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S. JEAN DE MATHA,

FONDATEUR DE L'ORDRE DES TRINITAIRES.

Tiré des bulles du pape Innocent III; des auteurs qui ont écrit la Vie du saint; et principalement du savant Robert Gaguin, qui fut élu général des Trinitaires en 1490. Voyez l'Histoire des ordres religieux, par le P. Hélyot; les Annales ordinis SS. Trinitatis, auctore Bon. Baro, Ordinis Minorum, Romæ, 1684; la Règle et les statuts des Trinitaires, imprimés en 1570.

L'AN 1213.

a

Ce saint naquit à Faucon, sur les frontières de la Provence, vers le milieu du douzième siècle a, et reçut le nom de Jean à son baptême. Les parens qui lui donnèrent le jour étaient distingués par leur noblesse et par leur piété. Sa mère le consacra au Seigneur dès sa naissance par un vou. Son père, nommé Euphémius, prit un soin particulier de son éducation, et l'envoya à Aix, afin qu'il y fit ses études, et qu'il y apprît tout ce que doit savoir un jeune homme de qualité. Jean s'appliquait à profiter des leçons de ses différens maîtres; mais il avait une tout autre ardeur pour se perfectionner dans la pratique des vertus chrétiennes. Il avait une charité extraordinaire pour les pauvres, et il employait au soulagement de leurs misères une partie considérable de l'argent qu'il recevait de sa famille pour fournir à des plaisirs innocens. Il allait régulièrement tous les vendredis à l'hôpital. Là, il servait les malades, pansait leurs plaies, et leur procurait tous les secours qui étaient en son pouvoir.

De retour dans la maison de son père, il lui demanda la permission de continuer ses pieux exercices; et après l'avoir obtenue, il se retira dans un petit ermitage qui n'était pas éloigné de Faucon. Son dessein était d'y vivre séquestré du commerce du monde, pour ne converser plus qu'avec Dieu. Il n'y trouva pas cette solitude entière après laquelle il soupirait. Les fréquentes visites de ses amis lui donnant des distractions continuelles, il crut devoir quitter sa cellule. Il alla donc trouver son père, et le pria de l'envoyer à Paris, pour y étudier la théologie. Euphémius approuva le dessein de son fils, et lui permit volontiers de se rendre dans la capitale. Jean fit son cours avec le plus grand succès, prit les degrés ordinaires, et enfin le bonnet de docteur, quoique sa modestie lui inspirât de la répugnance pour cette sorte d'honneur.

a Suivant les hagiographes que nous avons consultés, il naquit en 1160, et mourut en 1213, à l'âge de soixante-un ans. Il y a erreur dans quelqu'une de ces dates. Il est visible que si S. Jean de Matha est né et mort dans les années indiquées, il avait, quand il mourut, cinquante-trois et non soixante-un ans.

Ayant été ordonné prêtre quelque temps après, il célébra sa première messe dans la chapelle de l'évêché de Paris. Maurice de Sully, qui occupait alors le siége de la capitale, les abbés de SaintVictor et de Sainte-Geneviève, et le recteur de l'université, voulurent y assister. Il leur fut facile de juger, à la ferveur angélique avec laquelle le saint célébrait l'auguste sacrifice, que l'esprit de Dieu résidait en lui avec la plénitude de ses grâces,

