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L'horreur des antres sauvages M. M. Rey.Peut me déplaire avec toi.

Éd. de Gen. (Eh bien ! des déserts sauvages

Me déplairoient avec toi.

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Qu'A m'égarer dans ces bocages
Mon cœur goûte de volupté!
Que je me plais sous ces ombrages!
Que j'aime ces flots argentés!
Douce et charmante rêverie,
Solitude aimable et chérie,
Puissiez-vous toujours me charmer!
De ma triste et lente carrière
Rien n'adouciroit la misère,
Si je cessois de vous aimer.
Fuyez de cet heureux asile,
Fuyez de mon ame tranquille,
Vains et tumultueux projets;
Vous pouvez promettre sans cesse
Et le bonheur et la sagesse,
Mais vous ne les donnez jamais.
Quoi! l'homme ne pourra-t-il vivre,

A moins

que son cœur ne se livre
Aux soins d'un douteux avenir?
Et si le temps coule si vite,
Au lieu de retarder sa fuite,
Faut-il encor la prévenir?

Oh! qu'avec moins de prévoyance
La vertu, la simple innocence,
Font des heureux à peu de frais!
Si peu de bien suffit au sage,
Qu'avec le plus léger partage
Tous ses desirs sont satisfaits.
Tant de soins, tant de prévoyance,
Sont moins des fruits de la prudence
Que des fruits de l'ambition.
L'homme content du nécessaire
Craint peu la fortune contraire,
Quand son cœur est sans passion.
Passions, source de délices,
Passions, source de supplices;
Cruels tyrans, doux séducteurs,
Sans vos fureurs impétueuses,
Sans vos amorces dangereuses,
La paix seroit dans tous les cœurs.
Malheur au mortel méprisable
Qui dans son ame insatiable
Nourrit l'ardente soif de l'or!
Que du vil penchant qui l'entraîne
Chaque instant il trouve la peine
Au fond même de son trésor!
Malheur à l'ame ambitieuse

De qui l'insolence odieuse

Veut asservir tous les humains!

Qu'à ses rivaux toujours en butte,

L'abyme apprêté pour sa chute
Soit creusé de ses propres mains!
Malheur à tout homme farouche,
A tout mortel que rien ne touche
Que sa propre félicité!
Qu'il éprouve dans sa misère,
De la part de son propre frère,
La même insensibilité !

le crime

Sans doute un cœur né pour
Est fait pour être la victime
De ces affreuses passions;
Mais jamais du ciel condamnée
On ne vit une ame bien née
Céder à leurs séductions.

Il en est de plus dangereuses,
De qui les amorces flatteuses
Déguisent bien mieux le poison,
Et qui toujours, dans un cœur tendre,
Commencent à se faire entendre
En faisant taire la raison :

Mais du moins leurs leçons charmantes
N'imposent que d'aimables lois;
La haine et ses fureurs sanglantes
S'endorment à leur douce voix.
Des sentiments si légitimes
Seront-ils toujours combattus?
Nous les mettons au rang des crimes,
Ils devroient être des vertus.
Pourquoi de ces penchants aimables
Le ciel nous fait-il un tourment?
Il en est tant de plus coupables
Qu'il traite moins sévèrement!
O discours trop remplis de charmes,

Est-ce à moi de vous écouter?
Je fais avec mes propres armes
Les maux que je veux éviter.
Une langueur enchanteresse
Me poursuit jusqu'en ce séjour;
J'y veux moraliser sans cesse,
Et toujours j'y songe à l'amour.
Je sens qu'une ame plus tranquille,
Plus exempte de tendres soins,
Plus libre en ce charmant asile,
Philosopheroit beaucoup moins.
Ainsi du feu qui me dévore
Tout sert à fomenter l'ardeur:

Hélas! n'est-il

pas temps encore Que la paix règne dans mon cœur? Déja de mon septième lustre Je vois le terme s'avancer; Déja la jeunesse et son lustre Chez moi commence à s'effacer. La triste et sévère sagesse Fera bientôt fuir les amours, Bientôt la pesante vieillesse Va succéder à mes beaux jours. Alors les ennuis de la vie Chassant l'aimable volupté, On verra la philosophie Naître de la nécessité; On me verra, par jalousie, Prêcher mes caduques vertus, Et souvent blâmer par envie Les plaisirs que je n'aurai plus. Mais malgré les glaces de l'âge, Raison, malgré ton vain effort,

Le sage a souvent fait naufrage
Quand il croyoit toucher au port.

O sagesse, aimable chimère,
Douce illusion de nos cœurs,
C'est sous ton divin caractère
Que nous encensons nos erreurs.
Chaque homme t'habille à sa mode;
Sous le masque le plus commode
A leur propre félicité

Ils déguisent tous leur foiblesse,
Et donnent le nom de sagesse
Au penchant qu'ils ont adopté.
Tel, chez la jeunesse étourdie,
Le vice instruit par la folie,
Et d'un faux titre revêtu,
Sous le nom de philosophie,
Tend des pièges à la vertu.
Tel, dans une route contraire,
On voit le fanatique austère
En guerre avec tous ses desirs,
Peignant Dieu toujours en colère,
Et ne s'attachant, pour lui plaire,
Qu'à fuir la joie et les plaisirs.
Ah! s'il existoit un vrai sage,
Que, différent en son langage,
Et plus différent en ses mœurs,
Ennemi des vils séducteurs,
D'une sagesse plus aimable,
D'une vertu plus sociable,
Il joindroit le juste milieu
A cet hommage pur et tendre

Que tous les cœurs auroient dû rendre
Aux grandeurs, aux bienfaits de Dieu!

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