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auraient le bonheur de voir le roi nouvellement né. Ils ne doutèrent point que tous les quartiers de Jérusalem ne retentissent d'acclamations, et que par conséquent il ne leur fût aisé de trouver le palais que la naissance d'un roi Sauveur devait rendre à jamais célèbre. Vain espoir : ils n'aperçurent aucun signe de réjouissance : au contraire, le peuple et les grands ne montraient d'ardeur que pour les biens et les plaisirs de ce monde. Quel parti prendront, dans une conjoncture si délicate, nos voyageurs fatigués ? A ne consulter que les lumières de la prudence humaine, ils devaient renoncer à leur premier dessein, et retourner dans leur pays le plus secrètement qu'il leur serait possible, afin de sauver leur réputation, d'éviter les railleries de la populace, et de prévenir les coups du plus ombrageux des tyrans, dont les mains avaient déjà été plusieurs fois ensanglantées. Voilà peut-être ce que chacun de nous aurait fait; mais il faut avoir une autre idée des Mages. Cette épreuve, loin d'ébranler leur foi, ne sert qu'à la perfectionner et à la rendre plus méritoire. Abandonnés en apparence par la soustraction de leur guide, ils ont recours aux voies ordinaires, à celle de l'information. Supérieurs à tous les périls, et pleins d'une sainte confiance en la bonté de celui qui les appelle, ils ne rougissent point de demander dans la ville, et même à la cour d'Hérode, où est le Roi des Juifs nouvellement né?

Les Juifs, dépositaires des prophéties de Jacob et de Daniel, ne doutèrent point alors que les temps où le Messie devait paraître ne fussent arrivés. Ils savaient encore que le lieu de sa naissance avait été clairement désigné par le prophète Michée1. Ainsi le sanhédrin“, auquel Hérode renvoya les Mages, dit d'une voix unanime que la ville de Bethleem serait honorée de la naissance du Messie. Que les voies de Dieu sont admirables! Il instruisit ses saints par la bouche des ministres impies, et fournit en même temps aux Gentils des armes pour confondre l'aveuglement des Juifs. Mais la grâce n'a point de prise sur des âmes charnelles et endurcies.

Comme nous aurons bientôt occasion de parler d'Hérode, il est à propos de le faire connaître. Ce prince, qui régnait en Judée depuis plus de trente ans, était ambitieux, cruel, jaloux, artificieux, dissimulé. La vieillesse et les maladies n'avaient fait qu'augmenter encore ses mauvaises qualités, et surtout sa jalousie. Il craignait excessivement la venue du Messie, dans lequel il ne voyait qu'un rival de sa couronne, parce que le gros de la nation juive se le

1 Mich. V, 2.

a Le sanhédrin, ou grande assemblée des Juifs, était principalement composé des princes des prêtres, et des scribes ou docteurs de la loi.

représentait sous l'idée grossière d'un prince temporel. On ne doit donc plus s'étonner des frayeurs que lui inspirait la naissance de Jésus-Christ. Mais à quoi attribuer le trouble et les alarmes de Jérusalem? N'était-il pas naturel qu'elle tressaillît de joie en apprenant la venue de son libérateur? De tels sentimens nous font sans doute horreur. Ah! que nous sommes inconséquens! nous détestons dans les Juifs ce que nous faisons nousmêmes, toutes les fois que, victimes d'un malheureux respect humain, nous trahissons lâchement notre devoir.

Cependant Hérode feint d'approuver l'empressement des Mages: il s'informe du temps où l'étoile avait commencé de briller à leurs yeux, et leur fait promettre de repasser par Jérusalem, afin qu'après avoir été instruit du lieu où ils auront trouvé l'Enfant, il aille aussi l'adorer. C'était ainsi qu'il cachait, sous le voile de la dissimulation, le plus noir de tous les attentats : car il ne voulait connaître le lieu où était né le divin enfant que pour lui êter la vie; et il s'imaginait qu'il se déferait par là d'un concurrent destiné à monter sur son trône. Rassure-toi, prince impie; celui que tu redoutes ne te dépouillera point de ta couronne; il vient t'en offrir une immortelle. C'est en vain que tu formes des desseins contre ceux de Dieu : il saura déconcerter toutes tes intrigues. D'ailleurs ce royaume, dont tu te montres si jaloux, la mort te le ravira bientôt. Déjà le tombeau s'ouvre pour t'engloutir. Mais hélas! combien ne voyons-nous pas encore parmi nous de Chrétiens qui, dans leurs cœurs, sont ennemis du royaume spirituel de Jésus-Christ? Qu'ils prennent garde de lasser la patience divine. A force de différer leur conversion, ils la rendent presque impossible. On arrive enfin au dernier moment; et si l'on est encore frappé de la vue formidable de l'éternité, il est bien rare qu'elle change véritablement le cœur.

