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prophètes, ce que vous feriez pour un de ses serviteurs? Avez»yous oublié qu'il regarde comme fait à lui-même ce que nous » faisons aux pauvres? » Ah! de quelle confusion ne devons-nous pas être pénétrés, lorsque nous comparons notre conduite à celle des saints, c'est-à-dire lorsque nous mettons notre insensibilité pour les pauvres en contraste avec ce zèle ardent qui les porta à se sacrifier pour le soulagement spirituel et corporel de leurs frères malheureux? Quitterions-nous les œuvres de charité pour un mot, pour une bagatelle, si nous nous rappelions que les saints comptaient pour rien les travaux, les injures, les tourmens, la mort même, lorsqu'il s'agissait de rendre service au prochain?

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S.ÉTIENNE, FONDATEUR DE L'ORDRE DE GRANDMONT.

Etienne de Liciac, quatrième prieur de Grandmont, écrivit la vie de ce saint en 1141; mais il parait que cet ouvrage est perdu. Gérard Ithier, septième prieur du méme monastère, en a fait un abrégé que nous avons,et dont le P.Martenne u donné une bonne édition, Vet. Scrip. ampliss. collect. t. 6, p. 1043. Les remarques du savant Bénédictin serviront à corriger les anachronismes et les fautes dans lesquelles l'abréviateur est tombé, Le P. Martenne a publie aussi, ibid, plusieurs autres pièces concernant l'histoire de la Vie de S. Etienne de Grandmont. Voyez encore D. Rivet, Histoire littér. de la France, tom. 10, p. 410, et le Gallia Christ. nova, tom. 2, p. 646.

L'AN 1224.

S. ETIENNE était fils du pieux vicomte de Thiers, premier gentilhomme d'Auvergne. Il montra dès son enfance beaucoup d'inclination pour la vertu, et laissa entrevoir le germe de cette éminente sainteté à laquelle il parvint dans la suite. Un vertueux prêtre, nommé Milon, qui était alors doyen de l'église de Paris, fut chargé du soin de son éducation. Ayant été élu évêque de Bénévent en 1974, il retint le jeune Etienne auprès de lui, et continua de l'instruire dans la connaissance de l'Ecriture sainte et dans les voies de la perfection. Touché du rare mérite de son disciple, il résolut de l'attacher au service des autels, et l'ordonna diacre. Après la mort de Milon, arrivée en 1076, le saint alla finir ses études à Rome, où il demeura quatre ans. Il lui sembla, durant tout ce temps-là, qu'une voix intérieure lui disait de quitter le monde. Les réflexions qu'il fit sur les dangers qui accompagnent la conduîte des âmes, sur la nécessité de mener une vie pénitente, et sur les avantages que l'on trouve dans la solitude, achevèrent de le déterminer. Il s'adressa donc au pape Grégoire VII, et lui demanda la permission de se faire ermite, et de suivre la règle d'une congrégation fort austère qu'il avait vue dans la Calabre,

