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dit-il, tu connois mon cœur: j'aime Elmacin, il eût été la consolation de mes vieux jours; mais le salut de ton peuple et l'honneur de ton père doivent l'emporter sur lui. Fais ton devoir, ma fille, et sauve-moi de l'opprobre parmi mes frères; car j'ai conseillé tout ce qui s'est fait. Axa baisse la tête, et soupire sans répondre; mais enfin levant les yeux elle rencontre ceux de son vénérable père. Ils ont plus dit que sa bouche. Elle prend son parti. Sa voix foible et tremblante prononce à peine dans un foible et dernier adieu le nom d'Elmacin qu'elle n'ose regarder; et, se retournant à l'instant demi-morte, elle tombe dans les bras du Benjamite.

:

Un bruit s'excite dans l'assemblée. Mais Elmacin s'avance et fait signe de la main. Puis élevant la voix : Écoute, ô Axa, lui dit-il, mon vœu solennel. Puisque je ne puis être à toi, je ne serai jamais à nulle autre le seul souvenir de nos jeunes ans, que l'innocence et l'amour ont embellis, me suffit. Jamais le fer n'a passé sur ma tête, jamais le vin n'a mouillé mes lévres; mon corps est aussi pur que mon cœur : prêtres du Dieu vivant je me voue à son service; recevez le Nazaréen du Seigneur.

Aussitôt, comme par une inspiration subite, toutes les filles, entraînées par l'exemple d'Axa, imitent son sacrifice; et, renonçant à leurs premières amours, se livrent aux Benjamites qui les suivoient. A ce touchant aspect il s'élève un

cri de joie au milieu du peuple : Vierges d'Éphraïm, par vous Benjamin va renaître. Béni soit le Dieu de nos pères ! il est encore des vertus en Israël.

LETTRES

A SARA.

Jam nec spes animi credula mutui.

HOR.

AVERTISSEMENT.

On comprendra sans peine comment une espèce de défi a pu faire écrire ces quatre lettres. On demandoit si un amant d'un demi-siècle pouvoit ne pas faire rire. Il m'a semblé qu'on pouvoit se laisser surprendre à tout âge; qu'un barbon pouvoit même écrire jusqu'à quatre lettres d'amour, et intéresser encore les honnêtes gens, mais qu'il ne pouvoit aller jusqu'à six sans se déshonorer. Je n'ai pas besoin de dire ici mes raisons; on peut les sentir en lisant ces lettres: après leur lecture, on en jugera.

LETTRES

A SARA.

PREMIÈRE LETTRE.

Tu lis dans mon cœur, jeune Sara; tu m'as pénétré, je le sais, je le sens. Cent fois le jour ton œil curieux vient épier l'effet de tes charmes. A ton air satisfait, à tes cruelles bontés, à tes méprisantes agaceries, je vois que tu jouis en secret de ma misère; tu t'applaudis avec un souris moqueur du désespoir où tu plonges un malheureux, pour qui l'amour n'est plus qu'un opprobre. Tu te trompes, Sara; je suis à plaindre, mais je ne suis point à railler : je ne suis point digne de mépris, mais de pitié, parceque je ne m'en impose ni sur ma figure ni sur mon âge, qu'en aimant je me sens indigne de plaire, et que la fatale illusion qui m'égare m'empêche de te voir telle que tu es, sans m'empêcher de me voir tel que je suis. Tu peux m'abuser sur tout, hormis sur moi-même : tu peux me persuader tout au monde, excepté que tu puisses partager mes feux insensés. C'est le pire de mes supplices de me voir comme tu me vois, tes trompeuses caresses ne sont pour moi qu'une humiliation

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