Après la réponse du sanhédrin, les Mages. ne pensèrent plus qu'à continuer leur route. L'insensibilité que marquèrent les Juifs à la naissance de leur propre roi, ne dut guère les encourager. Personne ne se joignit à eux; les prêtres et les scribes ne se montrèrent pas plus zélés que les autres. C'est ainsi que, par un juste Jugement de Dieu, les ministres sacrés n'agissent pas toujours d'une manière conforme à leurs lumières; mais on n'en doit pas moins respecter les vérités de la religion, parce que, leur origine étant divine, elles sont indépendantes de la conduite de ceux qui, par état, sont chargés de les enseigner. On ne peut donc se dispenser d'obéir, dès que l'on sait que Dieu parle, et l'on chercherait en vain des excuses dans l'indignité de l'organe dont il se sert pour manifester ses volontés. Il y a plus : la promptitude avec

laquelle on obéit alors étant la preuve d'une foi vive et d'une ferme confiance en Dieu, il la récompense par des grâces plus abondantes et par une protection plus spéciale : c'est ce qu'éprouvèrent les Mages.

n

A peine furent-ils sortis de Jérusalem, que Dieu, pour anime. leur foi et leur zèle, fit reparaître l'étoile qu'ils avaient vue en Orient. Elle dirigeait leur course en les précédant. Lorsqu'ils furent arrivés au lieu où était le Sauveur, elle s'arrêta ', et leur dit, dans un langage muet, mais très-intelligible: C'est là que vous trouverez le Roi nouvellement né. Fixons un moment notre attention sur le spectacle étonnant qui s'offrit aux yeux des Mages. Le Roi pour lequel ils avaient tant fait « ne se manifeste à eux » par aucune action divine. Ils ne le voient point donner la loi » aux démons, rendre la vie aux morts, la santé aux malades, la » vue aux aveugles, l'usage de la parole aux muets. Ils ne trouvent qu'un enfant faible, et dépendant des tendres soins d'une mère, » sans aucun signe de puissance, et devenu, par l'état où il est réduit, un prodige d'humiliation 2. » Une foi ordinaire eût sans doute été déconcertée; mais celle des Mages s'accroît et se fortifie par les obstacles mêmes qui paraissent devoir l'éteindre. Ils découvrent le Dieu de Jacob à travers les voiles humilians de la pauvreté et des faiblesses de l'enfance. La vile cabane dans laquelle il est couché leur paraît préférable aux plus magnifiques palais Ils tombent à ses pieds; puis, le visage prosterné contre terre, ils l'adorent avec les plus vifs sentimens de respect, d'amour, de reconnaissance, et se consacrent à lui sans réserve. Deux choses surtout occupent les pensées de leur esprit: c'est, d'un côté, l'incompréhensible miséricorde d'un Dieu incarné; et de l'autre, l'abîme des misères de l'homme, pour la délivrance duquel il fallu que le Seigneur de gloire souffrît de si grandes humilia

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tions.

Serait-il aisé de trouver une semblable foi en Israël, je veux dire parmi les Chrétiens de nos jours? En est-il beaucoup qui, l'exemple des Mages, comprennent que Jésus-Christ est venu, non pour nous procurer des biens terrestres, mais pour en détacher notre cœur, et le guérir des enflures de l'orgueil? Ne voyons-nous pas, au contraire, que la plupart d'entre eux, esclaves des maximes corrompues du siècle, ne soupirent qu'après les faveurs périssables de ce monde, et rougissent des humiliations de Jésus-Christ? Ils ne peuvent goûter une morale qui ne prêche que l'abjection e les renoncemens ; et tous les jours ils disent par leurs actions ce

En descendant peut-être dans la moyenne région de l'air.

S. Léon, serm. 36; in Epiph. 7, n. 2.

que disaient de bouche les insensés de l'Evangile : Nous ne voulons point que cet homme règne sur nous 1. Jugeons par leur conduite de ce qu'ils auraient pensé de Jésus-Christ, s'ils l'eussent vu dans la crèche de Bethleem.

Les Mages, suivant la coutume des Orientaux, qui n'approchaient jamais des grands princes sans leur faire des présens, offrirent à Jésus-Christ les plus riches productions de leur pays: de l'or, pour reconnaître sa royauté; de l'encens, pour faire hommage à sa divinité; de la myrrhe, pour rendre témoignage à son humanité. Mais cette triple offrande lui fut bien moins agréable que les sentimens intérieurs dont elle était le symbole; car l'or figurait encore une ardente charité; l'encens, une tendre dévotion; et la myrrhea, le sacrifice d'un cœur mortifié. Que de grâces ces saints hommes ne durent-ils pas recevoir d'un Dieu qui ne se laisse jamais vaincre en libéralité! Allons nous prosterner avec eux aux pieds de Jésus-Christ, et offrons-lui ce que nous pouvons avoir de plus précieux, c'est-à-dire un cœur pénétré de respect, d'amour, de reconnaissance et de componction.

