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texte que sa plume ne pourrait rien produire de comparable à ce livre; mais il n'eut pas plus tôt lu le Traité de l'Amour de Dieu, qu'il lui conseilla de ne jamais cesser d'écrire, puisque ses derniers ouvrages effaçaient toujours les premiers. La lecture qu'en fit Jacques Ier, roi d'Angleterre, le toucha si vivement, qu'il marqua une grande envie de voir l'auteur. Dès que le saint en fut informé, il s'écria: « Qui me donnera les ailes de la colombe pour » voler dans cette île, autrefois si féconde en saints, et aujour-` » d'hui plongée dans les ténèbres de l'erreur? Oui, si le duc, mon » souverain, veut me le permettre, j'irai à cette nouvelle Ninive, j'irai trouver le roi pour lui annoncer la parole de Dieu, au ris» que de ma propre vie. » Il aurait effectivement passé en Angleterre, si le duc de Savoie eût voulu y consentir 1. Ce prince, extrêmement jaloux de son autorité, craignait que François, venant à se fixer dans un pays étranger, ne fît la cession de son droit sur la principauté de Genève. Ce fut encore par un mouvement de cette même crainte, qu'il lui refusa souvent la permission d'aller prêcher en France, où plusieurs villes se disputaient le bonheur de l'entendre.

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Jean-Pierre Camus, ayant été nommé à l'évêché de Belley en 1609, écrivit à notre saint pour le prier de venir faire la cérémonie de son sacre. François lui accorda cette satisfaction avec d'autant plus de plaisir, qu'il savait que son seul mérite l'avait élevé à l'épiscopat, et le rendrait infiniment utile à l'Eglise. Ces deux grands hommes furent toujours unis depuis par les liens d'une amitié aussi sainte qu'étroite. Ils se voyaient tous les ans, et avaient ensemble des conférences sur plusieurs matières spirituelles. Ce fut dans une de ces conférences que notre saint dit un jour à l'évêque de Belley ces paroles remarquables sur la correction fraternelle : « La vérité doit toujours être charitable. Un » zèle amer ne produit que du mal. Les réprimandes sont une nour riture difficile à digérer. Il faut si bien les cuire au feu ardent » de la charité, qu'elles perdent toute leur âpreté ; autrement elles » ressembleront à ces fruits mal mûrs qui donnent des tranchées.. La charité ne cherche point ses intérêts, mais seulement la » gloire de Dieu. L'amertume et la dureté viennent de la passion, » de la vanité et de l'orgueil. Un bon remède, quand on l'applique » à contre-temps, devient poison. Un silence judicieux est toujours » meilleur qu'une vérité non charitable. »> On sait que nous sommes redevables à M. Camus du livre intitulé l'Esprit de saint François de Sales. C'est un recueil des paroles et des actions de ce saint. On y trouve véritablement son esprit, c'est-à-dire un esprit de Voyez la Vie du saint, par Auguste de Sales.

TOME I.

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Técrits

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douceur, d'humilité, d'oraison et de charité. Et voilà aussi oe qui caractérise les écrits du saint évêque de Geneve. Chaque mot inspire cette douceur et cette charité dont son cœur était rempli, C'est ce qui paraît surtout dans ses Lettres, qu'on doit regarder comme un corps d'instructions touchantes et propres à toutes sortes de personnes, dans quelques circonstances qu'elles puissent

se trouver.

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Nous ne nous étendrons poin point sur l'ordre de la Visitation, que notre saint fonda en 1610, parce que nous réservons cet article pour la vie de la bienheureuse Jeanne-Françoise de Chantal. Nous ne ferons donc ici que quelques observations générales sur cet institut. Le fondateur, qui ne voulait point l'exclusion des pèrsonnes infirmes, ou d'une complexion délicate, choisit la règle de S. Augustin, qui prescrit peu d'austérités corporelles. Les religieuses devaient être rentées, et posséder du bien en commun, afin le que manquement des choses nécessaires ne les empêchât point de vaquer aux exercices de la vie intérieure. Mais chaque sœur en particulier était obligée à une pauvreté si absolue, qu'elle ne possédait rien en propre, pas même quant à l'usage; elles devaient pour cet effet changer tous les ans de chambres, de lits, de croix, de chapelets et de livres. Il fallait, dans la réception des sujets, avoir égard, non à la naissance ou aux talens de l'esprit, mais à l'humilité seule. Le saint n'ordonna que le petit office de la sainte Vierge, persuadé que les méditations, les pieuses lectures, le recueillement perpétuel et les retraites fréquentes suppléeraient à la récitation du grand office. Quant aux autres règles qu'il fit, elles tendaient toutes à inspirer l'esprit de piété, de douceur, de simplicité et de charité. Le nouvel institut n'avait point de supérieur général; il était soumis immédiatement aux ordinaires. Il fut confirmé par le pape Paul V, qui lui donna de grands éloges, et l'érigea en corps de religion, sous le titre de Congrégation de la Visitation de sainte Marie.