Ce fut le jour même qu'il dit sa première messe, que notre saint, par une inspiration particulière du ciel, forma la généreuse résolution de travailler à racheter ces Chrétiens infortunés qui gémissaient dans l'esclavage chez les nations infidèles. Il envisageait deux choses dans cette bonne œuvre, la délivrance des corps et le salut des âmes, qui courent les plus grands risques parmi des peuples barbares. Il ne voulut cependant rien entreprendre avant d'avoir consulté le Seigneur d'une manière spéciale. Ce fut ce qui le détermina à se retirer dans un lieu solitaire, afin d'attirer sur lui les lumières de l'Esprit saint, par une prière fervente et continuelle, et par tous les exercices de la pénitence. Il entendit parler d'un saint ermite, nommé Félix de Valois, qui vivait dans une forêt, près du bourg de Gandelu, au diocèse de Meaux. Il l'alla trouver aussitôt, et le pria de le recevoir dans son ermitage, et de l'instruire des voies de la perfection. Félix découvrit aisément qu'il n'avait point affaire à un homme novice dans la vie spirituelle; aussi le regarda-t-il moins comme son disciple que comme un compagnon que Dieu lui avait envoyé. Il serait impossible d'exprimer jusqu'où nos deux ermites portèrent l'esprit d'oraison, et avec quel zèle ils embrassèrent les plus rigoureuses austérités. Leurs veilles étaient longues, et leurs jeûnes presque continuels. Leur occupation la plus ordinaire était la contemplation; et ils n'avaient d'autre but dans tous leurs entretiens que d'allumer de plus en plus dans leur cœur le feu sacré de l'amour divin.

Un jour qu'ils s'entretenaient ensemble sur le bord d'une fontaine, Jean s'ouvrit à Félix sur la pensée qui lui était venue le Jour de sa première messe, de se consacrer à la délivrance des Chrétiens captifs chez les Mahométans. Il parla de la fin et de l'utilité de cette entreprise d'une manière si vive et si touchante, que Félix ne douta point qu'un tel projet ne vînt de Dieu; il en loua l'exécution, et s'offrit même pour y concourir autant qu'il serait en lui. Les deux saints n'étaient plus embarrassés que sur le choix des moyens qu'il fallait prendre pour effectuer le noble désir qui leur avait été inspiré par la charité. Ils se recommandèrent à Dieu, et redoublèrent leurs mortifications et leurs prières, afin d'obtenir de nouvelles lumières sur la conduite qu'ils avaient à

tenir. Quelques jours après, ils se mirent en chemin pour Rome. Ils partirent vers la fin de l'an 1197, sans pouvoir être retenus par les incommodités d'une saison rigoureuse. En arrivant à Rome, ils trouvèrent Innocent III sur la chaire de S. Pierre. Ce souverain pontife, ayant été instruit de leur sainteté et de leur pieux dessein par des lettres de recommandation qui lui furent présentées de la part de l'évêque de Paris, les reçut comme deux anges envoyés du ciel, les fit loger dans son palais, et leur accorda plusieurs audiences particulières, afin qu'ils lui expliquassent dans le plus grand détail les rapports et la nature de leur projet. Il assembla ensuite les cardinaux et quelques évêques dans le palais de SaintJean-de-Latran, pour prendre leurs avis sur une affaire de cette importance. Après leurs délibérations, il indiqua un jeûne et des prières particulières, pour obtenir de Dieu qu'il manifestât sa volonté. Enfin, ne pouvant douter que les deux ermites français ne fussent conduits par l'esprit de Dieu, et considérant l'utilité que l'Eglise retirerait de l'institut qu'ils avaient projeté, il le reçut et en forma un nouvel ordre religieux, dont Jean fut déclaré le premier ministre général. L'évêque de Paris et l'abbé de Saint-Victor furent chargés d'en dresser la règle, et le pape l'approuva par une bulle donnée en 1198. Le souverain pontife voulut que les nouveaux religieux portassent l'habit blanc, avec une croix rouge et bleue sur la poitrine, et qu'ils prissent le nom de frères de l'ordre de la Sainte-Trinité. Il confirma le même institut quelque temps après, et lui accorda de nouveaux priviléges, par une bulle en date de l'année 1209,

