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C'est trop long-temps, Iris, me mettre à la torture.
Iris, comme vous le voyez, est mis là pour Julie.
C'est trop long-temps, Iris, me mettre à la torture;
Et si je suis vos lois, je les blâme tous bas
De me forcer à taire un tourment que j'endure.
Pour déclarer un mal que je ne ressens pas.
Faut-il que vos beaux yeuxs, à qui je rend les armes,
Veuillent se divertir de mes tristes soupirs!

Et n'est-ce pas assez de souffrir pour vos charmes,
Sans me faire souffrir encor pour vos plaisirs?
C'en est trop à la fois que ce double martyre;
Et ce qu'il me faut taire, et ce qu'il me faut dire,
Exerce sur mon coeur pareille cruauté:

L'amour le met en feu, la contrainte le tue;
Et, si par la pitié vous n'êtes combatue,
Je meurs et de la feinte et de la vérité.

JULIE.

Je vois que vous vous faites là bien plus mal traité que vous n'êtes; mais c'est une licence que prennent messieurs les poètes de mentir de gaieté de cœur, et de donner à leurs maîtresses des cruautés qu'elles n'ont pas, pour s'accommnoder aux pensées qui leur peuvent venir. Cependant je serai bien aise que vous me doaniez ces vers par écrit.

LE VICOMTE.

C'est assez de vous les avoir dits, et je dois en demeurer là. Il est permis d'être parfois assez fou pour faire des vers, mais non pour vouloir qu'ils soient vus.

JULIE.

C'est en vain que vous vous retranchez sur une fausse modestie; on sait dans le monde que vous avez de l'esprit ; et je ne vois pas la raison qui vous oblige à cacher les votres.

LE VICOMTE.

Mon dieu ! madame, marchons là-dessus, s'il vous plaît, avec beaucoup de retenue; il est dangereux dans le monde de se mêler d'avoir de l'esprit. Il y a là-dedans un certain ridicule qu'il est facile d'attraper, et nous avons de nos amis qui me font craindre leur exemple.

JULIE.

Mon dieu! Cléante, vous avez beau dire, je vois avec tout cela que vous mourez d'envie de me les donner; et je vous embarrasserois si je faisois semblant de ne m'en pas soucier.

LE VICOMTE.

Moi, madame?vous vous moquez; et je ne suis pas si poète que vous pourriez bien croire, pour... Mais voici votre madame la comtesse d'Escarbaguas. Je sors par l'autre porte pour ne la point trouver, et vais disposer tout mon monde au divertissement que je vous ai promis.

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Ah! mon dieu! madame, vous voilà toute seule. Quelle pitié est-ce là! Toute seule ! Il me semble que mes gens m'avoient dit que le vicomte étoit ici.

JULIE.

Il est vrai qu'il y est venu; mais c'est assez pour lui de savoir que vous n'y étiez pas, pour l'obliger à sortir.

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Non, madame, et il a voulu témoigner par là qu'il est tout entier à vos charmes.

LA COMTESSE.

Vraiment, je le veux quereller de cette action. Quelque amour que l'on ait pour moi, j'aime que ceux qui m'aiment, rendent se qu'ils doivent au sexe; et je ne suis point de l'humeur de ces femmes injustes

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qui s'applaudissent des incivilités que leurs amans font aux autres belles.

JULIE.

Il ne faut point, madame, que vous soyez surprise de son procédé. L'amour que vous lui donnez éclate dans toutes ses actions, et l'empêche d'avoir des yeux que pour vous.

LA COMTESSE.

Je crois être en état de pouvoir faire naître une passion assez forte, et je me trouve pour cela assez de beauté, de jeunesse et de qualité, dieu merci ; mais cela n'empêche pas qu'avec ce que j'inspire on ne puisse garder de l'honnêteté et de la complaisance pour les autres. (Apercevant Criquet.) Que faites-vous donc là, laquais ? Est-ce qu'il n'y a pas une antichambre où se senir, pour venir quand on vous appelle? Cela est étrange qu'on ne puisse avoir en province un laquais qui sache son monde ! A qui est-ce donc que je parle ? Voulez-vous donc vous en aller là-dehors, petit fripon?

SCENE III.

LA COMTESSE, JULIE, ANDRÉE.

LA COMTESSE à Andrée.

FILLE, approchez.

ANDRÉE.

Que vous plaît-il, madame ?

LA COMTESSE.

Otez-moi mes coiffes. Doucement donc, maladroite: comme vous me saboulez la tête avec vos mains pcsantes!

ANDRÉE.

Je fais, madame, le plus doucement que je puis.

LA COMTESSE.

Qui; mais le plus doucement, que vous pouvez, est fort rudement pour ma tête, et vous me l'avez déboîtée. Tenez encore ce manchon. Ne laissez point traîner tout cela, et portez-le dans ma garde-robe. Hé bien! où va-elle ? où va-t-elle ? que veut-elle faire, cet oison bridé ?

ANDRÉE.

Je veux, madame, comme vous m'avez dit, porter cela aux gardes-robes.

LA COMTESSE.

Ah ! mon dieu ! l'impertinente! (A Julie.) Je vous demande pardon, madame. ( A Andrée.) Je vous ai dit ma garde-robe, grosse bête, c'est-à-dire, où sont mes habits.

ANDRÉE.

Est-ce, madame, qu'à la cour une armoire s'appelle une garde-robe?

LA COMTESSE.

Oui, butorde; on appelle ainsi le lieu où l'on met

les habits.

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