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Avec sa suite obscure, et comme lui bannie,
Jésus avait quitté les murs de Béthanie; ·

A travers la campagne il fuyait d'un pas lent,
Quelquefois s'arrêtant, priant et consolant;
Assis auprès d'un champ, le prenait pour symbole,
Ou du Samaritain disait la parabole,

La brebis égarée, ou le mauvais pasteur,
Ou le sépulcre blanc, pareil à l'imposteur;
Et de là, poursuivant sa paisible conquête,
De la Cananéenne écoutait la requête,

A la fille sans guide enseignait ses chemins,
Puis aux petits enfants il imposait les mains.
L'aveugle-né voyait, sans pouvoir le comprendre,
Le lépreux et le sourd se toucher et s'entendre ;
Et tous, lui consacrant des larmes pour adieu,
lls quittaient le désert où l'on exilait Dieu.
Fils de l'homme et sujet aux maux de la naissance,
Il les commençait tous par le plus grand, l'absence,
Abandonnant la ville et subissant l'édit,

Pour accomplir en tout ce qu'on avait prédit.
Or, pendant ce temps-là, ses amis en Judée
Voyaient venir leur fin qu'il avait retardée.
Lazare, qu'il aimait et ne visitait plus,
Vint à mourir, ses jours étant tous révolus.
Mais l'amitié de Dieu n'est-elle pas la vie?
Il partit dans la nuit; sa marche était suivie
Par les deux jeunes sœurs du malade expiré,
Chez qui, dans ses périls, il s'était retiré.
C'était Marthe et Marie; or, Marie était celle
Qui versa les parfums et fit blâmer son zèle.

Tous s'affligeaient; Jésus disait en vain : « Il dort, »>
Et lui-même, en voyant le linceul et le mort,
Il pleura. Larme sainte, à l'amitié donnée,
Oh! vous ne fûtes point aux vents abandonnée!
Des séraphins penchés l'urne de diamant,
Invisible aux mortels, vous reçut mollement,
Et, comme une merveille au ciel même étonnante,
Aux pieds de l'Éternel vous porta rayonnante.
De l'œil toujours ouvert un regard complaisant
Émut et fit briller l'ineffable présent ;

Et l'Esprit-Saint, sur elle épanchant sa puissance,
Donna l'âme et la vie à la divine essence.
Comme l'encens qui brûle aux rayons du soleil
Se change en un feu pur, éclatant et vermeil,
On vit alors du sein de l'urne éblouissante,
S'élever une forme et blanche et grandissante.
Une voix s'entendit qui disait : « Éloa! >>
Et l'ange apparaissant répondit : « Me voilà! »

Toute parée aux yeux du ciel qui la contemple,
Elle marche vers Dieu comme une épouse au temple;
Son beau front est serein et pur comme un beau lis,
Et d'un voile d'azur il soulève les plis;

Ses cheveux, partagés comme deux gerbes blondes,
Dans les vapeurs de l'air perdent leurs molles ondes:
Comme on voit la comète errante dans les cieux,
Fondre, au sein de la nuit, ses rayons gracieux;
Une rose, aux lueurs de l'aube matinale,
N'a pas de son teint frais la couleur virginale;
Et la lune, des bois éclairant l'épaisseur,

D'un de ses doux regards n'atteint pas la douceur. Ses ailes sont d'argent; sous une pâle robe,

Son pied blanc tour à tour se montre et se dérobe, Et son sein agité, mais à peine aperçu,

Soulève les contours du céleste tissu.

(ÉLOA, chant I.)

Chute d'Éloa.

ÉLOA QUITTE le ciel et renCONTRE LE TENTATEUR.

Mais sitôt qu'elle vit sur sa tête pensive
De l'enfer décelé la douleur convulsive,
Étonnée et tremblante, elle éleva ses yeux;
Plus forte, elle parut se souvenir des cieux,
Et souleva deux fois ses ailes argentées,
Entr'ouvrant pour gémir ses lèvres enchantées;
Ainsi qu'un jeune enfant, s'attachant aux roscaux,
Tente de faibles cris étouffés sous les eaux.

