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pour moi, je n'ai su comment le réduire; et qu'au moindre mécontentement il couroit chercher un asile inviolable auprès de son papa, auquel peut-être il ne manquoit pas ensuite de conter les choses comme il lui plaisoit.

Heureusement le mal n'est pas grand. A l'âge où il est, nous avons eu le loisir de nous tâtonner, pour ainsi dire, réciproquement, sans que ce retard ait pu porter encore un grand préjudice à ses progrès, que d'ailleurs la délicatesse de sa santé n'auroit pas permis de pousser beaucoup (1); mais comme les mauvaises habitudes, dangereuses à tout âge, le sont infiniment plus à celui-là, il est temps d'y mettre ordre sérieusement, non pour le charger d'études et de devoirs, mais pour lui donner à bonne heure un pli d'obéissance et de docilité qui se trouve tout acquis quand il en sera temps.

Nous approchons de la fin de l'année : vous ne sauriez, monsieur, prendre une occasion plus naturelle que le commencement de l'autre pour faire un petit discours à monsieur votre fils, à la portée de son âge, qui, lui mettant devant les yeux les avantages d'une bonne éducation, et les inconvénients d'une enfance négligée, le dispose à se prêter de bonne grace à ce que la connoissance de son intérêt bien entendu nous fera dans la suite exiger de lui :

(1) Il étoit fort languissant quand je suis entré dans la maison; aujourd'hui sa santé s'affermit visiblement.

après quoi vous auriez la bonté de me déclarer en sa présence que vous me rendez le dépositaire de votre autorité sur lui, et que vous m'ac cordez sans réserve le droit de l'obliger à remplir son devoir par tous les moyens qui me paroîtront convenables; lui ordonnant, en conséquence, de m'obéir comme à vous-même, sous peine de votre indignation. Cette déclaration, qui ne sera que pour faire sur lui une plus vive impression, n'aura d'ailleurs d'effet que conformément à ce que vous aurez pris la peine de me prescrire en particulier.

Voilà, monsieur, les préliminaires qui me paroissent indispensables pour s'assurer que les soins que je donnerai à M. votre fils ne seront pas des soins perdus. Je vais maintenant tracer l'esquisse de son éducation, telle que j'en avois conçu le plan sur ce que j'ai connu jusqu'ici de son caractère et de vos vues. Je ne le propose point comme une règle à laquelle il faille s'attacher, mais comme un projet qui, ayant besoin d'être refondu et corrigé par vos lumières et par celles de M. l'abbé de...., servira seulement à lui donner quelque idée du génie de l'enfant à qui nous avons affaire. Et je m'estimerai trop heureux que M. votre frère veuille bien me guider dans les routes que je dois tenir : il peut être assuré que je me ferai un principe inviolable de suivre entièrement, et selon toute la petite por tée de mes lumières et de mes talents, les routes

qu'il aura pris la peine de me prescrire avec votre agrément.

Le but que l'on doit se proposer dans l'éducation d'un jeune homme, c'est de lui former le le jugement et l'esprit ; et cela dans l'ordre que je les nomme. La plupart des maîtres, les pédants sur-tout, regardent l'acquisition et l'entassement des sciences comme l'unique objet d'une belle éducation, sans penser que souvent, comme dit Molière,

Un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant.

D'un autre côté, bien des pères, méprisant assez tout ce qu'on appelle études, ne se soucient guère que de former leurs enfants aux exercices du corps et à la connoissance du monde. Entre ces extrémités nous prendrons un juste milieu pour conduire M. votre fils. Les sciences ne doivent pas être négligées; j'en parlerai tout-à-l'heure ; Mais aussi elles ne doivent pas précéder les mœurs, sur-tout dans un esprit petillant et plein de feu, peu capable d'attention jusqu'à un certain âge, et dont le caractère se trouvera décidé très à bonne heure. A quoi sert à un homme le savoir de Varron, si d'ailleurs il ne sait pas penser juste? Que s'il a eu le malheur de laisser corrompre son cœur, les sciences sont dans sa tête. comme autant d'armes entre les mains d'un furieux. De deux personnes également engagées dans le vice, le moins habile fera toujours le

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moins de mal; et les sciences, même les plus spéculatives et les plus éloignées en apparence de la société, ne laissent pas d'exercer l'esprit, et de lui donner, en l'exerçant, une force dont il est facile d'abuser dans le commerce de la vie, quand on a le cœur mauvais.

Il y a plus à l'égard de M. de Sainte-Marie. Il a conçu un dégoût si fort contre tout ce qui porte le nom d'étude et d'application, qu'il faudra beaucoup d'art et de temps pour le détruire; et il seroit fâcheux que ce temps-là fût perdu pour lui; car il у auroit trop d'inconvénients à le contraindre; et il vaudroit encore mieux qu'il ignorât entièrement ce que c'est qu'études et que sciences, que de ne les connoître que pour les détester.

A l'égard de la religion et de la morale, ce n'est point par la multiplicité des préceptes qu'on pourra parvenir à lui en inspirer des principes solides qui servent de règle à sa conduite pour le reste de sa vie. Excepté les éléments à la portée de son âge, on doit moins songer à fatiguer sa mémoire d'un détail de lois et de devoirs, qu'à disposer son esprit et son cœur à les connoître et à les goûter, à mesure que l'occasion se présentera de les lui développer; et c'est parlà même que ces préparatifs sont tout-à-fait à la portée de son âge et de son esprit, parcequ'ils ne renferment que des sujets curieux et intéressants sur le commerce civil, sur les arts et les métiers, et sur la manière variée dont la pro

vidence a rendu tous les hommes utiles et nécessaires les uns aux autres. Ces sujets, qui sont plutôt des matières de conversations et de pro-v menades que d'études réglées, auront encore divers avantages dont l'effet me paroît infaillible.

Premièrement, n'affectant point désagréablement son esprit par des idées de contrainte et d'étude réglée, et n'exigeant pas de lui une attention pénible et continue, ils n'auront rien de nuisible à sa santé. En second lieu, ils accoutumeront à bonne heure son esprit à la réflexion et à considérer les choses par leurs suites et par leurs effets. Troisièmement, ils le rendront curieux et lui inspireront du goût pour les sciences naturelles.

Je devrois ici aller au-devant d'une impression qu'on pourroit recevoir de mon projet, en s'imaginant que je ne cherche qu'à m'égayer moimême et à me débarrasser de ce que les leçons ont de sec et d'ennuyeux, pour me procurer une occupation plus agréable. Je ne crois pas, monsieur, qu'il puisse vous tomber dans l'esprit de penser ainsi sur mon compte. Peut-être jamais homme ne se fit une affaire plus importante que celle que je me fais de l'éducation de messieurs vos enfants, pour peu que vous veuilliez seconder mon zèle. Vous n'avez pas eu lieu de vous apercevoir jusqu'à présent que je cherche à fuir le travail: mais je ne crois point que, pour se donner un air de zèle et d'occupation, un maître doive affecter de surcharger ses élèves

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