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premiere qui nous sont conservés dans le Médecin malgré lui, et on trouve dans la Jalousie de Bar bouillé un canevas, quoiqu'informe, du troisieme acte de George-Dandin.

La premiere piece réguliere en cinq actes qu'il composa fut l'Etourdi. Il représenta cette comédie à Lyon en 1653. Il y avait dans cette ville une troupe de comédiens de campagne, qui fut abandonnée dès que celle de Moliere parut.

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Quelques acteurs de cette ancienne troupe se joi-~ gnirent à Moliere; et il partit de Lyon pour les états de Languedoc avec une troupe assez complete, com-! posée principalement de deux freres nommés GrosRené, de Duparc, d'un pâtissier de la rue Saint-Honoré, de la Duparc, de la Béjart et de la de Brie.

Le prince de Conti, qui tenait les états de Langue. doc à Béziers, se souvint de Moliere, qu'il avait vu au college; il lui donna une protection distinguée. I} jona devant lui l'Etourdi, le Dépit amoureux, et les Précieuses ridicules.

Cette petite piece des Précieuses, faite en province, prouve assez que son auteur n'avait eu en vue que les ridicules des provinciales: mais il se trouva depuis que l'ouvrage pouvait corriger et la cour et la ville..

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Moliere avait alors trente-quatre ans; c'est l'âge où Corneille fit le Cid. Il est bien difficile de réussir avant cet âge dans le genre dramatique, qui exige la connaissance du monde et du cœur humain.

On prétend que le prince de Conti voulut alors faire Moliere son secrétaire, et qu'heureusement pour la gloire du théâtre francais Moliere eut le courage de préférer son talent à un poste honorable. Si ce fait est vrai, il fait également honneur au prince et au comédien.

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Après avoir couru quelque temps toutes les pro

vinces, et avoir joué à Grenoble, à Lyon, à Rouen, il vint enfin à Paris en 1658. Le prince de Conti lui donna accès auprès de Monsieur, frere unique du roi Louis XIV. Monsieur le présenta au roi et à la reine mere. Sa troupe et lui représenterent la même année devant leurs majestés la tragédie de Nicomede sur un théâtre élevé par ordre du roi dans la salle des gardes du vieux Louvre.

Il y avait depuis quelque temps des comédiens établis à l'hôtel de Bourgogne. Ces comédiens assisterent au début de la nouvelle troupe. Moliere, après la représentation de Nicomede, s'avança sur le bord du théâtre, et prit la liberté de faire au roi un discours, par lequel il remerciait sa majesté de son indulgence, et louait adroitement les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, dont il devait craindre la jalousie : il finit en demandant la permission de donner une piece d'un acte qu'il avait jouée en province.

La mode de représenter ces petites farces après de grandes pieces était perdue à l'hôtel de Bourgogne. Le roi agréa l'offre de Moliere, et l'on joua dans l'instant le Docteur amoureux. Depuis ce temps l'usage a toujours continué de donner de ces pieces d'un› acte, ou de trois, après les pieces de cinq.

On permit à la troupe de Moliere de s'établir à Paris. Ils s'y fixerent, et partagerent le théâtre du petit Bourbon avec les comédiens italiens qui en étaient en possession depuis quelques années.

La troupe de Moliere jouait sur le théâtre les mardis, les jeudis et les samedis, et les Italiens les autres jours.

La troupe de l'hôtel de Bourgogne ne jouait aussi que trois fois la semaine, excepté lorsqu'il y avait des pieces nouvelles.

Dès-lors la troupe de Moliere prit le titre de la troupe de Monsieur, qui était son protecteur. Deux ans après, en 1660, il leur accorda la salle du

Palais royal. Le cardinal de Richelieu l'avait fait bâtir pour la représentation de Mirame, tragédie dans laquelle ce ministre avait composé plus de cinq cents vers. Cette salle est aussi mal construite que la piece pour laquelle elle fut bâtie: et je suis obligé de remarquer, à cette occasion, que nous n'avons aujourd'hui aucun théâtre supportable; c'est une barbarie gothique que les Italiens nous reprochent avec raison. Les bonnes pieces sont en France, et les belles salles en Italie.

La troupe de Moliere eut la jouissance de cette salle jusqu'à la mort de son chef. Elle fut alors accordée à ceux qui eurent le privilege de l'opéra, quoique ce vaisseau fût moins propre encore pour le chant que pour la déclamation.

