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sciences, qui fait que chacune d'elles est dans quelque lien de dépendance (soit logique, soit doctrinal) avec toutes les autres, exige qu'on soit armé, pour la moindre recherche spéciale, du plus grand nombre possible de connaissances et de moyens d'investigation.

Comme le rappelait le ministre de l'Instruction publique aux fêtes du sixième centenaire de l'Université de Montpellier, c'est Auguste Comte qui a, le premier, montré, en même temps que la loi hstorique du développement des sciences, comment les progrès de chacune d'elles avaient été et devaient être toujours nécessairement liés à certaines découvertes des autres. En effet, « quelles réactions incessantes et chaque jour plus évidentes entre les mathématiques et les sciences physiques, entre celles-ci et les sciences de la vie, entre ces dernières et les diverses sciences de l'homme, qu'il s'agisse de l'analyse de ses facultés pensantes, de l'évolution de son langage ou du développement de sa vie sociale?» (Léon Bourgeois).

En ce qui concerne la Biologie, outre qu'il est important au point de vue de l'éducation logique de commencer par étudier les problèmes relativement simples de la mathématique, de l'astronomie, de la physique et de la chimie, avant d'aborder l'étude des phénomènes plus complexes de la vie, la connaissance des lois de la physique et de la chimie est directement indispensable au biologiste, puisque une foule de phénomènes physiques et chimiques se passent dans l'organisme d'après les lois qui leur sont propres, « sauf les modifications spéciales tenant aux conditions organiques. »

Auguste Comte a prétendu avec raison que l'instruction défectueuse des physiologistes et des médecins dans les sciences inorganiques est une des conditions qui entravent le plus les progrès de la médecine. De toutes parts, on sent aujourd'hui le besoin des connaissances chimiques pour pouvoir analyser ces divers troubles de la nutrition qui engendrent le diabète, la gravelle, la goutte, la lithiase biliaire, etc., et leur opposer une thérapeutique rationnelle; pour pouvoir analyser ces diverses substances que les microbes produisent, et par l'intermédiaire desquelles, surtout, ils agissent sur l'organisme, substances que les pathologistes, faute de pouvoir les caractériser chimiquement, sont aujourd'hui réduits à caractériser par leurs propriétés physiologiques, en les distinguant, par exemple, en substances qui font dilater la pupille et en substances qui la font resserrer, etc...

Les biologistes ont bien appelé à leur secours les chimistes, mais A. Comte a donné les raisons pour lesquelles ceux-ci sont impropres à étudier les phénomènes chimiques que présentent les êtres orga

nisés, à résoudre les problèmes de la chimie biologique : « En prin «cipe philosophique, il me semble évident », dit-il, «< que, si les « sciences les plus générales sont, par leur nature, radicalement << indépendantes des moins générales, qui doivent, au contraire, « reposer préalablement sur elles, il résulte de cette indépendance « même que les savants livrés à la culture des premières sont « essentiellement impropres à diriger d'une manière convenable << leur application fondamentale aux secondes, dont ils ne sauraient <«< connaître suffisamment les vraies conditions caractéristiques. <«< Dans toute judicieuse division du travail, il est clair, en un mot, << que l'usage d'un instrument quelconque, matériel et intellectuel, <«< ne peut jamais être rationnellement dirigé par ceux qui l'ont «< construit, mais par ceux, au contraire, qui doivent l'employer et <«< qui peuvent seuls, par cela même, en bien comprendre la vraie << destination spéciale..... On doit concevoir, dans le cas actuel, que les biologistes sont naturellement seuls compétents pour appliquer « avec succès les théories physiques « ou chimiques » à la solution « rationnelle des problèmes physiologiques. Une telle organisation « du travail exige, de la part des biologistes, une éducation préli<<minaire plus forte, plus complète et plus systématique, qui puisse <«<les mettre en état de s'appuyer judicieusement sur les autres << sciences fondamentales, au lieu d'attendre vainement d'heureuses << indications générales de la part de ceux qui n'en peuvent con« naître la véritable destination ». (Cours de Philosophie positive, 40e leçon, 1836).

C'est en un mot aux biologistes et non aux chimistes qu'il appartient de constituer la chimie biologique. Et c'est ce qu'avait compris Ch. Robin que M. Wechniakoff considère « comme le fondateur de la théorie philosophique et encyclopédique systématisée la plus complète de chimie biologique ».

C'est ce qu'ont compris également les savants de langue allemande, Kuhne à Heidelberg, Pflüger à Bonn, Greyer à léna, F. Miescher à Bâle, etc., qui tous se sont engagés dans la voie ouverte par le disciple d'A. Comte et presque complètement délaissée par ses compatriotes.

Quant aux sciences supérieures telles que la Sociologie et la Morale, leur connaissance n'est pas moins indispensable au médecin, et au point de vue de la méthode, et au point de vue de la doctrine. En ce qui concerne la méthode, nous avons vu dans l'Introduction que ce sont ces sciences qui fournissent le principe subjectif du règlement du travail intellectuel. Sous le rapport doctrinal, comment, d'autre part, veut-on comprendre l'extension croissante de l'alcoo

lisme, de l'aliénation, la multiplication des suicides, la fréquence prodigieuse des maladies nerveuses, etc., si on ne tient pas compte des conditions de la civilisation actuelle, des perturbations qu'a subies l'évolution sociale, etc.? et comment veut-on comprendre les diverses formes de vésanies, si on ne possède pas la théorie positive de la nature humaine, telle que la science morale seule peut la fournir? Aussi n'est-il pas douteux que la profonde ignorance de la majorité des aliénistes en Sociologie et en Morale soit en partie cause de l'état arriéré dans lequel se trouve encore la pathologie mentale.

