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quentes sorties, était de s'abandonner quelques momens à l'impression de la joie intérieure qu'il ressentait, et de donner un libre cours à ses larmes, qu'il ne lui était pas possible de re

tenir.

Romuald ayant fait demander aux comtes de la province de Marino un petit terrain pour y bâtir un monastère, ceux-ci lui laissèrent la liberté de choisir tel emplacement qu'il jugerait à propos. Il se détermina pour la vallée de Castro, comme étant le lieu le plus propre à l'exécution de son dessein. Il est incroyable combien il fit de conversions dans la province de Marino. Les grands pécheurs le venaient trouver en foule, pour apprendre de lui les moyens de rentrer en grâce avec Dieu. Il y en eut un grand nombre qui, touchés des instructions qu'il leur avait données, distribuèrent aux pauvres la meilleure partie de leurs biens, et passèrent le reste de leurs jours dans les travaux de la pénitence. Romuald paraissait parmi eux comme un séraphin revêtu 'd'un corps mortel, tant était vive l'ardeur du divin amour qui enflammait son cœur. Ses disciples ne pouvaient l'entendre parler sans se sentir embrasés du feu sacré qui consumait leur maître. Lorsqu'il était en voyage, ou à la promenade avec ses frères, il restait toujours derrière, afin de réciter des Psaumes, et de laisser couler librement ses larmes.

Notre saint avait toujours ardemment désiré de verser son sang pour Jésus-Christ; mais ce désir avait acquis une nouvelle vivacité depuis le martyre de S. Boniface, et celui de quelques-uns de ses confrères. Il ne put enfin résister à l'ardeur qui le pressait de mourir pour son Sauveur, et il s'adressa au pape, pour lui deman ́der la permission d'aller prêcher la foi en Hongrie; ce qui lui fut accordé. Il partit donc avec quelques-uns de ses disciples, dont deux furent sacrés archevêques, n'ayant pas voulu lui-même être élevé à cette dignité; mais lorsqu'il était sur le point d'entrer en Hongrie, il fut attaqué d'une maladie violente, qui recommençait toutes les fois qu'il se remettait en route. Il ne lui fut pas difficile de reconnaître que la volonté de Dieu n'était pas qu'il exécutât son dessein. Ainsi il retourna à son monastère avec sept de ses disciples. Les autres suivirent les deux archevêques dans la Hongrie, qui avait alors S. Etienne pour roi. Ces hommes apostoliques eurent beaucoup à souffrir durant le cours de leur mission; ils ne remportérent pourtant pas la couronne du martyre, qui était l'objet de tous leurs vœux.

Romuald, de retour, fonda plusieurs monastères en Allemagne; il entreprit aussi d'établir la réforme dans quelques autres, ce qui lui attira diverses persécutions de la part de ceux qui n'aimaient

ni l'ordre ni la discipline; mais sa vertu lui donnait tant d'autorité, que les coupables redoutaient sa présence. Il n'y avait pas jusqu'aux personnes les plus qualifiées, selon le monde, qui ne tremblassent devant lui. Il ne voulut rien accepter gratuitement de Rayner, marquis de Toscane, parce qu'il avait épousé la veuve d'un de ses parens auquel il avait ôté la vie. Son but, en tenant une pareille conduite, était de faire sentir à Rayner l'énormité de ses crimes. Ce seigneur, tout souverain qu'il était, craignait jusqu'à l'approche du saint, et il avait coutume de dire que rien au monde ne l'intimidait tant que sa présence. T'elle était l'impression que faisait sur les plus grands pécheurs l'esprit saint dont Romuald était animé. Ayant appris, quelque temps après, qu'un Vénitien avait obtenu l'abbaye de Classe par des voies simoniaques, il l'alla trouver aussitôt. L'intrus, qui ne voulait point réparer sa faute, et qui d'ailleurs cherchait à s'épargner une entrevue dont les suites tourneraient à sa confusion, résolut de se défaire de notre saint par un assassinat; mais Dieu conserva la vie à son serviteur par une protection dont il lui avait déjà donné plusieurs fois des marques sensibles.