Il la vit prête à fuir vers les cieux de lumière.
Comme un tigre éveillé bondit dans la poussière,
Aussitôt en lui-même, et plus fort désormais,
Retrouvant cet esprit qui ne fléchit jamais,
Ce noir esprit du mal qu'irrite l'innocence,
Il rougit d'avoir pu douter de sa puissance,
Il rétablit la paix sur son front radieux,
Rallume tout à coup l'audace de ses yeux,
Et longtemps en silence il regarde et contemple

La victime du ciel qu'il destine à son temple;

Comme pour lui montrer qu'elle résiste en vain,
Et s'endurcir lui-même à ce regard divin.

Sans amour, sans remords, au fond d'un cœur de glace,

Des coups qu'il va porter il médite la place,

Et pareil au guerrier qui, tranquille à dessein,
Dans les défauts du fer cherche à frapper le sein,
Il compose ses traits sur les désirs de l'ange;
Son air, sa voix, son geste et son maintien, tout change.
Sans venir de son cœur, des pleurs fallacieux
Paraissent tout à coup sur le bord de ses yeux.
La vierge dans le ciel n'avait pas vu de larmes,
Et s'arrête; un soupir augmente ses alarmes.
Il pleure amèrement comme un homme exilé,
Comme une veuve auprès de son fils immolé;
Ses cheveux dénoués sont épars; rien n'arrête
Les sanglots de son sein qui soulèvent sa tête.
Éloa vient et pleure; ils se parlent ainsi :

« Que vous ai-je donc fait ? Qu'avez-vous? me voici.

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- Tu cherches à me fuir, et pour toujours peut-être. Combien tu me punis de m'être fait connaître !

J'aimerais mieux rester, mais le Seigneur m'attend.
Je veux parler pour vous, souvent il nous entend.
Il ne peut rien sur moi, jamais mon sort ne change,
Et toi seule es le dieu qui peut sauver un ange.
-Que puis-je faire? hélas! dites, faut-il rester?
-Oui, descends jusqu'à moi, car je ne puis monter.

Mais quel don voulez-vous?-Le plus beau, c'est nous-mêmes. Viens. M'exiler du ciel? — Qu'importe, si tu m'aimes?

Touche ma main. Bientôt dans un mépris égal
Se confondront pour nous et le bien et le mal.
Tu n'as jamais compris ce qu'on trouve de charmes
A présenter son sein pour y cacher des larmes.
Viens, il est un bonheur que moi seul t'apprendrai;
Tu m'ouvriras ton âme, et je l'y répandrai.
Comme l'aube et la lune au couchant reposée
Confondent leurs rayons, ou comme la rosée
Dans une perle seule unit deux de ses pleurs.
Pour s'empreindre du baume exhalé par les fleurs,
Comme un double flambeau réunit ses deux flammes,
Non moins étroitement nous unirons nos âmes.

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- Je t'aime et je descends. Mais que diront les cieux ? »

En ce moment passa dans l'air, loin de leurs yeux,
Un des célestes chœurs, où, parmi les louanges,
On entendit ces mots que répétaient des anges :
<< Gloire dans l'univers, dans les temps, à celui
Qui s'immole à jamais pour le salut d'autrui ! »
Les cieux semblaient parler. C'en était trop pour elle.
Deux fois encor levant sa paupière infidèle,
Promenant des regards encore irrésolus,
Elle chercha ces cieux qu'elle ne voyait plus.

Des anges au chaos allaient puiser des mondes.
Passant avec terreur dans ses plaines profondes,
Tandis qu'ils remplissaient les messages de Dieu,
Ils ont tous vu tomber un nuage de feu.

Des plaintes de douleur, des réponses cruelles,

Se mêlaient dans la flamme au battement des ailes :

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