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visite de son diocèse. Il réduisit son domestique à deux, prêtres, l'un destiné à lui servir d'aumônier, et l'autre à prendre soin de son temporel et des gens qui lui seraient attachés. Il se fit une loi de n'avoir que des viandes communes sur la table, à moins qu'il ne survînt quelque personne distinguée. Il s'obligea à se trouver à toutes les fêtes de dévotion qui se célébreraient dans la ville; à regarder les pauvres comme ses enfans, et à les visiter lui-même dans leurs maladies; à se lever tous les jours à quatre heures du matin, puis à faire une heure de méditation, qui serait suivie de la récitation des laudes et de prime. Il se chargeait lui-même de présider à la prière de ses domestiques. Tout le reste du temps, jusqu'à neuf heures, qu'il devait dire la messe, et cela tous les jours, était partagé entre l'étude et la lecture de l'Écriture sainte. Après la messe, les affaires de son diocèse devaient l'occuper jusqu'au dîner. Au sortir de table, il donnait une heure à la conversation, et reprenait les affaires du diocèse : si elles lui laissaient du temps, il le consacrait à l'étude et à la prière. Après souper, il devait, pendant une heure, lire un bon livre à ses domestiques, et terminer cette lecture par la prière du soir; ensuite il se retirait pour dire matines. Il s'engagea à jeûner tous les vendredis et les samedis, ainsi que les veilles des fêtes de la sainte Vierge; et à ne jamais s'absenter de son diocèse sans des raisons très-fortes, et toujours tirées de l'utilité de l'Eglise et du prochain. Quoique le saint ne se fût point prescrit de pénitences extraordinaires, il ne laissait pas de porter le cilice et de prendre la discipline ; mais il se cachait dans ces pratiques avec d'autant plus de soin, qu'il était ennemi de tout ce qui sentait l'ostentation. Au reste, les mortifications extérieures sont beaucoup moins méritoires qu'une exacte et constante fidélité à remplir les devoirs d'une vie commune en apparence, surtout lorsqu'elle est accompagnée d'un renoncement entier et perpétuel à soi-même. Or, c'est ce que l'on remarqua toujours dans S. François de Sales.

Cependant le jour de son sacre arriva, et il reçut l'onction sainte le 8 décembre 1602. Une foi vive lui ayant découvert toute l'étendue de ses devoirs, il ne pensa plus qu'à s'en acquitter dignement. Il se livra tout entier aux fonctions du ministère, et surtout à la prédication. Moins jaloux de multiplier le nombre des ministres d'en avoir de bons, il n'admit aux ordres sacrés que qu'il avait trouvés capables après un mûr examen. Il établit, pour l'instruction des ignorans, des catéchismes solides qui se faisaient régulièrement les dimanches et les fêtes. Il ne dédaignait pas, pour les animer, d'exercer souvent lui-même la fonction de catéchiste. Les pasteurs subalternes se piquèrent d'émulation, et les

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laïques avancés en âge ne rougirent plus d'assister à ces instructions familières, qui sont plus importantes qu'on ne pense, et qui procurent des fruits merveilleux lorsqu'elles sont en de bonnes mains. Le saint évêque avait grand soin d'indiquer aux simples fidèles différentes pratiques de piété propres à nourrir la ferveur, et principalement celle d'élever souvent son cœur à Dieu, et de faire le signe de la croix lorsque l'heure sonne. Il publia un nouveau rituel, afin d'introduire une parfaite uniformité dans la dispensation des choses saintes; rétablit les conférences ecclésiastiques, toujours si utiles quand elles sont bien faites; recommanda très-fortement la fuite des procès, surtout aux ministres des autels; bannit ou prévint tous les abus par des réglemens pleins de sagesse, et tels qu'on devait les attendre d'un évêque qui avait pris S. Charles Borromée pour modèle.

Les difficultés qui s'opposaient au rétablissement de la religion catholique dans le bailliage de Gex ayant été enfin levées, notre saint ne pensa plus qu'à en bannir l'hérésie qui, depuis long-temps, y causait de grands ravages. Il partit donc avec quelques ecclésiastiques dignes de travailler sous ses ordres, et se mit à instruire de malheureux peuples qui étaient assis dans les ombres de la mort. Ses discours, et encore plus ses exemples, opérèrent une quantité prodigieuse de conversions. Les Calvinistes, furieux du discrédit où tombait leur secte, et des pertes continuelles qu'elle faisait, résolurent de se défaire de celui qui en était l'auteur; ils attentèrent plusieurs fois à sa vie, mais toujours inutilement, parce que Dieu prenait invisiblement la défense de son serviteur, dont la conservation intéressait le bien de l'Eglise. Le saint évêque continua de travailler avec un égal succès. Enfin la moisson fut si abondante, qu'il se vit en état de rétablir les églises et les pas teurs dans tout le bailliage de Gex, comme il avait déjà fait dans le Chablais.