Lorsque les deux saints eurent obtenu ce qu'ils désiraient, ils prirent congé de Sa Sainteté, et retournèrent en France. Le roi Philippe-Auguste, devant lequel ils se présentèrent, et qu'ils informèrent de tout ce qui s'était passé, agréa l'établissement de leur ordre dans son royaume, et le favorisa même par ses libéralités. Gaucher III, seigneur de Châtillon, leur donna un lieu dans ses terres pour y bâtir un couvent, Mais cette maison fut bientôt trop petite pour contenir tous ceux qui voulaient entrer dans le nouvel ordre. Ce fut ce qui engagea le seigneur de Châtillon, secondé en cela par le roi, à donner à notre saint le lieu appelé Cerfraid, qui était précisément celui où il avait concerté avec Félix de Valois le premier plan de son institut. Il y jeta les fondemens d'un monastère qui passait pour le chef-lieu de l'ordre des

b

a Ateul de Gaucher V, aussi seigneur de Chatillon, qui fut connétable sous Philippe le Bel.

¿Le monastère de Cerfroid, en latin, de Cervo frigido, est dans la Brie, sur les confins du Valois,

Trinitaires. Jean et Félix bâtirent encore plusieurs autres monastères en France, tant on avait d'ardeur pour étendre une religion fondéesur la plus pure charité. Ils envoyèrent quelques-uns de leurs disciples aux comtes de Flandre et de Blois, et à d'autres seigneurs croisés, qui allaient s'embarquer pour la Palestine. L'occupation de ces religieux devait être d'instruire les soldats, de prendre soin des malades, et de travailler à racheter les captifs. Le pape écrivit à Miramolin, roi de Maroc, pour les lui recommander. Cette lettre produisit un heureux effet; car le saint ayant envoyé deux de ses disciples dans le royaume de ce prince en 1201, ils rachetèrent cent quatre-vingt-six esclaves chrétiens. L'année suivante, il alla lui-même à Tunis, où il en délivra plus de cent dix. Il se rendit ensuite en Provence, et y ramassa des sommes considérables, qui lui servirent à procurer la liberté à un grand nombre de malheureux qui gémissaient sous les fers des Maures d'Espagne. Tant de bonnes œuvres, opérées par le saint et par ses disciples, attirèrent beaucoup de réputation au nouvel ordre, et inspirèrent depuis à S. Pierre Nolasque le désir d'en fonder un second à peu près sur le même plan.

Notre saint fit un second voyage à Tunis en 1210. Il eut beaucoup à souffrir de la part des Mahometans, irrités de l'ardeur avec laquelle il exhortait les captifs à supporter leurs maux avec patience, et à mourir plutôt que de renoncer à leur foi. Le trait suivant donnera une idée de la barbarie de ces infidèles. Lorsqu'ils virent le saint s'embarquer avec les cent vingt esclaves qu'il avait rachetés, ils ôtèrent le gouvernail du vaisseau, et en déchirèrent les voiles, afin qu'il pérît au milieu des flots. Jean, plein de confiance en Dieu, ne perdit point courage. Il pria le ciel de prendre la conduite du vaisseau, puis, ayant tendu les manteaux de ses compagnons en forme de voiles, il se mit à genoux sur le tillac, le crucifix à la main, chantant des psaumes durant tout le trajet. L'événement prouva qu'une foi vive n'est jamais sans récompense. La navigation fut très-heureuse, et le vaisseau aborda en fort peu de jours au port d'Ostie en Italie. Comme la santé de notre saint dépérissait sensiblement, et que ses forces l'abandonnaient chaque jour, il fut obligé de passer à Rome le peu de temps qui lui restait à vivre.

Quant au B. Félix de Valois, son collègue, il était toujours en France, où il travaillait avec un merveilleux succès à la propagation de son ordre. Ce fut vers ce temps-là qu'il lui procura un établissement à Paris. Le monastère fut bâti à l'endroit où était une chapelle dédiée sous l'invocation de S. Mathurin, et c'est de là qu'est venu le nom de Mathurins aux Trinitaires de France. Jean de Matha vécut encore deux années à Rome, uniquement

occupé à exercer les œuvres de miséricorde, et à prêcher la nécessité de la pénitence. Dieu donnait une telle efficacité à ses discours, que les pécheurs les plus endurcis rentraient en euxmêmes, et prenaient une sincère résolution de satisfaire à la justice divine pour leurs iniquités. Il succomba enfin sous le poids de ses travaux et de ses austérités, et mourut le 21 décembre 1213, à l'âge de soixante-un ans. Il fut enterré dans l'église de Saint-Thomas, où l'on voit encore son tombeau. Pour son corps, on l'a transporté en Espagne. Le pape Innocent XI a fixé la fête de S. Jean de Matha au 8 de février ".

