction, et il conçut de lui une si haute idée, qu'il le consulta plusieurs fois dans la suite sur des matières qui concernaient la direction de sa conscience. Ceci arriva en 1602.

François servit beaucoup au cardinal de Bérulle, pour l'établissement des Carmelites en France, et pour celui de la Congrégation de l'Oratoire. Il n'y avait point d'assemblée de piété où il ne fût invité; point de projet de dévotion qui ne lui fût communiqué, ni de bonne œuvre sur laquelle on ne prît son conseil. Henri IV, qui l'estimait de plus en plus, forma le dessein de l'attacher absolument à la France. Il lui fit donc offrir le premier évêché vacant; et, en attendant, une pension de quatre mille livres. Le saint répondit que, pour l'évêché, Dieu l'avait appelé malgré lui à celui de Genève, et que, pour suivre sa vocation, il se croyait obligé de le garder toute sa vie. Quant à la pension, ajouta-t-il, le peu que j'ai suffit pour m'entretenir, et ce que j'aurais au-delà ne servirait qu'à m'embarrasser, Le roi fut touché d'un désintéressement dont il n'avait point encore vu d'exemple; et ce qui prouve la sincérité

de ce désintéressement, c'est qu'il ne se démertit jamais, notre saint n'ayant eu toute sa vie d'autre revenu que celui de son évêché, lequel ne montait qu'à quatre ou cinq mille livres de

rente.

pure

Qui croirait qu'un homme dont la vertu était si dût trouver des ennemis à la cour? Cependant on l'accusa auprès du roi d'être l'espion du duc de Savoie. Il en fut averti lorsqu'il allait monter en chaire; il ne fit paraître aucune émotion, et il prêcha avec son zèle ordinaire, laissant à Dieu le soin de son innocence. Le prince, qui avait lui-même l'âme si belle et si grande, ne s'en laissa point imposer par les couleurs que la calomnie sut donner à l'accusation; il ne put croire qu'un homme dont la vie était si sainte, et dont toutes les actions portaient l'empreinte de la candeur, fût propre à l'indigne personnage qu'on lui faisait jouer. Cette affaire n'eut donc point d'autres suites, ou plutôt, elle ne servit qu'à combler de gloire le saint coadjuteur. Sa présence n'étant plus nécessaire à la cour de France, il prit congé du roi, et le pria de lui accorder des lettres dont il pût faire usage dans le besoin. Il partit ensuite pour Annecy, neuf mois après son arrivée à Paris. Il reçut en route la nouvelle de la mort de Claude · de Granier, évêque de Genève, prélat dans lequel avaient brillé toutes les qualités et toutes les vertus qui caractérisent les dignes pasteurs.

Notre saint alla descendre au château de Sales, qu'il avait choisi pour le lieu de son sacre. Il se prépara à cette auguste cérémonie par une retraite de vingt jours, et la commença par une confession générale de toute sa vie. Ce fut pendant cette retraite. qu'il régla le plan de vie qu'il voulait suivre, et dont il ne s'est jamais départi. Ce réglement est trop édifiant pour que nous le passions sous silence; il faut au moins que nous en donnions une idée. Le saint promit à Dieu de ne point porter d'étoffes trop éclatantes, telles que le camelot et la soie; mais d'être toujours vêtu de laine, comme avant son épiscopat; de bannir de sa maison la magnificence des meubles, et de n'y mettre que des tableaux de dévotion; de n'avoir ni carrosse, ni litière, et de faire à pied la

a Le saint, étant sur le point de retourner en Savoie, apprit qu'on permettait d'avoir des pensions superflues chez les religieuses d'un monastère de l'ordre de Fontevrault. Il en écrivit aux religieuses, dans la persuasion que ces sortes de pensions n'étaient point exemptes de péchés, qu'elles étaient opposées au vœu de pauvreté, et un obstacle à la perfection monastique. Après avoir rendu témoignage à leur vertu, afin de gagner leur confiance, il les conjurait, dans les termes les plus touchans, de bannir un tel abus de leur monastère. Il est bien triste, leur disait-il, qu'en ayant tant fait, vous perdiez le mérite de votre sacrifice, par une petite réserve. Cette belle lettre, où l'on trouve des instructions très-importantes, est la quarante-unième du premier livre. Voyez la nouvelle édition des lettres de S. François de Sales, tom. 1, p. 136.

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