Un autre objet non moins important l'occupa dans l'année 1605, je veux dire la réformation des monastères. Il commença par celui de Six, où il laissa des ordonnances dictées par l'esprit de sagesse et de vertu. Mais les moines, accoutumés à une vie licencieuse, et ennemis de toute règle, en appelèrent au sénat de Chambéry. Le saint évêque suivit cette affaire avec la fermeté convenable, et obtint un arrêt qui confirmait ses ordonnances et l'autorisait à réformer l'abbaye. Ce fut à Six qu'il apprit la désolation arrivée dans une vallée à trois lieues de là. Les sommets de deux montagnes s'étant détachés, avaient écrasé plusieurs villages, quantité de bestiaux et un grand nombre d'habitans. Quoique les chemins fussent impraticables, il partit sur-le-champ pour

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aller consoler cette partie de son troupeau, d'autant plus digne de compassion qu'elle était plus malheureuse. Son cœur fut vivement attendri à la vue de ces pauvres gens, qui manquaient de tout, même d'habits et de maisons. Il mêla ses larmes aux leurs, les consola, leur distribua tout l'argent qu'il avait apporté, et leur obtint ensuite du duc de Savoie l'exemption de toutes taxes.

Les habitans de Dijon ayant enfin trouvé le moyen d'avoir l'agrément du duc de Savoie, le saint évêque alla prêcher le carême chez eux, comme ils l'en avaient prié. Ses sermons produisirent de merveilleux fruits, tant parmi les Catholiques que parmi les Calvinistes. Le carême fini, le corps de ville voulut lui témoigner sa reconnaissance en lui faisant un riche présent; mais il ne fut pas possible de le déterminer à l'accepter. De retour à Annecy, il donna une nouvelle preuve de son désintéressement. Il refusa une abbaye considérable qui lui était offerte de la part de Henri IV, en disant qu'il craignait autant les richesses que d'autres pouvaient les désirer; et que moins il en possèderait, moins il aurait de compte à rendre. Une autre fois, que le même prince le pressait d'accepter une pension, il pria Sa Majesté de lui permettre de la laisser entre les mains de son trésorier royal, jusqu'à ce qu'il en eût besoin. Ce grand roi, frappé de cette réponse, qui n'était qu'un honnête refus, ne put s'empêcher de dire « que l'évêque de Genève, par cette heureuse indépendance où sa » vertu l'avait mis, était autant au-dessus de lui, que la royauté » l'élevait au-dessus des autres hommes. » Déterminé absolument à lui faire du bien, il l'assura qu'il demanderait un chapeau de cardinal pour lui à la première promotion. Le saint, qui n'aimait pas plus les honneurs que les richesses, répondit qu'il respectait la dignité qu'on lui offrait; mais que les grandeurs ne lui convenaient pas, et qu'elles apporteraient de nouveaux obstacles à son salut. Il sut aussi traverser les vues de Léon XI, qui avait dessein de l'agréger au sacré collége.

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Cependant l'approche du carême l'obligea d'interrompre la visite générale de son diocèse, qu'il faisait, et il se rendit à Chambéry, où le sénat l'avait prié de prêcher. Il se serait bientôt repenti de sa complaisance, s'il eût été un homme ordinaire. En effet, le sénat ordonna la saisie de son temporel, sur le refus qu'il fit de publier des monitoires pour une affaire peu importante, et qui ne méritait pas qu'on employât les censures ecclésiastiques. Il répondit tranquillement à ceux qui lui signifièrent l'arrêt, qu'il remerciait Dieu de lui avoir appris qu'un évêque devait être tout spirituel. Il oublia dans le moment même l'injure qu'il recevait; et au lieu d'en porter ses plaintes au duc de Savoie, il continua de prê

cher le carême comme si on ne lui eût pas manqué. Cette conduite édifia toute la ville de Chambéry; le sénat rougit de son arrêt, et accorda, de son propre mouvement, au saint, la main-levée de la saisie de son temporel.

