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Le Dieu des humbles fois descend du ciel sur nous.

Lorsque j'ai célébré le pieux sacrifice,

J'enseigne les enfants, et me fais leur nourrice,

Et donne goutte à goutte à leurs lèvres le lait
D'une instruction simple et tendre, et qui leur plaît.
Je rentre; et du matin la tâche terminée,
A ma table, de fruits et de lait couronnée,
Je m'assieds un moment, comme le voyageur
Qui s'arrête à moitié du jour et reprend cœur;
Le reste du soleil, dans mes champs je le passe
A ces travaux du corps dont l'esprit se délasse:
A fendre avec la bêche un sol dur; à semer

L'orge qu'un court été pressera de germer;

A faucher mon pré mûr, pour ma blonde génisse;
A délier la gerbe afin qu'elle jaunisse ;

A faire à chaque plante, à son heure, pleuvoir
En insensible ondée un pesant arrosoir;

Car de l'homme à la fois cette terre réclame
La sueur de son front et la sueur de l'âme!
Le soir, quand chaque couple est rentré du travail,
Quand le berger rassemble et compte son bétail,
Mon bréviaire à la main, je vais de porte en porte,
Au hasard et sans but comme le pied me porte,
M'arrêtant plus ou moins un peu sur chaque seuil,
A la femme, aux enfants, disant un mot d'accueil;
Partout portant un peu de baume à la souffrance,
Aux corps quelque remède, aux âmes l'espérance,
Un secret au malade, aux partants un adieu,
Un sourire à chacun, à tous un mot de Dieu.

(JOCELYN.)

L'Aigle et le Soleil.

Ne dites pas, enfants, comme d'autres, ont dit : « Dieu ne me connaît pas, car je suis trop pelit; Dans sa création ma faiblesse me noie;

Il voit trop d'univers pour que son œil me voie. »

L'aigle de la montagne un jour dit au soleil :
Pourquoi luire plus bas que ce sommet vermeil?
A quoi sert d'éclairer ces prés, ces gorges sombres,
De salir tes rayons sur l'herbe dans ces ombres?
La mousse imperceptible est indigne de toi!

Oiseau, dit le soleil, viens et monte avec moi! » L'aigle, avec le rayon s'élevant dans la nue, Vit la montagne fondre et baisser à sa vue, Et, quand il eut atteint son horizon nouveau, A son œil confondu tout parut de niveau. «Eh bien! dit le soleil, tu vois, oiseau superbe, Si, pour moi, la montagne est plus haute que l'herbe? Rien n'est grand ni petit devant mes yeux géants: La goutte d'eau me peint comme les océans. De tout ce qui me voit je suis l'astre et la vie. Comme le cèdre altier, l'herbe me glorifie; J'y chauffe la fourmi; des nuits j'y bois les pleurs; Mon rayon s'y parfume en traînant sur les fleurs! >>

Et c'est ainsi que Dieu, qui seul est sa mesure,
D'un œil pour tous égal voit toute sa nature!..

Chers enfants, bénissez, si votre cœur comprend, Cet œil qui voit l'insecte et pour qui tout est grand! (JOCELYN.)

Les Laboureurs.

Quelquefois dès l'aurore, après le sacrifice,
Ma Bible sous mon bras, quand le ciel est propice,
Je quitte mon église et mes murs jusqu'au soir,
Et je vais par les champs m'égarer et m'asseoir,
Sans guide, sans chemin, marchant à l'aventure,
Comme un livre au hasard feuilletant la nature,
Mais partout recueilli; car j'y trouve en tout lieu
Quelques fragments écrits du vaste nom de Dieu.
Oh! qui peut lire ainsi les pages du grand livre
Ne doit ni se lasser ni se plaindre de vivre!

La tiède attraction des rayons d'un ciel chaud
Sur les monts ce matin m'avait monté plus haut;
J'atteignis le sommet d'une rude colline

Qu'un lac baigne à sa base et qu'un glacier domine,
Et dont les flancs boisés aux penchants adoucis
Sont tachés de sapins par des prés éclaircis.
Tout en haut seulement des bouquets circulaires
De châtaigniers croulants, de chênes séculaires,
Découpant sur le ciel leurs dômes dentelés,
Imitent les vieux murs des donjons crénelés,
Rendent le ciel plus bleu par leur contraste sombre,

Et couvrent à leurs pieds quelques champs de leur ombre.
Déjà tout près de moi j'entendais par moments
Monter des pas, des voix et des mugissements :
C'était le paysan de la haute chaumine

Qui venait labourer son morceau de colline
Avec son soc plaintif traîné par ses bœufs blancs,
Et son mulet portant sa femme et ses enfants,
Et je pus, en lisant ma Bible ou la nature,
Voir tout le jour la scène et l'écrire à mesure;
Sous mon crayon distrait le feuillet devint noir.
Oh! nature, on t'adore encor dans ton miroir.

Laissant souffler ses bœufs, le jeune homme s'appuie
Debout au tronc d'un chêne, et de sa main essuie
La sueur du sentier sur son front mâle et doux;
La femme et les enfants tout petits, à genoux
Devant les bœufs privés baissant leur corne à terre,
Leur cassent des rejets de frêne et de fougère,
Et jettent devant eux en verdoyants morceaux
Les feuilles que leurs mains émondent des rameaux;
Ils ruminent en paix, pendant que l'ombre obscure,
Sous le soleil montant se replie à mesure,

Et laissant de la glèbe attiédir la froideur,
Vient mourir et border les pieds du laboureur;
Il rattache le joug, sous la forte courroie,
Aux cornes qu'en pesant sa main robuste ploie ;
Les enfants vont cueillir des rameaux découpés,
Des gouttes de rosée encore tout trempés,

Au joug avec la feuille en verts festons les nouent,
Que sur leurs fronts voilés les fiers taureaux secouent,

Pour que leur flanc qui bat et leur poitrail poudreux
Portent sous le soleil un peu d'ombre avec eux;
Au joug de bois poli le timon s'équilibre,

Sous l'essieu gémissant le soc se dresse et vibre,
L'homme saisit le manche, et sous le coin tranchant
Pour ouvrir le sillon le guide au bout du champ.
La terre, qui se fend sous le soc qu'elle aiguise,
En tronçons palpitants s'amoncelle et se brise;
Et tout en s'entr'ouvrant fume comme une chair
Qui se fend et palpite et fume sous le fer.

En deux monceaux poudreux les ailes la renversent;
Ses racines à nu, ses herbes se dispersent;
Ses reptiles, ses vers, par le soc déterrés,
Se tordent sur son sein en tronçons torturés.
L'homme les foule aux pieds en secouant le manche,
Enfonce plus avant le glaive qui les tranche;

Le timon plonge et tremble et déchire ses doigts;
La femme parle aux bœufs du geste et de la voix;
Les animaux, courbés sur leur jarret qui plie,
Pesent de tout leur front sur le joug qui les lie.
Comme un cœur généreux leurs flancs battent d'ardeur
Ils font bondir le sol jusqu'en sa profondeur.
L'homme presse ses pas, la femme suit à peine,
Tous au bout du sillon arrivent hors d'haleine;
Ils s'arrêtent; le bœuf rumine; et les enfants
Chassent avec la main les mouches de leurs flancs.
Mais le milieu du jour au repas les rappelle;
Ils couchent sur le sol le fer; l'homme dételle
Du joug tiède et fumant les boeufs qui vont en paix
Se coucher loin du soc sous un feuillage épais;

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