Le pape lui ayant accordé ce qu'il souhaitait, il revint au château de Thiers pour mettre ordre à ses affaires. Il eut de rudes combats à soutenir de la part de ses amis, qui s'opposaient fortement à son dessein. Ses parens, qui l'avaient toujours regardé comme un enfant de bénédiction que Dieu avait accordé à leurs prières, et qui, bien loin de mettre obstacle à ses désirs, eussent concouru à leur accomplissement, ne vivaient plus depuis quelque temps. Les assauts qu'on lui livra furent inutiles. Il s'enfuit secrètement, et après avoir erré de déserts en déserts, il se retira sur la montagne de Muret, dans le voisinage de Limoges. Il y régnait un froid excessif, et elle n'était habitée que par les bêtes féroces. Ce fut en ce lieu que le saint résolut de fixer sa demeure et de se dévouer au service du Seigneur par un vœu spécial. Il exprima ainsi la consécration qu'il faisait de sa personne : « Moi Etienne, je renonce au démon et à ses pompes; je m'offre et me consacre » sans réserve au Père, au Fils et au Saint-Esprit, qui sont un seul » Dieu en trois personnes. » Il écrivit de sa propre main l'acte de son engagement, et le garda toujours avec l'anneau dont il s'était servi pour sceller sa consécration. Il se fit une espèce de cabane avec des branches d'arbres entrelacées, pour se mettre à l'abri des injures de l'air, et il y passa quarante-six ans dans l'exercice de la prière et de la pénitence. Les austérités qu'il y pratiquait étaient extraordinaires, et pour la plupart au-dessus de la faiblesse humaine abandonnée à elle-même. Il ne se nourrissait d'abord que d'herbes et de racines; mais des bergers l'ayant découvert la seconde année 'de sa retraite, ils eurent la charité de lui apporter du pain de temps en temps. Des paysans du voisinage prirent ensuite la place des bergers, et continuèrent de rendre le même service Jau saint tant qu'il vécut. Non content de châtier son corps par une abstinence très-rigoureuse, il portait sur sa chair une haire de mailles de fer, n'ayant par-dessus qu'un habit d'une étoffe fort vile, qui était toujours le même en hiver et en été. Lorsqu'il était forcé de prendre un peu de repos, il se couchait sur des planches arrangées en forme de cercueil. Le temps qu'il n'employait point au travail des mains, il le passait prosterné contre terre et dans la plus profonde adoration de la majesté divine. Les délices qu'il goûtait dans l'exercice de la contemplation absorbaient tellement toutes les puissances de son âme, qu'il était souvent deux ou trois jours de suite sans songer à manger. Ce ne fut qu'à l'âge de soixante ans qu'il consentit, à cause de l'extrême faiblesse de son estomac, à mettre quelques gouttes de vin dans l'eau qui lui servait de boisson

Le bruit de sa sainteté ayant attiré plusieurs personnes dans

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son désert, il fut bientôt obligé de recevoir des disciples. Il les aimait comme ses enfans, et les gouvernait avec une sagesse admirable, qui proportionnait toujours les mortifications à la force du tempérament. Dur à lui-même, il n'avait que de la douceur pour les autres. Il était cependant ferme sur l'accomplissement des devoirs essentiels à la vie solitaire, tels que le silence, la pauvreté et le renoncement à soi-même. Les exhortations qu'il faisait à ses disciples roulaient principalement sur la nécessité de dégager son cœur de toute affection aux choses créées. Il avait coutume de dire à ceux qui se présentaient pour vivre sous sa conduite : « C'est ici une prison où il n'y a ni porte, ni ouverture, » et vous ne pourrez en sortir pour retourner dans le monde, qu'en y faisant une brèche. Si ce malheur vous arrivait, il ne me » serait pas possible d'envoyer quelqu'un après vous, n'y ayant ici » personne qui ne soit aussi étranger que moi à l'égard du monde.» Etienne se regardait comme le dernier de sa communauté, et prenait toujours la dernière place. Il était ennemi de toutes ces marques d'honneur qui sont attachées à la supériorité. Pendant que ses religieux étaient à table, il s'asseyait par terre au milieu d'eux, et leur lisait les Vies des saints. Dieu récompensa cette humilité du don de prophétie et de celui des miracles. Mais parmi tous les prodiges qu'il opéra, il n'en est point de plus surprenant que la conversion d'un grand nombre de pécheurs endurcis. On eût dit qu'il était impossible de résister à la grâce qui accompagnait toutes ses paroles.

Cependant la renommée publiait de plus en plus l'éminente sainteté d'Etienne. Deux cardinaux, envoyés en France en qualité de légats ", se rendirent à son désert pour lui faire une visite. Ils lui demandèrent, dans l'entretien qu'ils eurent avec lui, quel était son genre de vie?« Êtes-vous, lui dirent-ils, chanoine, moine ou >> ermite? Je ne suis rien de tout cela,» répondit le saint. Et comme on le pressait de s'expliquer clairement,il parla ainsi : « Nous som» mes de pauvres pécheurs que la miséricorde de Dieu a conduits » dans ce désert pour y faire pénitence. C'est le souverain pontife qui, conformément à la prière que nous lui en avions faite, nous » a lui-même imposé, pour l'expiation de nos péchés, les divers » exercices que nous pratiquons ici. Nous sommes trop imparfaits » et trop fragiles pour avoir le courage d'imiter la ferveur de ces » saints ermites que la contemplation unissait à Dieu d'une ma»nière si intime et si continue, qu'ils oubliaient les besoins de » leurs corps. Vous voyez d'ailleurs que nous ne portons ni l'habit » de moines, ni celui de chanoines. Nous sommes encore bien plus a Un de ces cardinaux fut pape dans la suite sous le nom d'Innocent II.

