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Mais, si tu crains la tyrannie
D'un astre jaloux et pervers,

Quitte le sceptre du génie,
Cesse d'éclairer l'univers ;

Descends des hauteurs de ton âme;
Abaisse tes ailes de flamme,
Brise tes sublimes pinceaux;
Prends tes envieux pour modèles,
Et de leurs vernis infidèles
Obscurcis tes brillants tableaux.

Flatté de plaire aux goûts volages,
L'esprit est le dieu des instants.
Le génie est le dieu des âges,
Lui seul embrasse tous les temps.
Qu'il brûle d'un noble délire,
Quand la gloire autour de sa lyre
Lui peint les siècles assemblés,
Et leur suffrage vénérable
Fondant son trône inaltérable
Sur les empires écroulés !...

Ceux dont le présent est l'idole
Ne laissent point de souvenir :
Dans un succès vain et frivole
Ils ont usé leur avenir.
Amants des roses passagères,
Ils ont les grâces mensongères
Et le sort des rapides fleurs;

Leur plus long règne est d'une aurore :

Mais le temps rajeunit encore
L'antique laurier des neuf Sœurs.

Jusques à quand de vils Procustes
Viendront-ils au sacré vallon,
Souillant ces retraites augustes,
Mutiler les fils d'Apollon?

Le croirez-vous, races futures?
J'ai vu Zoïle aux mains impures,
Zoïle outrager Montesquieu!.
Mais, quand la Parque inexorable
Frappa cet homme irréparable 1,
Nos regrets en firent un dieu.

Quoi! tour à tour dieux et victimes,
Le sort fait marcher les talents
Entre l'Olympe et les abîmes,

Entre la satire et l'encens!

Malheur au mortel qu'on renomme!
Vivant, nous blessons le grand homme;
Mort, nous tombons à ses genoux.
On n'aime que la gloire absente:
La mémoire est reconnaissante;
Les yeux sont ingrats et jaloux.

Buffon, dès que, rompant ses voiles
Et fugitive du cercueil,

1 En prose, irréparable ne se dit que des choses: une perle irréparable. Mais en vers un homme irréparable est une expression neuve et d'une hardiesse fort heureuse.

De ces palais peuplés d'étoiles
Ton âme aura franchi le seuil,
Du sein brillant de l'Empyrée
Tu verras la France éplorée
T'offrir des honneurs immortels,
Et le Temps, vengeur légitime,
De l'Envie expier le crime,
Et l'enchaîner à tes autels.

Moi, sur cette rive déserte
Et de talents et de vertus,
Je dirai, soupirant ma perte;
« Illustre ami, tu ne vis plus!
La nature est veuve et muette;
Elle te pleure! et son poëte
N'a plus d'elle que des regrets:
Ombre divine et tutélaire,
Cette lyre qui t'a su plaire,

Je la suspends à tes cyprès ! »>

Epigramme sur La Harpe,

QUI VENAIT DE PARLER DU GRAND CORNEILLE AVEC IRRÉVÉRENCE.

Ce petit homme, à son petit compas,
Veut sans pudeur asservir le génie;
Au bas du Pinde il trotte à petits pas,
Et croit franchir les sommets d'Aonie.
Au grand Corneille il a fait avanie`;
Mais, à vrai dire, on riait aux éclats

De voir ce nain mesurer un Atlas,
Et redoublant ses efforts de pygmée,
Burlesquement roidir ses petits bras
Pour étouffer si haute renommée.

ANDRIEUX.

(1759-1833.)

François-Guillaume-Jean-Stanislas Andrieux naquit à Strasbourg. Il fut successivement chef de bureau de la liquidation, juge au tribunal de cassation, membre du conseil des Cinq-Cents, puis du Tribunat; enfin, il fut nommé professeur de littérature à l'École polytechnique et au Collège de France. Il a exercé ces dernières fonctions jusqu'à sa mort. Andrieux était uni d'une étroite amitié avec Collin d'Harleville, qui avait, comme lui, un caractère plein de bonhomie, de douceur et de simplicité.

Andrieux a laissé des contes et des discours en vers, des comédies, un Cours de littérature, etc. Ses contes se distinguent par un ton parfait, un style élégant et facile, une douce et saine philosophie. Ses meilleures comédies sont les Étourdis, la Comédienne et le Souper d'Auteuil; il y a des scènes pleines de malice et de gaieté; et le style en est élégant et spirituel, mais sans force et sans couleur.

Le meunier Sans-Souci.

Ces malheureux rois,

Dont on dit tant de mal, ont du bon quelquefois.

J'en conviendrai sans peine, et ferai mieux encore;
J'en citerai pour preuve un trait qui les honore:
Il est de ce héros, de Frédéric second,

Qui, tout roi qu'il était, fut un penseur profond.
Il voulait se construire un agréable asile,
Où, loin d'une étiquette arrogante et futile,
Il pût, non végéter, boire et courir les cerfs,
Mais des faibles humains méditer les travers,
Et, mêlant la sagesse à la plaisanterie,
Souper avec d'Argens, Voltaire et Lamettrie.

Sur le riant coteau par le prince choisi,
S'élevait le moulin du meunier Sans-Souci.
Le vendeur de farine avait pour habitude
D'y vivre au jour le jour, exempt d'inquiétude;
Et, de quelque côté que vînt souffler le vent,
Il y tournait son aile, et s'endormait content.

Fort bien achalandé, grâce à son caractère,
Le moulin prit le nom de son propriétaire;
Et des hameaux voisins les filles, les garçons,
Allaient à Sans-Souci pour danser aux chansons.
Sans-Souci!... ce doux nom d'un favorable augure
Devait plaire aux amis des dogmes d'Épicure.
Frédéric le trouva conforme à ses projets,
Et du nom d'un moulin honora son palais.

Hélas! est-ce une loi sur notre pauvre terre

Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre, Que la soif d'envahir et d'étendre ses droits

Tourmentera toujours les meuniers et les rois

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