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MASCARILLE.

Sachons donc ce qu'a fait cette imaginative.

LÉLIE.

Tantôt, l'esprit ému d'une frayeur bien vive
D'avoir vu Trufaldin avecque mon rival,
Je songeois à trouver un remede à ce mal;
Lorsque, me ramassant tout entier eu moi-même,
J'ai conçu, digéré, produit un stratagême

Devant qui tous les tiens, dont tu fais tant de cas,
Doivent, sans contredit, mettre pavillon bas.

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Ah! s'il te plaît, donne-toi patience. J'ai donc feint une lettré avecque diligence, Comme d'un grand seigneur écrite à Trufaldin, Qui mande qu'ayant su, par un heureux destin, Qu'une esclave qu'il tient sous le nom de Célie Est sa fille, autrefois par des voleurs ravie, Il veut la venir prendre, et le conjure au moins De la garder toujours de lui rendre des soins; Qu'à ce sujet il part d'Espagne, et doit pour elle Par de si grands présents reconnoître son zele, Qu'il n'aura point regret de causer son bonheur...

Fort bien.

MAS CARILLE.

·LÉLIE.

Ecoute done; voici bien le meilleur.

La lettre que je dis a donc été remise.

Mais sais-tu bien comment? En saison si bien prise,
Que le porteur m'a dit que, sans ce trait falot,
Un homme l'emmenoit, qui s'est trouvé fort sot.

MASCARILLE.

Vous avez fait ce coup sans vous donner au diable? LÉLIE.

Oui. D'un tour si subtil m'aurois-tu cru capable?

Loue au moins mon adresse, et la dextérité
Dont je romps d'un rival le dessein concerté,

MASCARILLE.

A vous pouvoir louer selon votre mérite
Je manque d'éloquence, et ma force est petite.
Oui, pour bien étaler cet effort relevé,
Ce bel exploit de guerre à nos yeux achevé,
Ce grand et rare effet d'une imaginative
Qui ne cede en vigueur à personne qui vive,
Ma langue est impuissante, et je voudrois avoir
Celles de tous les gens du plus exquis savoir,
Pour vous dire en beaux vers, ou bien en docte prose,
Que vous serez toujours, quoi que l'on se propose,
Tout ce que vous avez été durant vos jours;
C'est-à-dire un esprit chaussé tout à rebours,
Une raison malade et toujours en débauché,
Un envers du bon sens, un jugement à gauche,
Un brouillon, une bête, un brusque, un étourdi,
Que sais-je ? un... cent fois plus encor que je ne di.
C'est faire en abrégé votre panégyriqué.

LÉLIE.

Apprends-moi le sujet qui contre moi te pique.
Ai-je fait quelque chose? Eclaircis-moi ce point.

MASCARILLE.

Non, vous n'avez rien fait. Mais ne me suivez point. LÉLIE.

Je te suivrai par-tout pour savoir ce mystere.

MASCARILLE.

Oui! Sus done, préparez vos jambes à bien faire;
Car je vais vous fournir de quoi les exercer.
LÉLIK, seul.

Il m'échappe. O malheur qui ne se peut forcer!
Au discours qu'il m'a fait que saurois-je comprendre?
Et quel mauvais office aurois-je pa me rendre?

FIN DU SECOND ACTE.

ACTE TROISIEME.

SCENE I.

MASCARILLE.

TAISEZ-VOUS, ma bonté, cessez votre entretien,

Vous êtes une sotte, et je n'en ferai rien.