Le pape ayant mandé notre saint à Rome, il se rendit dans cette ville, où Dieu releva sa sainteté par plusieurs miracles qu'il lui donna la vertu d'opérer. Il y convertit, comme dans tous les lieux où il avait passé, un grand nombre de pécheurs endurcis dans le crime. Il bâtit aussi quelques monastères dans le voisinage de Rome, un entre autres sur la montagne de Sitrie, où il fit un assez long séjour. Il se trouva parmi ses disciples un jeune seigneur qui se livrait effrontément aux désordres de l'impureté. Le saint en eut l'âme percée de douleur, et mit tout en œuvre pour ramener le coupable à son devoir. Celui-ci, loin de se corriger, n'en devint que plus méchant. Il osa même accuser Romuald de s'être souillé par des infamies contraires à la chasteté. C'était une pure calomnie, mais elle trouva créance dans l'esprit des moines, qui, sans autres preuves, condamnèrent le saint à une pénitence rigoureuse, lui interdirent la célébration des divins mystères, et l'excommunièrent. Romuald souffrit cet indigne traitement avec patience; il se comporta comme s'il eût été réellement coupable, et s'abstint de monter à l'autel pendant six mois, conformément à la défense qui lui en avait été faite; mais Dieu ne voulut pas que son serviteur restât plus long-temps dans une humiliation qu'il n'avait point méritée. Il l'avertit dans une révélation, qu'il ne devait plus obéir à une injuste sentence, et qu'il pouvait sans peine retourner à l'autel, dont on l'avait exclu contre toutes les règles. Le saint recommença donc à offrir le saint sacrifice, et il le fit avec tant de

ferveur la première fois, qu'il fut long-temps ravi en extase. Il passa sept ans sur la montagne de Sitrie, toujours renfermé dans sa cellule, et gardant un silence continuel. Il portait un rude cilice, et mortifiait ses sens en leur refusant tout ce qui pouvait les flatter. Il n'admettait aucun assaisonnement dans les herbes dont il se nourrissait; et quand on lui apportait quelque chose de mieux préparé que ce qu'il avait coutume de manger, il l'approchait du nez pour le sentir, puis il disait : « Gourmandise, gourmandise, » tu ne toucheras point à ceci; je te déclare une guerre perpé>>tuelle. » Il n'est pas étonnant que les disciples d'un tel maître, menassent la vie la plus austère. Ils allaient toujours nu-pieds, et montraient, par la pâleur de leurs visages, quelle était la rigueur de leurs jeûnes. Ils ne buvaient jamais que de l'eau, à moins qu'ils ne fussent malades. Le saint fit plusieurs guérisons miraculeuses sur la montagne de Sitrie, qu'il quitta enfin pour retourner à Bifurcum.

L'empereur S. Henri II, qui avait succédé à Othon III, ne fut pas plus tôt arrivé en Italie, qu'il voulut voir Romuald. Il lui envoya donc des personnes distinguées, pour le prier de venir à la cour. Ceux-ci eurent beaucoup de peine à le déterminer à ce voyage, et peut-être n'en seraient-ils pas venus à bout, s'ils n'eussent mis les moines dans leurs intérêts. L'empereur donna au saint toutes les marques possibles d'estime et de respect. Il se leva même, lorsqu'il le vit entrer, et lui dit : « Que je voudrais bien » que mon âme fût semblable à la vôtre! » Romuald ne répondit rien à un compliment si flatteur, et garda un profond silence pendant tout le temps que dura l'entrevue, ce qui jeta toute la cour dans un grand étonnement. Le prince, qui voyait bien que ce silence avait l'humilité pour principe, n'en conçut que plus de vénération pour le saint. Il le fit venir le lendemain dans un appartement séparé, afin d'avoir la liberté de s'entretenir tête à tête avec lui, et de le consulter sur plusieurs points essentiels. Les courtisans lui témoignaient le plus profond respect lorsqu'il passait devant eux, et arrachaient les poils de son vêtement, afin de les conserver précieusement comme des reliques. Tant de marques de vénération affligèrent sensiblement Romuald, et il serait parti sur-le-champ, s'il n'en eût été empêché. L'empereur, avant de le congédier, lui fit présent du monastère du mont Amiate, et il le pria d'y mettre des religieux formés par ses soins.

De tous les monastères fondés par notre saint, le plus célèbre est celui de Camaldoli, situé près d'Arezzo, en Toscane, sur les frontières de l'Etat ecclésiastique, à l'orient, et à trente milles de Florence, dans une vallée de l'Apentin. Les fondemens en furent

