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TRISSOTIN.

1 faut que l'ignorance ait pour vous de grands charmes, Puisque pour elle ainsi vous prenez tant les armes.

CLITANDRE.

Si pour moi l'ignorance a des charmes bien grands, C'est depuis qu'à mes yeux s'offrent certains savans.

TRISSOTIN.

Ces certains savans-là peuvent, à les connoître, Valoir certaines gens que nous voyons paroître.

CLITANDRE.

Oni, si l'on s'en rapporte à ces certains savans: Mais on n'en convient pas chez ces certaines gens. PHILAMINTE, à Clitandre.

Il me semble, monsieur...

CLITANDRE.

Hé! madame, de grâce;

Monsieur est assez fort, sans qu'à son aide on passe.
Je n'ai déjà que trop d'un si rude assaillant ;
Et si je me défends, ce n'est qu'en reculant.

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Pourvu qu'à la personne on ne s'attaque pas.

CLITANDRE.

Hé! mon dieu! tout cela n'a rien dont il s'offense,
Il entend raillerie autant qu'homme de France;
Et de bien d'autres traits il s'est senti piquer,
Sans que jamais sa gloire ait fait que s'en moquer.

TRISSOTIN.

Je ne m'étonne pas, au combat que j'essuie,
De voir prendre à monsieur la thèse qu'il appuie;
Il est fort enfoncé dans la cour, c'est tout dit.

La cour
comme l'on sait, ne tient pas pour l'esprit
Elle a quelque intérêt d'appuyer l'ignorance :
Et c'est en courtisan qu'il en prend la défense.

CLITANDRE.

Vous en voulez beaucoup à cette pauvre cour;
Et sou malheur est grand de voir que, chaque jour,
Vous autres beaux esprits vous déclamiez contre elle,
Que de tous vos chagrins vous lui fassiez querelle,
Et, sur son méchant goût lui faisant son procès,
N'accusiez que lui seul de vos méchans succès.
Permettez-moi, monsieur Trissotin, de vous dire
Avec tout le respect que votre nom m'inspire,
Que vous feriez fort bien, vos confrères et vous,
De parler de la cour d'un ton un peu plus doux;
Qu'à le bien prendre au fond, elle n'est pas si bête
Que vous autres, messieurs, vous vous mettez en tête;
Qu'elle a du sens commun pour se connoître à tout ;
Que chez elle on se peut former quelque bon goût;

,

Et que l'esprit du monde y vaut sans flatterie,
Tout le savoir obscur de la pédanterie.

TRISSOTIN.

De son bon goût, monsieur, nous voyons des effets.

CLITANDRE.

Où voyez-vous, monsieur, qu'elle l'ait si mauvais?

TRISSOTIN.

Ce que je vois, monsieur? C'est que pour la science
Rasius et Baldus font honneur à la France,
Et que tout leur mérite, exposé fort au jour
N'attire point les yeux et les dons de la cour.

CLITANDRE.

Je vois votre chagrin, et que, par modestie,
Vous ne vous mettez point, monsieur, de la partie.
Et, pour ne vous point mettre aussi dans le
propos,
Que font-ils pour l'Etat, vos habiles héros ?

Qu'est-ce que leurs écrits lui rendent de service,
Pour accuser la cour d'une horrible injustice,
Et se plaindre en tous lieux que sur leurs doctes noms
Elle mauque à verser la faveur de ses dons?
Leur savoir à la France est beaucoup nécessaire !
Et des livres qu'il font la cour a bien affaire !
Il semble à trois gredins, dans leur petit cerveau,
Que, pour être imprimés et reliés en veau,
Les voilà dans l'Etat d'importantes personnes;
Qu'avec leur plume ils font les destins des couronnes;
Qu'au moindre petit bruit de leurs productions,

Ils doivent voir chez eux voler les pensions;
Que sur eux l'univers a la vue attachée ;
Que partout de leur nom la gloire est épanchée;
Et qu'en science ils sont des prodiges fameux,
Pour savoir ce qu'ont dit les autres avant eux,
Pour avoir eu trente ans des yeux et des oreilles,
Pour avoir employé neuf ou dix mille veilles
A se bien barbouiller de grec et de latin,
Et se charger l'esprit d'un ténébreux butin

De tous les vieux fatras qui traînent dans les livres :
Gens qui de leur savoir paroissent toujours ivres;
Riches, pour tout mérite, en babil importun;
Inhabiles à tout, vides de sens commun,
Et pleins d'un ridicule et d'un impertinence
A décrier partout l'esprit et la science.

PHILAMINTE.

Votre chaleur est grande; et cet emportement
De la nature en vous marque le mouvement.
C'est le nom de rival qui dans votre ame excite...

SCENE I V.

TRISSOTIN, PHILAMINTE, CLITANDRE, ARMANDE, JULIEN.

JULIEN.

Le savant qui tantôt vous a rendu visite,
Et de qui j'ai l'honneur de me voir le valet;
vous exhorte à lire ce billet.

Madame,

PHILAMINTE.

Quelque important que soit ce qu'on veut que je lise,
Apprenez, mon ami, que c'est une sottise

De se venir jeter au travers d'un discours,
Et qu'aux gens d'un logis il faut avoir recours,
Afin de s'introduire en valet qui sait vivre.

JULIEN.

Je noterai cela, madame, dans mon livre.

PHILAMINTE.

« Trissotin s'est vanté, madame, qu'il épouse>>roit votre fille. Je vous donne avis que sa philo» sophie n'en veut qu'à vos richesses, et que vous >> ferez bien de ne point conclure ce mariage que >> vous n'ayez vu le poëme que je compose contre » lui. En attendant cette peinture, où je prétends >> vous le dépeindre de toutes ses couleurs, je >> vous envoie Horace, Virgile, Térence, et Catulle. » où vous verrez notés en marge tous les endroits » qu'il a pillés. »

Voilà sur cet hymen que je me suis promis
Un mérite-attaqué de beaucoup d'ennemis ;
Et ce déchainement aujourd'hui me convie
A faire une action qui confonde l'envie,
Qui lui fasse sentir que l'effort qu'elle fait
De ce qu'elle veut rompre aura pressé l'effet.
A julien. )
Reportez tout cela sur l'heure à votre maître
Et lui dites qu'afin de lui faire connoître

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