Les sermons du saint évêque de Genève produisaient partout les plus grands fruits. Néanmoins il aimait mieux prêcher dans les villages que dans les grandes villes, où les applaudissemens faisaient beaucoup souffrir son humilité. Il avait d'ailleurs une tendresse toute particulière pour les pauvres. On lui en présenta un qui était sourd et muet; il le logea dans son propre palais, se chargea lui-même de l'instruire par signes, et vint à bout de le confesser. Ses aumônes étaient si abondantes, qu'elles paraissent incroyables, quand on les compare avec la modicité de son revenu. Il donnait toujours sans penser à ce qu'exigeait l'entretien de sa maison; jusque là que son intendant, qui manquait souvent de fonds, le querellait, et le menaçait quelquefois de le quitter. << Vous avez raison, répondit le saint avec une naïveté admirable, » je suis un incorrigible; et qui pis est, j'ai bien l'air de l'être long-temps. » Il lui disait une autre fois, en lui montrant un crucifix : « Peut-on refuser quelque chose à un Dieu qui s'est mis » en cet état nous ? pour

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Notre saint, dont la réputation croissait de jour en jour, reçut des lettres de Rome en 1607. Elles lui avaient été écrites de la part de Paul V, qui occupait alors la chaire de S. Pierre. On lui demandait son sentiment sur la fameuse contestation qui divisait alors les Dominicains et les Jésuites. Il s'agissait de la manière dont la grâce agit avec la liberté de l'homme; ce qui a fait donner aux congrégations qui se tinrent à ce sujet le titre de congrégations de Auxiliis. Le saint fit une réponse, mais conçue de manière qu'il ne prenait point de parti: conduite qu'il observa toujours dans les questions de l'Ecole. Il est pourtant aisé d'apercevoir dans son traité de l'Amour de Dieu, quel était son sentiment. Au reste, il blâmait en général l'esprit de parti, comme contraire à la charité, et condamnait hautement cette sorte d'hommes, qui, au lieu de consacrer à la gloire de Dieu un temps dont le prix est infini, le perdent à disputer sur des questions obscures et inutiles au salut.

Les amis du saint évêque ayant eu communication des lettres spirituelles qu'il avait écrites à une dame du monde, pour lui tracer des règles de conduite, le prièrent d'en former un corps d'ouvrage suivi, où il montrerait que la dévotion est de tous les états, et qu'elle regarde le commun des Chrétiens comme ceux qui vivent dans les cloîtres ; il se rendit à leurs instances, et com

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posa le livre admirable de l'Introduction à la vie dévote. Cet ouvrage fut reçu avec un applaudissement universel, et on le traduisit dans toutes les langues qui se parlent en Europe. Henri IV en faisait une estime singulière, et prenait un plaisir incroyable à le lire. La reine Marie de Médicis en envoya un exemplaire magnifiquement relié et enrichi de pierreries, à Jacques Ier, roi d'Angleterre. Ce prince, tout ennemi qu'il était de l'église romaine, éprouyait en le lisant une grande satisfaction; il ne s'en cachait pas, jusque là qu'il demanda aux évêques protestans pourquoi ils n'écrivaient pas avec la même onction1. « Votre livre,» mandait à notre saint Pierre de Villars, archevêque de Vienne, « votre livre m'enchante; toutes les fois que je l'ouvre, je me sens enflammé et >> ravi hors de moi-même.» On se tromperait pourtant, si l'on croyait que l'Introduction à la vie dévote n'essuya point de critiques. Un ordre religieux entreprit de la décrier, sous prétexte que l'on y permettait la galanterie, les bons mots, le bal et la comédie. Un peu d'attention eût suffi pour découvrir qu'on attribuait au saint une doctrine qu'il n'avait point : mais un zèle mal réglé ne raisonne point, et se laisse subjuguer par le préjugé. Ce n'est pas encore tout; un prédicateur du même ordre osa déclamer en chaire de la manière la plus indécente contre le livre de l'Introduction à la vie dévote, et finit par le brûler en présence de son auditoire. Une scène aussi scandaleuse excita l'indignation de tous les honnêtes gens. Il n'y eut que le saint évêque de Genève qui ne fit point entendre de plaintes; il apprit même sans ressentir aucune émotion la nouvelle de l'affront qu'il venait de recevoir. Il faut avouer qu'une telle conduite suppose un homme d'une vertu bien héroïque, et l'on en conviendra, pour peu que l'on considère jusqu'où va la délicatesse des auteurs pour les productions de leur esprit,

Quelque temps après parut le Traité de l'Amour de Dieu, qui demanda beaucoup plus de lecture et de travail que l'Introduction à la vie dévote. Le saint y décrit avec la plus grande vérité les transports, les refroidissemens, les inquiétudes, les peines, les sécheresses qu'éprouve une âme qui aime Dieu; et il est d'autant plus croyable en tout ce qu'il dit sur cette sublime matière, que sa plume était dirigée par l'expérience. Quoique quelques endroits de ce livre ne puissent être compris de ceux qui ont passé par les divers états dont nous venons de parler, cela n'a pas empêché qu'on n'ait toujours douné de justes éloges au mérite de l'exécution. Le général des Chartreux, ayant lu l'Introduction à la vie dévote, avait conseillé au saint prélat de ne plus écrire, sous préVoyez la Vie du saint, par Auguste de Sales

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