Cependant la santé du saint évêque de Genève s'affaiblissait de jour en jour; ce qui, joint à la multiplicité des affaires auxquelles il craignait de ne pouvoir suffire, le détermina à demander un coadjuteur. Son choix, de l'avis du cardinal Frédéric Borromée, archevêque de Milan, se fixa sur Jean-François de Sales, son frère. Il est certain que les liens du sang n'entrèrent pour rien dans ses vues, et qu'il n'eut égard qu'au mérite personnel. Il préféra son frère à tout autre, uniquement parce qu'il le crut devant Dieu le plus digne de servir l'Eglise. Jean-François fut donc sacré evêque de Chalcédoine, à Turin, en 1618. Quoique notre saint eût un coadjuteur, il ne laissa pas de continuer l'exercice de

toutes les fonctions pastorales. Il s'absenta quelque temps pour aller prêcher le carême à Grenoble, comme il avait fait l'année précédente. Ses discours, qui avaient toujours une bénédiction particulière, ouvrirent les yeux à un grand nombre de Calvinistes, qui se convertirent. On compta parmi eux le célèbre duc de Lesdiguières, qui fut depuis connétable.

Le saint fut chargé, en 1619, d'accompagner à Paris le cardinal de Savoie, qui allait demander en mariage, pour le prince de Piémont, Christine de France, sœur de Louis XIII. Son zèle ne put rester oisif dans cette grande ville. Il prêcha le carême à SaintAndré-des-Arcs. Tout le monde courut à ses sermons, et la foule y fut si grande, que les personnes les plus qualifiées avaient peine ý trouver place. Les hérétiques et les libertins rentraient en eux-mêmes après l'avoir entendu, et lui demandaient des conférences particulières pour achever d'éclaircir leurs doutes. Souvent il lui arrivait de prêcher deux fois par jour. Un de ses amis lui ayant représenté qu'il devait ménager un peu plus sa santé, il répondit, en souriant, qu'il lui en coûtait moins de donner un sermon, que de trouver des excuses pour s'en dispenser. « D'ailleurs, ajoutait-il, j'ai été établi pasteur et prédicateur; ne faut-il pas » que chacun exerce sa profession? Mais je suis surpris que les >> Parisiens courent à mes sermons avec un tel empressement, » d'autant plus qu'il n'y a ni noblesse dans mon style, ni élévation dans mes pensées, ni beauté dans mes discours.- Croyez-vous » donc, lui repartit son ami, qu'ils aillent chercher l'éloquence » dans vos discours? Il leur suffit de vous voir en chaire. Votre >> cœur parle par votre visage et par vos yeux, ne fissiez-vous que » dire Notre Père. Les expressions les plus communes devien» nent toutes de feu dans votre bouche, et vont allumer les flammes du divin amour; et voilà pourquoi chacune de vos paroles a >> tant de poids, et pénètre jusqu'au cœur. Vous avez déjà tout dit, même quand vous croyez n'avoir rien dit encore; vous avez » une espèce de rhétorique à párt, dont les effets sont merveil» leux. » Le saint évêque se mit à sourire, et changea de conver» sation 1.

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Le mariage du prince de Piémont avec Christine de France ayant été conclu, la princesse choisit l'évêque de Genève pour son premier aumônier. Son dessein était de l'attacher spécialement à sa personne, et de lui confier la direction de sa conscience. Mais le saint refusa cette charge, alléguant pour raison qu'elle lui

Voyez le livre intitulé: Quel est le meilleur gouvernement, etc. c. 8, p. 298, de Fanc. édit,

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paraissait incompatible avec la résidence dont il ne se croyait pas dispensé, quoiqu'il eût un coadjuteur. Et s'il se rendit à la fin aux instances réitérées de la princesse, ce ne fut qu'à deux conditions: l'une, qu'il résiderait dans son diocèse; l'autre, que, quand il n'exercerait point sa charge, il ne recevrait point le revenu qui y était attaché. Christine, comme pour lui donner l'investiture de sa nouvelle dignité, lui fit présent d'un très-beau diamant, qu'elle lui recommanda de garder pour l'amour d'elle. « Madame, dit le saint, je vous le promets, tant que les pauvres n'en auront pas. » besoin. En ce cas-là, répondit la princesse, contentez-vous de » l'engager, et je le dégagerai.—Madame, répliqua l'évêque de Ge»nève, je craindrais que cela n'arrivât trop souvent, et que je n'abu» sasse enfin de votre bonté.» La princesse l'ayant vu depuis à Turin sans le diamant, il lui fut aisé de deviner ce qu'il était devenu. Elle lui en donna un autre d'un plus grand prix encore, mais en lui recommandant bien de n'en pas faire comme du premier. «Ma» dame, dit le saint prélat, je ne vous en réponds pas; je suis peu » propre à garder des choses précieuses. » Comme la princesse parlait un jour de ce diamant, un gentilhomme lui dit qu'il était toujours engagé pour les pauvres, et qu'il était moins à l'évêque de Genève qu'à tous les gueux d'Annecy. Effectivement, notre saint avait une si grande tendresse pour les pauvres, qu'il ne pouvait rien leur refuser. Il leur donnait jusqu'à des pièces d'argenterie de sa chapelle, et jusqu'à ses propres habits.

