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l'emportant sur la sagesse dans l'un et dans l'autre cas, elle a sur-tout manifestement le dessus dans la semaine où je m'appelle sage; car alors le fond de toutes les matières que je traite, quelque raisonnable qu'il puisse être en soi, se trouve presque entièrement absorbé par les futilités et les extravagances dont j'ai toujours soin de l'habiller. Pour mon ame folle, elle est bien plus sage que cela; car, bien qu'elle tire toujours de son propre fonds le texte sur lequel elle argumente, elle met tant d'art, tant d'ordre, et tant de force dans ses raisonnements et dans ses preuves, qu'une folie ainsi déguisée ne diffère presque en rien de la sagesse. Sur ces idées, que je garantis justes, ou à-peu-près, je trouve un petit problême à proposer à mes lecteurs, et je les prie de vouloir bien décider laquelle c'est de mes deux ames qui a dicté cette feuille.

Qu'on ne s'attende donc point à ne voir ici que de sages et graves dissertations: on y en verra sans doute; et où seroit la variété ? Mais je ne garantis point du tout qu'au milieu de la plus profonde métaphysique il ne me prenne tout d'un coup une saillie extravagante, et qu'emboîtant mon lecteur dans l'Icosaedre de Bergerac je ne le transporte tout d'un coup dans la lune, tout comme, à propos de l'Arioste et de l'Hippogriffe, je pourrois fort bien lui citer Platon, Locke, ou Malebranche.

Au reste, toutes matières seront de ma compétence: j'étends ma juridiction indistinctement

sur tout ce qui sortira de la presse ; je m'arrogerai même, quand le cas y écherra, le droit de révision sur les jugements de mes confrères; et, non content de me soumettre toutes les imprimeries de France, je me propose aussi de faire, de temps en temps, de bonnes excursions hors du royaume, et de me rendre tributaires l'Italie, la Hollande, et même l'Angleterre, chacune à son tour, promettant, foi de voyageur, la véracité la plus exacte dans les actes que j'en rapporterai.

Quoique le lecteur se soucie sans doute assez peu des détails que je lui fais ici de moi et de mon caractère, j'ai résolu de ne pas lui en faire grace d'une seule ligne; c'est autant pour son profit que pour ma commodité que j'en agis ainsi. Après avoir commencé par me persifler moi-même, j'aurai tout le temps de persifler les autres; j'ouvrirai les yeux, j'écrirai ce que je vois, et l'on trouvera que je me serai assez bien acquitté de ma tâche.

Il me reste à faire excuse d'avance aux auteurs que je pourrois maltraiter à tort, et au public de tous les éloges injustes que je pourrois donner aux ouvrages qu'on lui présente : ce ne sera jamais volontairement que je commettrai de pareilles erreurs. Je sais que l'impartialité dans un journaliste ne sert qu'à lui faire des enne mis de tous les auteurs, pour n'avoir pas dit, au gré de chacun d'eux, assez de bien de lui, ni assez de mal de ses confrères; c'est pour cela

que je veux toujours rester inconnu. Ma grande folie est de vouloir ne consulter que la raison et ne dire que la vérité de sorte que, suivant l'étendue de mes lumières et la disposition de mon esprit, on pourra trouver en moi, tantôt un critique plaisant et badin, tantôt un censeur sévère et bourru, non pas un satirique amer ni un puéril adulateur. Les jugements peuvent être faux, mais le juge ne sera jamais inique.

LA REINE

FANTASQUE,

CONTE.

Il y avoit autrefois un roi qui aimoit son peuple... Cela commence comme un conte de fée, interrompit le druïde. C'en est un aussi, répondit Jalamir. Il y avoit donc un roi qui aimoit son peuple, et qui, par conséquent, en étoit adoré. Il avoit fait tous ses efforts pour trouver des ministres aussi bien intentionnés que lui; mais, ayant enfin reconnu la folie d'une pareille recherche, il avoit pris le parti de faire par luimême toutes les choses qu'il pouvoit dérober à leur malfaisante activité. Comme il étoit fort entêté du bizarre projet de rendre ses sujets heureux, il agissoit en conséquence; et une conduite si singulière lui donnoit parmi les grands un ridicule ineffaçable. Le peuple le bénissoit; mais, à la cour, il passoit pour un fou. A cela près, il ne manquoit pas de mérite: aussi s'appeloit-il Phénix.

Si ce prince étoit extraordinaire, il avoit une femme qui l'étoit moins. Vive, étourdie, capricieuse, folle par la tête, sage par le cœur, bonne par tempérament, méchante par caprice; voilà,

en quatre mots, le portrait de la reine. Fantas: que étoit son nom : nom célèbre qu'elle avoit reçu de ses ancêtres en ligne féminine, et dont elle soutenoit dignement l'honneur. Cette personne si illustre et si raisonnable étoit le charme et le supplice de son cher époux ; car elle l'aimoit aussi fort sincèrement, peut-être à cause de la facilité qu'elle avoit à le tourmenter. Malgré l'amour réciproque qui régnoit entre eux, ils passèrent plusieurs années sans pouvoir obtenir aucun fruit de leur union. Le roi en étoit pénétré de chagrin, et la reine s'en mettoit dans des impatiences dont ce bon prince ne se ressentoit pas tout seul : elle s'en prenoit à tout le monde de ce qu'elle n'avoit point d'enfants. Il n'y avoit pas un courtisan à qui elle ne demandât étourdiment quelque secret pour en avoir, et qu'elle ne rendît responsable du mauvais succès.

Les médecins ne furent point oubliés; car la reine avoit pour eux une docilité peu commune, et ils n'ordonnoient pas une drogue qu'elle ne fit préparer très soigneusement, pour avoir le plaisir de la leur jeter au nez à l'instant qu'il la falloit prendre. Les derviches eurent leur tour; il fallut recourir aux neuvaines, aux vœux, surtout aux offrandes. Et malheur aux desservants des temples où sa majesté alloit en pélerinage: elle fourrageoit tout; et, sous prétexte d'aller respirer un air prolifique, elle ne manquoit jamais de mettre sens dessus dessous toutes les cellules des moines. Elle portoit aussi leurs re

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