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éloignés d'en prendre les noms, puisque nous n'avons ni le ca>> ractère des uns, ni la sainteté des autres. Encore une fois, nous »> ne sommes que de pauvres pécheurs qui, effrayés de la rigueur » de la justice divine, travaillons avec crainte et tremblement à » nous rendre Jésus-Christ propice au grand jour de ses vengean»ces. » Les légats quittèrent le saint, pénétrés de vénération pour sa personne, et fort édifiés de tout ce qu'ils avaient vu et entendu. Huit jours après leur départ, Etienne fut averti par le ciel qu'il· touchait à la fin de sa course. Ce fut pour lui un motif de redoubler de ferveur dans tous ses exercices. Etant tombé quelque temps après dans la maladie dont il ne devait point relever, il employa le peu de momens qui lui restaient à fortifier ses disciples dans leur vocation, et à leur inspirer une tendre confiance en Dieu. Il leur parla d'une manière si vive et si touchante, qu'il les délivra de l'inquiétude où ils étaient de ne savoir que devenir après sa mort. Il se fit ensuite porter à l'église, où il entendit la messe, et reçut les sacremens de l'extrême-onction et de l'eucharistie. Il mourut le 8 février 1124, en répétant ces paroles: Seigneur, je remets mon âme entre vos mains. Il était âgé de près de quatrevingts ans ". Ses disciples l'enterrèrent secrètement pour éviter la trop grande affluence du peuple; mais la nouvelle de sa mort ne fut pas plus tôt répandue, qu'on accourut en foule à son tombeau, où il s'opéra beaucoup de miracles. Quatre mois après sa mort, les moines d'Ambazac, prieuré dépendant de l'abbaye de Saint-Augustin de Limoges, de l'ordre de Saint-Benoît, prétendirent que Muret leur appartenait, et le réclamèrent. Les disciples d'Etienne, qui avaient hérité de l'esprit et des maximes de leur bienheureux maître, aimèrent mieux céder le lieu de leur rési-, dence, que de s'en assurer la possession par les voies de la justice. Ils se retirèrent donc dans le désert de Grandmont, qui est à une lieue de celui de Muret, emportant avec eux les précieuses reliques de leur saint fondateur. C'est de là que leur est venu le nom de Grandmontins. S. Etienne fut canonisé par le pape Clément III en 1189, à la sollicitation de Henri II, roi d'Angleterre 1.

se

La ferveur des premiers disciples de S. Etienne de Grandmont

a Il mourut dans la quarante-sixième année après sa retraite, au rapport de Guillaume Dandina, écrivain exact, qui a donné une Vie de Hugues de Lacerta, célèbre parmi les premiers disciples de notre saint. On peut voir cette Vie dans le P. Martenne, Vet. Scrip. amplissima Collect. tom. 6, p. 1143. Ceci posé, il faudrait placer la retraite de S. Etienne au plus tôt en 1078, et reculer la fondation de son ordre, que quelques-uns mettent en 1076. Gérard Ithier se trompe en disant que notre saint n'avait que douze ans lorsqu'il alla à Bénévent. Il aurait dû dire qu'il avait cet âge en arrivant à Paris, d'où il ne sortit que pour accompagner Milon, nommé à l'évêché de Bénévent. Voyez D. Martenne, loc, cit. p. 1053.