Il n'a pas tenu à la France qu'il n'ait été compté parmi nos saints évêques. Nous avons vu tout ce que fit Henri IV pour l'attacher à son royaume. Le cardinal Henri de Gondi, évêque de Paris, fut si touché de son rare mérite, qu'il le demanda pour son coadjuteur, et qu'il mit tout en œuvre pour l'engager à consentir à ses désirs; mais il lui fut impossible d'arracher son consentement. François répondit toujours qu'il ne quitterait jamais l'église de Genève, que Dieu lui avait donnée pour épouse. Il donna aussi au cardinal des avis fort salutaires sur la conduite que doit tenir un évêque.

Lorsque notre saint fut de retour à Annecy, on lui apporta une année et demie de son revenu; mais il ne voulut point la recevoir, sous prétexte qu'ayant été absent pendant tout ce temps-là, il ne l'avait point gagnée. Il fit donner à sa cathédrale la somme qu'on avait mise en réserve. On le vit reprendre ses différentes fonctions avec son zèle ordinaire, et ce zèle parut avec un nouvel éclat pendant la peste qui désola son troupeau. Il avait un talent admirable pour gagner le cœur de ses ennemis: c'était de n'oppo ser à leurs insultes et à leurs outrages que la douceur et les bien

faits. Le démon cependant lui en suscita un qui porta la noirceur et la scélératesse jusqu'à leur comble. Ce malheureux, outré des précautions que le saint évêque avait prises pour arrêter les dés ordres d'une courtisane qu'il entretenait, imagina une espèce de vengeance inouïe. Il lui supposa une lettre adressée à cette méchante femme, dans laquelle il lui prêtait le langage du plus effronté libertin, et il lui fut d'autant plus aisé de réussir, qu'il avait trouvé le moyen de contrefaire parfaitement son style et son écriture. Cette lettre, étant devenue publique, en imposa à un grand nombre de personnes, même au duc de Nemours. L'évêque de Genève fut traité d'infâme hypocrite, et chargé des imputations les plus flétrissantes, qui, par contre-coup, retombèrent sur les religieuses de la Visitation. Le saint, à qui sa conscience ne reprochait rien, souffrit patiemment les traits envenimés de la calomnie, bien persuadé que Dieu prendrait soin de justifier sa réputation. La vérité cependant ne parut qu'au bout de deux ans dans tout son jour; mais ce fut avec des circonstances qui lui donnèrent une nouvelle force. Le calomniateur, se voyant au lit de la mort, avoua son crime en présence de plusieurs personnes ; il en demanda pardon avec les sentimens d'un vif repentir, et conjura tous les assistans de publier sa rétractation. Ainsi furent justifiés le saint évêque de Genève, et ses filles spirituelles, qui avaient eu part à sa diffamation.

Jamais personne ne se confia plus en la Providence que notre saint. Comme il s'était fait une habitude de regarder tous les événe mens dans les décrets de la volonté divine, il s'y soumettait avec résignation et même avec joie. De cette disposition naissait en lui un souverain mépris de toutes les choses du monde, des dangers et des souffrances. Il ne considérait en tout que la gloire de Dieu, et y rapportait l'usage de chacune des facultés de son âme. La divine charité épuisait toutes ses affections, se répandait jusque sur son extérieur, et enflammait son visage, surtout lorsqu'il disait la sainte messe, comme nous l'avons déjà observé, ou lorsqu'il donnait la communion au peuple. Souvent elle le brûlait avec tant de vivacité, qu'il s'écriait, en conversant avec ses amis : « Ah! si vous » connaissiez les consolations dont mon âme est inondée, vous en remercieriez pour moi la bonté divine, et vous la prieriez de m'accorder la force d'exécuter les saintes inspirations qu'elle m'en» voie. Mon cœur ressent un désir inexprimable d'être la victime perpétuelle de l'amour de mon Sauveur. Quel bonheur que de ne vivre, de ne travailler, de ne se réjouir qu'en Dieu! J'espère » que par sa grâce je ne serai plus rien aux créatures, et que les créatures ne me seront plus rien qu'en lui et pour lui,» Unę

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