M. Calas, à la fin du chapitre qu'il a consacré à l'appréciation des idées d'Auguste Comte, sur la Médecine et les médecins, raconte comment la Société positiviste fut incitée par son fondateur à s'occuper de la réforme de l'Enseignement médical, et expose, d'après Littré, les principaux passages du rapport que présenta sur cette question une commission composée de trois médecins positivistes, les docteurs Segond, de Montègre et Ch. Robin, et qui concluait à la création d'une Ecole positive, dans laquelle se trouverait réalisée, par l'enseignement des six sciences fondamentales, mathématique, astronomie, physique, chimie, biologie, sociologie, « cette éducation encyclopédique qui devient de plus en plus un besoin dans les hautes régions de l'intelligence » (Littré); sorte d'Ecole polytechnique agrandie, qui servirait «< pour de plus amples services publics, pour la médecine, en même temps que pour la haute administration, pour la magistrature, etc...

Mais quoiqu'un admirateur allemand de Comte, Robert Springer, (Deutsches Museum, 1867, no 52, Auguste Comte und seine Philosophie) ait prétendu que le gouvernement français, en élevant le niveau de l'enseignement polytechnique et médical, n'a fait que suivre les propositions de la Société positiviste, il ne nous semble pas qu'on se soit encore bien réellement inspiré en France des idées d'Auguste Comte, sur la manière de remédier aux dangers de la spécialisation croissante des recherches.

Au contraire, la réforme de l'instruction des spécialistes, recommandée par Comte, aurait été, au dire de M. Wechniakoff, << sérieusement pratiquée en Allemagne et aurait eu les effets les plus brillants et les plus salutaires dans ce pays où la doctrine de Comte a eu cependant le moins de succès avoué ». « En comparant », déclare cet auteur «< au point de vue de l'instruction en«< cyclopédique, les plus éminents biologistes germaniques de nos « jours à ceux qui les ont précédés et ont été leurs maîtres, on << trouve une différence en faveur des savants modernes. Les plus

⚫ récents représentants de la science biologique : Brücke, Du Bois« Reymond, Helmholtz, Ludwig, Wundt, ne sont pas moins versés << dans la connaissance la plus approfondie des sciences mathéma«<tiques que dans la connaissance de la spécialité qu'ils cultivent <<< de la manière la plus active. Même les sociologistes allemands << actuels Bastian, Radenhausen, Lange, Duhring, dénotent dans «<leurs œuvres une connaissance approfondie des sciences cosmologiques et biologiques ». (Introduction aux Recherches sur l'Economie des travaux scientifiques et esthétiques, 1870).

En tout cas, M. Calas semble approuver sans réserve le projet de MM. Segond, de Montègre et Ch. Robin, car il fait suivre l'exposé qu'il en donne de cette réflexion caractéristique, à laquelle un positiviste aurait mauvaise grâce de ne pas souscrire : « l'intelligence qui savait remuer de tels disciples et leur inspirer des idées aussi grandioses n'était-elle pas illuminée des plus purs rayons du génie? ».

Dr Constant HILLEMAND (1).

(La suite au prochain numéro. ·

(1) Je crois devoir faire observer, précisément en raison de mes fonctions dans la Revue Occidentale, que l'ensemble de cet article sur Auguste Comte médecin, à côté de beaucoup d'idées inspirées de l'enseignement de notre vénéré maître M. Pierre Laffite, en contient quelques-unes qui sont en désaccord avec sa manière de voir, comme celles qui ont trait au transformisme, celles relatives aux rapports entre les vices de conformation crânienne et faciale et les prédispositions névropathiques, etc... Il va sans dire, également, que je suis seul responsable de mes appréciations sur le monde médical contemporain.

C. H.

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Né à Londres en janvier 1834, mort à Famham le 30 octobre 1890.

Notre coreligionnaire a été enterré à Famham le 3 novembre 1890 et M. F. Harrison a prononcé les dernières paroles sur sa tombe.

Le corps fut suivi par MM. F. Harrison, le prof. Beesly, le Dr Bridges, M. Newman, Bockett, P. Russell de Manchester, Blake (de Chapel Street), Hinchfeld, contre-maître de la fabrique où M. Overton avait travaillé pendant vingt ans, et madame Clark qui l'avait soigné pendant les derniers trois mois et dans la maison de laquelle à Famham il mourut.

John-W. Overton était un type de l'ouvrier énergique et indépendant, qui refusa toujours de quitter sa classe, et qui demeura un simple ouvrier pendant plus de quarante ans d'un travail non interrompu et très dur. Son métier était celui de forgeron en cuivre et ici sa grande force, son talent et son industrie le rendirent un ouvrier d'une valeur exceptionnelle. Son père était un contre-maître d'une brasserie et le mit en apprentissage chez un forgeron en cuivre. Dès sa majorité il refusa tout secours de la part de son père et ne voulut jamais quitter son métier pour devenir un bourgeois.Son industrie, sa sobriété et l'indépendance extraordinaire de sa nature le firent remarquer par ses camarades. Sa générosité était prodigieuse. Quand d'autres donnaient un schelling, John Overton en donnait dix, lorsqu'il s'agissait d'un cas de détresse. Mais il n'aimait pas les paresseux et les ivrognes. Souvent il cessait de travailler pendant des mois pour étudier. Il lut beaucoup, il apprit le français et put lire Comte dans cette langue; il apprit aussi l'italien. Il étudia l'histoire, la philosophie et la littérature. Il écrivait avec beaucoup de force et de vivacité. Il publia, à ses frais, deux ouvrages. Des Etudes remarquables sur la vie d'un ouvrier et ses Essais sur Londres et sur la vie du prolétariat furent souvent

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