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différence entre le vol manifeste et le vol non manifeste 1.

Chez les Romains, l'esclave qui avoit volé étoit précipité de la roche Tarpéienne. Là il n'étoit point question des institutions lacédémoniennes ; les lois de Lycurgue sur le vol n'avoient point été faites pour les esclaves; c'étoit les suivre que de s'en écarter en ce point.

A Rome, lorsqu'un impubère avoit été surpris dans le vol, le préteur le faisoit battre de verges à sa volonté, comme on faisoit à Lacédémone. Tout ceci venoit de plus loin. Les Lacédémoniens avoient tiré ces usages des Crétois; et Platon', qui veut prouver que les institutions des Crétois étoient faites pour la guerre, cite celle-ci : « La fa« culté de supporter la douleur dans les combats particuliers, et dans les larcins qui obligent de << se cacher. »

Comme les lois civiles dépendent des lois politiques, parce que c'est toujours pour une société qu'elles sont faites; il seroit bon que, quand on veut porter une loi civile d'une nation chez une autre, on examinât auparavant si elles ont toutes les deux les mêmes institutions et le même droit politique.

1 Conférez ce que dit Plutarque, Vie de Lycurgue, avec les lois du Digeste, au titre de furtis ; et les Institutes, liv. 1v, tit. 1, § 1, 2 et 3 Des Lois, liv. 1.

Ainsi, lorsque les lois sur le vol passèrent des Crétois aux Lacédémoniens, comme elles y passèrent avec le gouvernement et la constitution même, ces lois furent aussi sensées chez un de ces peuples qu'elles l'étoient chez l'autre. Mais lorsque de Lacédémone elles furent portées à Rome, comme elles n'y trouvèrent pas la même constitution, elles y furent toujours étrangères, et n'eurent aucune liaison avec les autres lois civiles des Romains.

CHAPITRE XIV.

Qu'il ne faut point séparer les lois des circonstances
dans lesquelles elles ont été faites.

Une loi d'Athènes vouloit que, lorsque la ville étoit assiégée, on fît mourir tous les gens inutiles. C'étoit une abominable loi politique, qui étoit une suite d'un abominable droit des gens. Chez les Grecs, les habitants d'une ville prise perdoient la liberté civile, et étoient vendus comme esclaves; la prise d'une ville emportoit son entière destruction: et c'est l'origine non seulement de ces défenses opiniâtres et de ces actions dénaturées, mais encore de ces lois atroces que l'on fit quelquefois.

* Inutilis ætas occidatur. Syrian in Hermog.

Les lois1 romaines vouloient que les médecins pussent être punis pour leur négligence ou pour leur impéritie. Dans ces cas elles condamnoient à la déportation le médecin d'une condition un peu relevée, et à la mort celui qui étoit d'une condition plus basse. Par nos lois il en est autrement. Les lois de Rome n'avoient pas été faites dans les mêmes circonstances que les nôtres : à Rome s'ingéroit de la médecine qui vouloit; mais, parmi nous, les médecins sont obligés de faire des études et de prendre certains grades; ils sont donc censés connoître leur art.

CHAPITRE XV.

Qu'il est bon quelquefois qu'une loi se corrige elle-même.

La loi des douze tables permettoit de tuer le voleur de nuit, aussi bien que le voleur de jour qui, étant poursuivi, se mettoit en défense: mais elle vouloit que celui qui tuoit le voleur criât et appelât les citoyens 3; et c'est une chose que les lois qui permettent de se faire justice soi-même doivent toujours exiger. C'est le cri de l'innocence

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2

La loi Cornelia, de Sicariis; Instit., liv. 1v, tit. 111, de lege Aquilia,

Voyez la loi Iv, ff. ad leg. Aquil.

3 Ibid. Voyez le décret de Tassillon, ajouté à la loi des Bavarois,

de popularibus leg., art. 4.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. III.

2

qui, dans le moment de l'action, appelle des témoins, appelle des juges. Il faut que le peuple prenne connoissance de l'action, et qu'il en prenne connoissance dans le moment qu'elle a été faite, dans un temps où tout parle, l'air, le visage, les passions, le silence, et où chaque parole condamne ou justifie. Une loi qui peut devenir si contraire à la sûreté et à la liberté des citoyens doit être exécutée en la présence des citoyens.

CHAPITRE XVI.

Choses à observer dans la composition des lois.

Ceux qui ont un génie assez étendu pour pouvoir donner des lois à leur nation ou à une autre doivent faire de certaines attentions sur la manière de les former.

Le style en doit être concis. Les lois des douze tables sont un modèle de précision : les enfants les apprenoient par cœur 1. Les novelles de Justinien sont si diffuses qu'il fallut les abréger 2.

Le style des lois doit être simple; l'expression directe s'entend toujours mieux que l'expression réfléchie. Il n'y a point de majesté dans les lois du bas empire; on y fait parler les princes comme

Ut carmen necessarium. Cicéron, de legibus, liv. 1I.
C'est l'ouvrage d'Irnerius.

des rhéteurs. Quand le style des lois est enflé, on ne les regarde que comme un ouvrage d'ostentation.

Il est essentiel que les paroles des lois réveillent chez tous les hommes les mêmes idées. Le cardinal de Richelieu convenoit que l'on pouvoit accuser un ministre devant le roi'; mais il vouloit que l'on fût puni si les choses qu'on prouvoit n'étoient pas considérables: ce qui devoit empêcher tout le monde de dire quelque vérité que ce fut contre lui, puisqu'une chose considérable est entièrement relative, et que ce qui est considérable pour quelqu'un ne l'est pas pour un autre.

La loi d'Honorius punissoit de mort celui qui achetoit comme serf un affranchi, ou qui auroit voulu l'inquiéter 2. Il ne falloit point se servir d'une expression si vague: l'inquiétude que l'on cause à un homme dépend entièrement du degré de sa sensibilité.

Lorsque la loi doit faire quelque vexation, il faut, autant qu'on le peut, éviter de la faire à prix d'argent. Mille causes changent la valeur de la monnoie, et avec la même dénomination on n'a plus la même chose. On sait l'histoire de cet

1 Testament politique.

> Aut qualibet manumissione donatum inquietare voluerit. Ap pendice au code Théodosien, dans le tome 1 des QEuvres du P. Sirmond, pag. 737.

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