Depuis l'an 1658 jusqu'en 1673, c'est-à-dire en quinze années de temps, il donna toutes ses pieces, qui sont au nombre de trente. Il voulut jouer dans le tragique: mais il n'y réussit pas; il avait une volubilité dans la voix, et une espece de hoquet qui ne pouvait convenir au genre sérieux, mais qui rendait son jeu comique plus plaisant. La femme d'un des meilleurs comédiens que nous ayons eus a donné ce portrait-ci de Moliere :

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Il n'était ni trop gras ni trop maigre; il avait la <taille plus grande que petite, le port noble, la jambe

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belle; il marchait gravement, avait l'air très sérieux, « le nez gros, la bouche grande, les levres épaisses, ⚫ le teint brun, les sourcils noirs et forts, et les di« vers mouvements qu'il leur donnait lui rendaient la physionomie extrêmement comique. A l'égard ⚫ de son caractere, il était doux, complaisant, géné« reux; il aimait fort à haranguer; et quand il lisait ses pieces aux comédiens, il voulait qu'ils y amenassent leurs enfants pour tirer des conjectures de leur mouvement naturel. »

Moliere se fit dans Paris un très grand nombre de

"partisans, et presque autant d'ennemis. Il accoutu. ma le public, en lui faisant connaître la bonne comédie, à le juger lui-même très sévèrement: Les "mêmes spectateurs qui applaudissaient aux pieces médiocres des autres auteurs relevaient les moindres défauts de Moliere avec aigreur. Les hommes jugent de nous par l'attente qu'ils en ont concue; et le moindre défaut d'un auteur célebre, joint avec les "malignités du public, suffit pour faire tomber un bon ouvrage. Voilà pourquoi Britannicus et les "Plaideurs de M. Racine furent si mal recus; voilà - pourquoi l'Avare, le Misanthrope, les Femmes savantes, l'Ecole des Femmes, n'eurent d'abord aucun succès.

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Louis XIV, qui avait un goût naturel et l'esprit très juste, sans l'avoir cultivé, ramena souvent par son approbation la cour et la ville aux pieces de Molieré. Il eut été plus honorable pour la nation de n'avoir pas besoin des décisions de son maître pour bien juger. Moliere eut des ennemis cruels, sur-tout les mauvais auteurs du temps, leurs protecteurs et leurs cabales: ils susciterent contre lui les dévots; "on lui imputa des livres scandaleux; on l'accusa d'avoir joué des hommes puissants, tandis qu'il n'avait *joué que les vices en général; et il eût succombė sous ces acensations, si ce même roi qui encouragea et qui soutint Racine et Despréaux n'eût pas aussi protégé Moliere.

Il n'eut, à la vérité, qu'une pension de mille livres, et sa troupe n'en eut qu'une de sept. La fortune qu'il fit par le succès de ses ouvrages le mit en état de n'avoir rien de plus à souhaiter : ce qu'il retiraît du théâtre, avec ce qu'il avait placé, allait à trente mille livres de rente; somme qui, en ce tempslà, faisait presque le double de la valeur réelle de pareille somme d'aujourd'hui.

Le crédit qu'il avait auprès du roi paraît assez par le canonicat qu'il obtint pour le fils de son médecin. Ce médecin s'appelait Mauvilain. Tout le monde sait qu'étant un jour au dîner du roi : « Vous avez un « médecin, dit le roi à Moliere; que vous fait-il? Sire, répondit Moliere, nous causons ensemble: il m'ordonne des remedes ; je ne les fais point; et je guéris.» Il faisait de son bien un usage noble et sage: il recevait chez lui les hommes de la meilleure compagnie, les Chapelle, les Jonsac, les Desbarreaux, etc., qui joignaient la volupté et la philosophie. Il avait une maison de campagne à Anteuil, où il se délassait souvent avec eux des fatigues de sa profession, qui sont bien plus grandes qu'on ne pense. Le maréchal de Vivonne, connu par son esprit et par son amitié pour Despréaux, allait souvent chez Moliere, et vivait avec lui comme Lélius avec Térence. Le grand Condé exigeait de lui qu'il le vint voir sou-vent, et disait qu'il trouvait toujours à apprendre dans sa conversation.

Moliere employait une partie de son revenu en libéralités qui allaient beaucoup plus loin que ce qu'on appelle dans d'autres hommes des charités. Il encourageait souvent par des présents considérables de jeu-nes auteurs qui marquaient du talent: c'est peut-être à Moliere que la France doit Racine. Il engagea le jeune Racine, qui sortait du Port-Royal, à travailler pour le théâtre dès l'âge de dix-neuf ans. Il lui fit composer la tragédie de Théagene et Chariclée; et quoique cette piece fût trop faible pour être jouée, il fit présent au jeune auteur de cent louis, et lui donna le plan des Freres ennemis.

Il n'est peut-être pas inutile de dire qu'environ dans le même temps, c'est-à-dire en 1661, Racine ayant fait une ode sur le mariage de Louis XIV, M. Colbert lui envoya cent louis au nom du roi.

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