jetés vers l'an 1009. Cette vallée fut donnée à Romuald par un seigneur appelé Maldoli, et c'est de là que le monastère a pris le nom de Camaldoli ". Le saint adopta la règle de S. Benoît, mais il y ajouta de nouvelles observances, et voulut que ses disciples fussent tout à la fois ermites et cénobites. Telle est l'origine de l'ordre dit des Camaldules. A quelque distance du monastère, est l'ermitage que fit bâtir le saint; il est sur une montagne toute couverte de sapins, et arrosée par plusieurs fontaines. La vue seule de ce lieu solitaire porte l'âme au recueillement et à la contemplation. A l'entrée de cet ermitage, on trouve une chapelle dédiée à S. Antoine; le but que l'on s'est proposé en la bâtissant a été que les étrangers y fissent leur prière avant d'aller plus loin. On trouve ensuite les cellules des portiers: on voit à quelques pas de là une grande église, qui est magnifiquement décorée. Audessus de la porte de cette église, est une cloche dont le son se fait entendre par tout le désert. La cellule où vivait saint Romuald pendant qu'il formait son ermitage est au côté gauche de l'église. Toutes les cellules sont bâties de pierre, et ont chacune un petit jardin, environné d'un mur, et une chapelle où les ermites peuvent dire la messe, s'ils le veulent. Il leur est permis d'avoir toujours du feu chez eux, à cause du froid qui règne continuellement sur la montagne. Tous ces solitaires sont gouvernés par un supé rieur qu'ils appellent maïeur. L'ermitage est présentement environné de murs, hors desquels ne peuvent sortir ceux qui l'habitent; ils ont seulement la liberté de se promener dans le bois de leur enclos. On leur envoie du monastère, situé dans la vallée, tout ce qui peut leur être nécessaire, afin que rien ne soit capable de les distraire, et qu'ils ne soient point interrompus dans la continuite de leur contemplation. Tous leurs momens sont partagés entre divers exercices, et ils se rendent à l'église pour y réciter l'office divin, sans que la pluie ni la neige puissent les en empêcher. Ils ne parlent jamais dans les lieux réguliers; ils gardent aussi un silence absolu en carême, les dimanches et les fêtes, les vendredis et les autres jours d'abstinence. Il leur est encore défendu de parler, en tout temps, depuis complies jusqu'à prime du lendemain.

S. Romuald établit encore un autre genre de vie parmi ses disciples; je veux dire celui des reclus; mais on ne pouvait l'embrasser de son propre mouvement. Il fallait en demander la permission au supérieur, et celui-ci ne l'accordait qu'à ceux qui avaient longtemps vécu dans l'ermitage, et qui paraissaient appelés de Dieu à une plus grande perfection. Les ermites qui obtenaient ce qu'ils ← Camaldoli est une abréviation de Campo Maldoli.

avaient demandé, se renfermaient dans leurs cellules pour n'en plus sortir. Ils ne parlaient jamais qu'au supérieur, lorsqu'il allait les voir, et au frère qui était chargé de leur porter toutes les choses nécessaires à la vie. Ils redoublaient leurs prières et leurs austérités, pratiquaient des jeûnes beaucoup plus fréquens et plus rigoureux que le commun des ermites. Notre saint vécut de la sorte pendant plusieurs années ; et depuis sa mort jusqu'à notre siècle, on a toujours vu, dans le désert de Camaldoli, plusieurs reclus d'une ferveur véritablement angélique a.

Enfin, après tant de travaux et d'austérités, le saint alla dans le ciel recevoir sa récompense. Il mourut dans le monastère de Val-de-Castro, qui est de la Marche d'Ancône, le 19 juin, vers l'an 1027. Il était âgé de soixante-dix ans et quelques mois. Sa fête a été fixée, par Clément VIII, au 7 de février, jour auquel se fit la translation de ses reliques. Son corps était encore entier et sans corruption en 1466. Mais des mains sacrileges l'ayant dérobé en 1480, il tomba en poussière. On le porta en cet état dans la grande église de Fabriano. On transporta depuis un os du bras du saint au monastère de Camaldoli. Dieu a honoré les reliques de son serviteur par un grand nombre de miracles.

Si nous ne sommes point appelés à la pratique de ces austérités extraordinaires que nous lisons dans l'histoire de tant de saints, nous devons au moins mener une vie pénitente et mortifiée; et cette obligation est fondée sur celle où nous sommes d'expier nos péchés, et de veiller à la garde de notre cœur. Il n'y a qu'une exacte tempérance qui puisse réprimer les révoltes de la chair, comme il n'y a qu'une attention continuelle à prévenir les surprises des sens, qui puisse les contenir dans les règles du devoir. Notre imagination erre d'objets en objets, et produit en nous une foule de distractions qui empêchent notre esprit de s'appliquer aux choses de Dieu. Or, quel autre moyen de la fixer, que la pratique du recueillement intérieur, dont la continuité demande des efforts soutenus? Que dire de notre volonté, qui nous entraîne sans cesse vers le mal, et qui nous fait éprouver tant de répugnance pour la vertu? Rectifierons-nous ses inclinations perverses, si nous ne luttons contre elles, et si leur impétuosité n'est arrêtée par l'exercice habituel du renoncement et des privations. Ayons soin

a l'ordre des Camaldules est aujourd'hui divisé en cinq congrégations, qui ont chacune leur général. La vie que mènent les ermites de cet ordre est encore fort austère, quoiqu'elle le soit moins que du temps de S. Romuald. Les cénobites camaldules ont plus de ressemblance avec les Bénédictins. Le P. Hélyot est porté à croire qu'ils ne furent pas directement institués par S. Romuald.

Non point de cent vingt ans, comme le portent les copies de la Vie du saint que nous avons aujourd'hui,

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