Les Mages, après avoir satisfait à leur piété, se préparaient à reprendre la route de Jérusalem, afin d'indiquer à Hérode le lieu où ils avaient trouvé l'Enfant. Mais Dieu, qui connaissait l'hypocrisie et le détestable projet de ce prince, leur inspira une pensée toute contraire. Ils retournèrent donc dans leur pays par un autre chemin, laissant leurs cœurs au Dieu de leur salut. Voilà le modèle qu'il nous faut suivre, si nous voulons conserver les grâces reçues. Commençons dès aujourd'hui à n'avoir plus rien de commun avec ce monde pécheur, l'irréconciliable ennemi de Jésus-Christ; et pour nous en éloigner entièrement, suivons la voie qui nous est tracée dans l'Evangile. Ne nous décourageons point à la vue de notre faiblesse; mais plutôt mettons toute notre confiance dans les mérites du Sauveur, qui nous fortifiera par sa grâce. Par là nous mériterons que la céleste patrie devienne le terme de notre

course.

On n'a jamais douté que les Mages n'aient passé saintement le reste de leur vie. L'ancien auteur du commentaire imparfait sur S. Matthieu, dit que l'apôtre S. Thomas les baptisa dans la Perse, et qu'ils prêchèrent eux-mêmes l'Evangile. Leurs corps, dit-on, furent transportés à Constantinople sous les premiers empe

Luc. XIX, 14.

a La myrrhe, qui servait anciennement à embaumer les corps morts, est un symbole parfait de la mortification, dont la vertu préserve l'âme de la corrup tion du péché.

On le trouve parmi les ouvrages de S. Chrysostôme.

reurs chrétiens; de Constantinople à Milan ", et de cette ville à Cologne b.

S. NILAMMON, RECLUS.

CE saint homme vivait inconnu au monde dans une cellule voisine de Péluse en Egypte. La ville de Gères l'ayant élu pour évêque, il refusa son consentement, en alléguant toutes les raisons que son humilité put imaginer. Il eut ensuite recours aux larmes, afin d'intéresser en sa faveur Théophile, patriarche d'Alexandrie, qui l'avait aussi jugé digne de l'épiscopat. Tous ses efforts furent inutiles, et jamais on ne voulut acquiescer à ses instances. Le saint, accablé de douleur, s'adresse à Dieu avec confiance, et le prie de lui ôter la vie, plutôt que de permettre qu'on le charge d'un fardeau si redoutable. Sa prière fut exaucée, car il mourut avant de l'avoir entièrement finie ", dans le cinquième siècle. Son nom est marqué au 6 de janvier dans le nouveau Martyrologe

romain.

Voyez Sozom. Hist. l. 8, c. 19.

a On montre dans l'église des Dominicains de cette ville le lieu où 1 on prétend qu'ils furent déposés.

b Cette troisième translation se fit dans le douzième siècle, par les ordres de Frédéric Barberousse, lorsqu'il se fut emparé de Milan.

c On voit un exemple semblable dans la Vie du frère Colomban, publiée en italien et en français en 1755. On trouve l'abrégé de cette Vie dans la Relation de la mort de quelques religieux de la Trappe, tom. 4, p. 334. Ce saint homme se distingua dès ses premières années par son innocence, sa piété et son amour pour les pauvres. Abbeville sa patrie, et la ville de Marseille, furent illustrées par l'éclat de ses vertus. En 1710, il prit l'habit de la religion à Buon-Solazzo, en Toscane, dans un monastère de l'ordre de Cîteaux, qui suit la réforme de la Trappe. Une charité ardente, une humilité profonde, un rare esprit de componction et de prière, une sainte avidité pour toutes les pratiques de mortification, le distinguèrent bientôt des autres frères. L'abbé crut qu'il pouvait en pareil cas le dispenser des règles ordinaires : il dit donc à Colomban de se préparer à la réception des saints ordres. Son dessein était de se décharger sur lui d'une partie du gouvernement du monastère, aussitôt qu'il aurait été ordonné prêtre. Colomban, qui avait toujours obéi sans réplique, employa cette fois, pour s'en dispenser, les représentations les plus fortes et les prières les plus touchantes. Il aurait même pris la fuite sans le vœu de stabilité qui le retenait. Mais il eut beau faire, l'abbé le força de recevoir tous les ordres jusqu'au diaconat inclusivement; il ne restait plus que la prêtrise, dont l'idée seule le glaçait d'effroi. Comment évitera-t-il cette redoutable dignité? Il se jette entre les bras de Dieu, et le conjure, avec une ferveur angélique, de ne pas permettre qu'il soit ordonné prêtre. On aperçut bientôt l'effet de sa prière; car il lui tomba sur les mains une paralysie, dont il mourut peu de temps après, en 1714. Ces exemples sont fort édifians dans des solitaires : il n'en serait pas tout-à-fait de même des clercs; qu'ils craignent les dignités ecclésiastiques, qu'ils ne les acceptent que quand ils y seront forcés, ils suivront en cela l'esprit de la primitive Eglise, comme l'observe Etienne de Tournay, serm. 2; mais qu'ils apprennent en même temps qu'une résistance trop opiniâtre est une vraie désobéissance, qu'elle vient d'une pusillanimité criminelle, et qu'elle trouble l'ordre et la paix. C'est le sentiment de S. Basile, ce docteur si éclairé : Regul, disput. c. 21. Vid. Innocent. III, ep. ad episc. Calarit. Decret. l. 2, tit. 9 de

Renuntiatione.

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