Qui, vous avez raison, mon courroux, je l'avoue;
Relier tant de fois ce qu'un brouillon dénoue,,
C'est trop de patience; et je dois en sortir,
Après de si beaux coups qu'il a su divertir.
Mais aussi raisonneus un peu sans violence.
Si je suis maintenant ma juste impatience,
On dira que je cede à la difficulté,
Que je me trouve à bout de ma subtilité.
Et que deviendra lors cette publique estime
Qui te vante par-tout pour un fourbe sublime,
Et que tu t'es acquise en tant d'occasions
A ne t'être jamais vu court d'inventions?
L'honneur, ô Mascarille, est une belle chose!
A tes nobles travaux ne fais aucune pause;
Et quoi qu'un maître ait fait pour te faire enrager,
Acheve pour ta gloire, et non pour l'obliger.
Mais quoi! que feras-tu que de l'eau toute claire?
Traversé sans repos par ce démon contraire,
Tu vois qu'à chaque instant il te fait déchanter,
Et que c'est battre l'eau de prétendre arrêter
Ce torrent effréné qui de tes artifices

Renverse en un moment les plus beaux édifices.
Hé bien! pour toute grace, encore un coup du moins,
Au hasard du succès sacrifions des soins;

Et s'il poursuit encore à rompre notre chance,

Et

que

J'y consens, ôtons-lui toute notre assistance.
Cependant notre affaire encor n'iroit pas mal,
Si par-là nous pouvions perdre notre rival,
Léandre enfin, lassé de sa poursuite,
Nous laissât jour entier pour ce que je médite.
Oui, je roule en ma tête un trait ingénieux,
Dont je promettrois bien un succès glorieux,
Si je puis n'avoir plus cet obstacle à combattre.
Bon: voyons si son feu se rend opiniâtre.

SCENE II.

LÉANDRE, MASCARILIE.

MASCARILLE.

Monsieur, j'ai perdu temps; votre homme se dédit.

LÉANDRE.

De la chose lui-même il m'a fait le récit:

Mais c'est bien plus; j'ai su que tout ce heau mystere
D'un rapt d'Egyptiens, d'un grand seigneur pour pere
Qui doit partir d'Espagne et venir en ces lieux,
N'est qu'un pur stratagême, un trait facétieux,
Une histoire à plaisir, un conte dont Lélie
A voulu détourner notre achat de Célie.

MASCARILLE.

Voyez un peu la fourbe!

LÉANDRE.

Et pourtant Trufaldin

Est si bien imprimé de ce conte badir,

Mord si bien à l'appât de cette foible ruse,
Qu'il ne veut point souffrir que l'on le désabuse.

MASCARILLE.

C'est pourquoi désormais il la gardera bien,
Et je ne vois pas lieu d'y prétendre plus rien.
LÉANDRE.

Si d'abord à mes yeux elle parut aimable,
Je viens de la trouver tout-à-fait adorable;

Et je suis en suspens si, pour me l'acquérir,
Aux extrêmes moyens je ne dois point courir,
Par le don de ma foi rompre sa destinée,
Et changer ses liens en ceux de l'hyménée.

MASCARILLE.

Vous pourriez l'épouser ?

LÉANDRE.

Je ne sais: mais enfin, Si quelque obscurité se trouve en son destin, Sa grace et sa vertu sont de douces amorces Qui, pour tirer les cœurs, ont d'incroyables forces.

MASCARILLE.

Sa vertu, dites-vous?

LÉANDRE.

Quoi? que murmures-tu?

Acheve: explique-toi sur ce mot de vertu.

MASCARILLE.

Monsieur, votre visage en un moment s'altere,
Et je ferai bien mieux peut-être de me taire.

Non, non, parle.

LÉANDRE.

MASCARILLE.

Hé bien done, très charitablement

Je vous veux retirer de votre aveuglement.

Cette fille...

LÉANDRE.

Poursuis.

MASCARILLE.

N'est rien moins qu'inhumaine;

Dans le particulier elle oblige sans peine;

Et son cœur, croyez-moi, n'est point roche après tout
A quiconque la sait prendre par le bon bout:
Elle fait la sucrée, et veut passer pour prude.
Mais je puis en parler avecque certitude:
Vous savez que je suis quelque peu du métier
A me devoir connoître en un pareil gibier.

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