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donné fa fille. Au moment où la piece commence il y a fix ans que tout cela s'eft paffé. Le faux Abdérame, époux de Zuleima, a un fils âgé de cinq ans.

Grenade eft affiégée par l'armée de Ferdinand, roi d'Arragon. Abdelazis, fous le nom & dans le rang d'Abdérame, eft le défenfeur & le vengeur des Maures. Il entre fur la scene, fuivi de fes foldats, avec l'appareil de la victoire. Mais un chagrin fecret le confume. Il fe reproche toujours fon artifice. Le remord le dévore. Cadors'étonne de fa trifteffe dans un jour de triomphe. Il luirépond.

Vous voyez la victoire en foldat, Mais je la vois en chef qui veille fur l'Etat, Qui, par le fort, jamais ne fe laiffe furprendre, Et fçait ce qu'un vaincu peut encore entreprendre.

Eh! d'ailleurs quand mon bras répare vos malheurs,

Je puis être occupé de mes propres douleurs : Les chagrins quelquefois s'attachent à la gloire, Et l'on n'eft pas toujours heureux par la victoire.

Sa femme & fon beau-pere tâchent de pénétrer la caufe de fon chagrin. Leurs efforts font inutiles. Voilà tout le fond du premier acte. Nulle expofition, nul intérêt, point de caractere marqué, ni même annoncé. La verfification en fait tout le mérite. Elle a de l'éclat, de l'élégance, & de la nobleffe. Le fecond acte, prefque tout entier, n'est pas plus intéreffant; l'action n'y fait pas un

pas jufqu'au moment où Naffer arrive. Il jette aux genoux de Zuleima. Elle croit qu'il implore une grace; elle le releve avec

bonté.

NASSER.

Une grace! Naffer ne paroît à vos yeux, Que pour vous apporter les éternels adieux D'un héros dont mes foins ont guidé la jeuneffe, Et qui, fi le trépas n'eût trompé fa tendreffe, Eut confacré fa vie au bonheur de vos jours. C'est lui qui m'a chargé...

ZULEYM A.

Ciel ! bù tend ce difcours ?

J'excufe votre erreur, vieillard: mais fur la terre
Nulhomme j'en excepte Abdérame & mon pere)
N'eûr, quand même la mort viendroit fermer fes
1 yeux, L'ammi

Le droit de m'adreffer ces indifcrets adieux.
Vous voyez Almanzor; la fortune ennemie
D'Abderáme du moins a refpecté la vie;
Et...

NASSE R.

Lui! depuis trois ans je pleure fon trépas.

ZULLIM A.

Que dit-il? Abdérame...

Il vit.

NASSER.

Eft mort entre mes bras. ALMAN ZOR.

ZULEIMA.

Depuis fix ans le plus faint hymenée Au fort de ce héros unit ma destinée!

NASSE R.

Cet époux, quelqu'il foit, n'eft qu'un vil impofteur.

J ZULEM A.

O du plus noir menfonge abominable auteur ! Il vient regarde.

NASSE R.

Ciel! ma furprise eft extrême. Je crois voir en effet Abdérame lui-même. Ici commence un intérêt de curiofité. Le fpectateur attend avec incertitude comment Abdelazis fe juftifiera de l'accufation du vieillard. Sçavez-vous, lui dit le roi, ce que vous hazardez.

NASSE R.

1 : 2.

Oui, Seigneur, je le fçais: je hazarde ma tête, Mais je fais mon devoir.

Abdelazis cherche à le tromper comme a trompé les autres par la reflemblance. Mais Naffer eft trop für de la vérité. Il a vu mourir Abdérame dans fes bras. Il s'écrie:

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Pour démafquer un traître & tromper fes efforts, Du fond de leur tombeau puis-je évoquer les

morts,?

Le faux Abderdme fe raffure: s'il ne peut en impofer à Naffer, if confirme dans leur erreur Zuleima & fon pere. La perte de la lettre du véritable Abdérame acheve de faire regarder Naffer comme un impofteur. On l'entraîne dans un cachot. On le condamne à perdre la vie. Au troifieme acte, Abdelazis, coupable par un excès mais plein de générofité, délivre fon accufateur, & le fait partir. Cette fcene eft fort belle: elle fait honneur au talent deM. de Murville.

d'amour

1

Cependant la lettre perdue par Naffer

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eft retrouvée par les troupes de Ferdinand, qui la fait remettre au roi. Elle confirme le récit de Naffer. On reconnoît le feing d'Abdérame. Abdelazis, confondu, n'a plus rien a repondre. Il s'avoue coupable.

Mon crime eft, je le sçais, impardonnable, affreux;

Mais tel eft men deftin, que ce cœur qui l'abhorre

Certain du même prix, le commettroit encore.

Almanzor veut que le Divan s'affemble prononce fon arrêt, &, en attendant, le fait conduire en prifon. Abdélazis demande que fon fils l'y accompagne. Almanzor y

confent.

Oui, va, je te hais trop, pour que je te ravifle
Cette trifte faveur, qui fera ton fupplice;
Et le coupable fruit d'un hymen ufurpé,
Du coup dont tu mourras, doit être auffi frappé.

Le théatre, au quatrieme a&e, repréfente une prifon. Le prince eft appuyé fur une table. Son fils eft auprès de lui, endormi fur un fiege. Nous croyons faire plaifir à nos lecteurs, & honneur à M. de Mur-ville, en tranfcrivant ce monologue.

Malheureux! voilà donc où l'amour m'a conduit!
Le crime, qu'en ces lieux nul efpoir ne féduir
Subit fous l'œil vengeur de fon juge fuprême
L'inexorable arrêt de fe haïr lui-même.
Quel fupplice! Barbare! eh! de quoi te
plains - tu?

Le trouble, les remords de ton cœur combattu
Sout-ils à comparer aux angcifles terribles

1

que reffent ton épouse en ces momens terribles?
Vois cette infortunée à ce récit fatal
Détourner fes regards de fon lit nuptial.
Entends Zuleima trop tard défabufée
Maudire l'impofteur dont la foi fuppofée
Ofa lui dérober la fienne pour retour
Et pour tromper l'hymen, fcut mentir à l'amour.
Rsgarde cet enfant, cette tendre victime,
Qu'en fon fein vertueux a fait naître ton crime
-Et qui, lui rappellant la fource dont tu fors
A fes chaftes côtés croiffoit pour les remords.
Que fon repos eft doux ! comme avec innocence
Il fourit en dormant aux fonges de l'enfance !
Le malheur, le trépas l'attendent au réveil.

Voilà de l'élocution tragique. Le perfonnage dit bien ce qu'il doit dire, & le dit en beaux vers. L'apostrophe à l'enfant eft pleine de douceur & de charme."

Zuleima, qui d'abord ne voit dans l'imposture du faux Abderame que le crime d'un ambitieux, qui a tout ofé pour obtenir un trône , partage l'indignation & le defir de vengeance de fon pere. Mais elle ne peut oublier qu'Abdelazis fut fon époux : elle veut lui dérober la honte du fupplice. Elle fe rend dans la prifon pour le poignarder & mourir après lui. C'eft là que fe trouve l'hiftorique de l'avant-fcene, qui devoit fervir de fondement à tout l'ouvrage, Peutêtre est-ce le défaut du fujet plutôt que de l'auteur. Celui-ci a du moins le mérite de l'avoir développé au quatrieme acte' avec beaucoup d'interêt. Quoi qu'il en foit, voici la fcene, qui est très-belle & très – tou chante

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