Images de page
PDF
ePub

Sont bien loin de brûler de ces terrestres flammes!
Les sens n'ont point de part à toutes leurs ardeurs,
Et ce beau feu ne veut marier que les coeurs ;
Comme une chose indigne, il laisse là le reste :
C'est un feu pur et net comme le feu céleste;
On ne pousse avec lui que d'honnêtes soupirs,
Et l'on ne penche point vers les sales désirs.
Rien d'impur ne se mêle au but qu'on se proposé;
On aime pour aimer, et non pour autre chose :
Ce n'est qu'à l'esprit seul que vont tous les transports,
Et l'on ne s'aperçoit jamais qu'on ait un corps.

CLITANDRE.

Pour moi, par un malheur, je m'aperçois, madame,
Que j'ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une ame;
Je sens qu'il y tient trop pour le laisser à part.
De ces détachemens je ne connois point l'art;
Le ciel m'a dénié cette philosophie,

Et mon ame et mon corps marchent de compagnie.
Il n'est rien de plus beau, comme vous avez dit,
Que ces voeux épurés qui ne vont qu'à l'esprit,
Ces unions de cœur, et ces tendres pensées,
Du commerce des sens si bien débarrassées.
Mais ces amours pour moi sont trop subtilisés;
Je suis un peu grossier comme vous m'accusez:
J'aime avec tout moi-même; et l'amour qu'on me donne
En veut, je le confesse, à touté la personne.
Ce n'est pas là matière à de grands châtimens;
Et, sans faire de tort à vos beaux sentimens,
Je vois que dans le monde on suit fort ma méthode,

Et que le mariage est assez à la mode;
Passe pour un lien assez honnête et doux
Pour avoir désiré de me voir votre époux,
Sans que la liberté d'une telle pensée

Ait dû vous donner lieu d'en paroître offensée.

ARMANDE.

Hébien! monsieur, hé bien ! puisque, sans m'écouter,
Vos sentimens brutaux veulent se contenter,
Puisque, pour vous réduire à des ardeurs fidèles,
Il faut des noeuds de chair, des chaînes corporelles ;
Si ma mère le veut, je résous mon esprit
A consentir pour vous à ce dont il s'agit.

CLITANDRE.

Il n'est plus temps, madame, une autre a pris la place,
Et par un tel retour j'aurois mauvaise grâce

De maltraiter l'asile et blesser les bontés
Où je me suis sauvé de toutes vos fiertés.

PHILAMINTE.

Mais enfin comptez-vous, monsieur, sur mon suffrage,
Quand vous vous promettez cet autre mariage ?
Et, dans vos visions, savez-vous s'il vous plaît,
Que j'ai pour Henriette un autre époux tout prêt?

CLITANDRE.

[ocr errors]

Hé! madame, voyez votre choix, je vous prie
Exposez-moi, de grace, à moins d'ignominie,
Et ne me rangez pas à l'indigne destin

De me voir le rival de monsieur Trissotin.
L'amour des beaux esprits, qui chez vous m'est contraire.

Ne pouvoit m'opposer un moins noble adversaire.
Il en est, et plusieurs, que, pour le bel esprit,
Le mauvais goût du siècle a su mettre en crédit ;
Mais monsieur Trissotin n'a pu duper personne,
Et chacun rend justice aux écrits qu'il nous donne.
Hors céans, on le prise en tous lieux ce qu'il vaut,
Et ce qui m'a vingt fois fait tomber de mon haut,
C'est de vous voir au ciel élever des sornettes
Que vous désavoueriez si vous les aviez faites.

PHILAMINTE.

Si vous jugez de lui tout autrement que nous,
C'est que nous le voyons par d'autres yeux que vous.

SCENE III.

TRISSOTIN, PHILAMINTE, ARMANDE, CLI

TANDRE.

TRISSOTIN, à Philaminte.

Je viens vous annoncer une grande ñouvelle.
Nous l'avons en dormant, mad ame, échappé belle:
Un monde près de nous a passé tout du long,
Est chu tout au travers de notre tourbillon;
Et, s'il eût en chemin rencontré notre terre,
Elle eût été brisée en morceaux, comme verre.

PHIL MINTE.

Remettons ce discours pour une autre saison:
Monsieur n'y trouveroit ni rime ni raison ;

Il fait profession de chérir l'ignorance,

Et de hair surtout l'esprit et la science.

CLITANDRE.

Cette vérité veut quelque adoucissement
Je m'explique, madame; et je hais seulement
La science et l'esprit qui gåtent les personnes.
Ce sont choses, de soi, qui sont belles et bonnes;
Mais j'aimerois mieux être au rang des ignorans,
Que de me voir savant comme eer.aines gens.

TRISSOTIN.

Pour moi, je ne tiens pas, quelque effet qu'on suppose, Que la science soit pour gâter quelque chose.

CLITANDRE.

Et c'est mon sentiment. qu'en faits, comme en propos. La science est sujette à faire de grands sots.

Le paradoxe est fort.

TRISSOTIN.

CLITANDRE.

Sans être fort habile,

La preuve m'en seroit, je pense, assez facile.
Si les raisons manquoient, je suis sûr qu'en tout cas
Les exemples fameux ne me manqueroient pas.

TRISSOTIN.

Vous en pourriez citer qui ne conclueroient guère.

CLITANDRE.

Je n'irois pas bien loin pour trouver mon affaire.

TRISSOTIN.

Pour moi, je ne vois pas ces exemples fameux.

CLITANDRE.

Moi, je les vois si bien, qu'ils me crèvent les

TRISSOTIN.

yeux.

J'ai cru jusques ici que c'étoit l'ignorance
Qui faisoit les grands sols, et non pas la science.

CLITANDRE.

Vous avez cru fort mal; et je vous suis garant Qu'un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant.

TRISSOTIN.

Le sentiment commun est contre vos maximes,
Puisqu'ignorant et sot sont termes synonymes.

CLITANDRE.

Si vous le voulez prendre aux usages du mot,
L'alliance est plus grande entre pédant et sot.

TRISSOTIN.

La sottise, dans l'un se fait voir toute pure.

[ocr errors]

CLITANDRE.

Et l'étude, dans l'autre, ajoute à la nature.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors]
« PrécédentContinuer »