Gallia Christ, nová, tom. 2 „p. 646,

faisait l'admiration de tous ceux qui les connaissaient. Pierre de Celles les appelait des anges, et disait qu'il avait une entière confiance à leurs prières 1. Jean de Salisbury, auteur contemporain, les représente comme des hommes extraordinaires, qui, s'étant élevés au-dessus des choses sensibles, avaient dompté leurs passions et la nature elle-même 2. Etienne, évêque de Tournay, leur donne aussi les plus magnifiques éloges 3. Il nous serait aisé de multiplier ici les glorieux témoignages qui ont été rendus à leur

vertu a

S. PAUL, ÉVÈQUE DE VERDUN.

S. PAUL naquit dans cette partie de la France que l'auteur de Steph. Fornac. ep. 2.

Petr, Cellens. ep. 8.

Joan. Sarisb. Poly. 1.7, c. 23.

a Trithème, Yepez et Le Mire ont prétendu que S. Etienne avait composé sa règle sur celle de S. Benoît. Le P. Mabillon avait aussi adopté d'abord ce sentiment, Præfat. in part. 2 sæc. 6 Bened. Mais il le quitta ensuite, et prouva, Annal. Bened. l. 64, n. 37 et 112, que le saint fondateur de l'ordre de Grandmont n'avait suivi ni la règle de S. Benoit ni celle de S. Augustin. Ce point de critique est fort bien traité dans la préface que D. Martenne a mise à la tête de sa Collection des anciens écrivains, tom. 6, n. 20, etc. Héliot, Baillet, etc. ont soutenu sans fondement que S. Etienne n'avait jamais rien écrit, la règle qui porte son nom n'était autre chose qu'une compilation des maximes qu'il inculquait, et des diverses observances qu'il faisait pratiquer: compilation qui aura été rédigée par quelqu'un de ses successeurs. S'ils eussent un peu plus approfondi cette matière, ils ne se seraient pas si facilement déterminés à embrasser cette opinion, et ils auraient vu que les passages mêmes qu'ils citaient pour eux leur étaient tout-à-fait contraires. D'ailleurs S. Etienne se donne pour l'auteur de la règle qui porte son nom, et cela en plusieurs endroits, Procl. c. 9, 11, 14. On peut voir sur ce sujet l'addition faite par le père Martenne, aux annales de l'ordre de Saint-Benoit, tom. 6, l. 74, n. 91.

La règle de S. Etienne de Grandmont est divisée en soixante-quinze chapitres. Elle est précédée d'un prologue ou d'une préface, dans laquelle le saint rappelle à ses disciples que l'Evangile est la règle des règles, l'origine de toutes celles qui s'observent dans les monastères, et la vraie source où l'on doit puiser les moyens d'arriver à la perfection. Il leur recommande la pauvreté et l'obéissance, qu'il dit être le fondement de la vie religieuse; il leur défend de recevoir de rétributions pour leurs messes, et d'ouvrir aux séculiers la porte de leur oratoire les jours de fête et de dimanche, de peur qu'ils ne prennent de là occasion de manquer aux offices de leur paroisse. Il leur défend aussi toutes sortes de procès (C. 15. Voyez Chastelain, Not. sur le Martyrol, p. 578), et l'usage du gras, même en temps de maladie. Il leur prescrit des jeûnes rigoureux pour la plus grande partie de l'année, etc. Urbain III approuva cette règle en 1186. Elle fut mitigée par Innocent IV en 1247, et par Clément V en 1309. Elle a été imprimée à Rouen en 1672.

Outre cette règle, on a encore plusieurs instructions de S. Etienne, lesquelles ont été recueillies par ses disciples après sa mort. On les imprima à Paris en 1704, avec une traduction française. Baillet en publia une nouvelle traduction en 1707. On admire dans ces instructions la beauté et la fécondité du génie. Elles contiennent aussi d'excellentes choses sur divers points de morale, comme sur les tentations, la vaine gloire, l'ambition, la douceur du service de Dieu, la nécessité de tendre à la perfection, etc. Il pourrait arriver que quelqu'un des disciples de notre saint eût fait des additions au recueil édifiant dont nous parlons. On trouve encore quelques maximes de S. Etienne dans la plus ancienne de ses Vies, intitulée : S. Stephani dicta et facta. Cette compilation a pour auteur Etienne de Liciac. Voyez le P. Martenne, loc. cit. tom. 6, p. 1046.

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