S. Chrysostôme relève ' avec son éloquence ordinaire la charité de la veuve de Sarepta, que ni la pauvreté, ni ses enfans, ni la faim, ni la crainte de la mort même, ne purent empêcher de secourir le prophète Elie. Il exhorte ensuite tous les fidèles à méditer les paroles de cette généreuse femme, et à se ressouvenir sans cesse de l'exemple qu'elle a donné. « Nous ne pourrons, disait-il, »> n'en être pas touchés, quelque durs et quelque insensibles que » nous soyons. Frappés de la conduite de cette charitable veuve, » il ne nous sera pas possible de refuser aux pauvres le soulage»ment dont ils ont besoin. Vous me direz peut-être que si vous >> trouviez un prophète dans l'indigence, vous lui procureriez tous » les secours qui dépendraient de vous. Mais quoi ? Est-ce que vous >> ne voudriez pas faire pour Jésus-Christ, qui est le maître des

a La règle des Trinitaires était fort dure dans son institution primitive. Ces religieux ne devaient jamais manger ni viande ni poisson; ils ne vivaient que de pain, d'œufs, de lait, de fromage, de fruits, d'herbes et de légumes, qu'ils assaisonnaient seulement avec de l'huile. Si cependant quelqu'un leur apportait de la viande, ils en pouvaient manger les jours de grande fête. Il leur était défendu de se servir de cheval en voyage. Le pape Clément IV approuva, en 1267, les mitigations qui furent faites à leur règle, et leur permit de voyager à cheval, de manger de la viande et du poisson, etc. ( Voyez l'Histoire des prieurs de Grandmont dans l'Amplissima Collectio de D. Martenne, t. 6, p. 138.) L'ordre des Trinitaires a environ deux cent cinquante maisons, qui sont partagées en treize provinces, tant en France et en Espagne qu'en Portugal et en Italie. Il y en avait autrefois quarante-trois en Angleterre, neuf en Ecosse, et cinquante-deux en Irlande. Le général était élu à Cerfroid par le chapitre de tout l'ordre. Chaque maison était gouvernée par un supérieur que l'on nommait ministre. Ceux des provinces de Champagne, de Normandie et de Picardie étaient perpétuels; mais ailleurs ils étaient triennaux. La règle que suivent les Trinitaires est celle des chanoines réguliers de Saint-Augustin. Ils sont obligés à chanter l'office canonial, dans l'intention d'honorer la très-sainte Trinité. La principale fin de leur institut est de ramasser les aumônes des fidèles, pour aller ensuite racheter les Chrétiens captifs chez les Barbares. Chaque maison consacre tous les ans un tiers de son revenu à cette bonne oeuvre. On établit une réforme parmi les Trinitaires, en 1573 et 1576. Cette réforme a été reçue par la plus grande partie des maisons, et surtout par celle de Cerfroid. Ceux qui la suivent ne portent point de linge, disent matines à minuit, et ne font gras que le dimanche. En 1594, le P. Jean-Baptiste de la Conception introduisit parmi les Trinitaires d'Espagne une reforme encore plus sévère que celle dont nous venons de parler. C'est celle que suivent les Trinitaires déchaussés. Ce fervent religieux essuya de grandes contradictions, pendant qu'il était occupé à l'exécution de sa pieuse entreprise. Il mourut en odeur de sainteté en 1613. On a commencé à travailler au procès de sa béatification.

Hom. de Elid et Viduâ Sarept. tom. 3, pag. 328, ed. Ben.

TOME I.

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