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toires, de mots qui nous sont inconnus, qu'elle raconte avec une grâce charmante, et qui sont d'autant plus précieux que chaque jour voit s'éteindre ces traditions vivantes par lesquelles nous sommes transportés au milieu d'un monde qui bientôt nous paraîtra fabuleux.

Lorque Madame quitta la France, ma bonne maman ne put la suivre. Elle l'aurait bien voulu, mais elle était mère d'une fille en bas âge, elle avait un mari.... Enfin elle ne put faire ce que son cœur et sa reconnaissance lui dictaient. Demeurée en France, l'infortunée a souffert toutes les tortures qu'on peut infliger à une faible femme. Elle vit son mari enlevé à la tête de son armée, jeté dans un cachot, condamné à mort, et conduit au supplice dans le fatal tombereau. Je l'ai entendue quelque fois parler de ces heures d'angoisses! Alors cette voix, qui raconte si bien des avantures plaisantes qui provoquent le rire, devient tout-à-coup déchirante! elle a eu le courage d'aller implorer la pitié de celui qui n'en connaissait pas; elle a été se jeter aux pieds de Robespierre. La relation de cette scène fait véritablement mal. Madame de Lamarlière était encore une femme jeune, si elle n'était plus une jeune femme à cette époque, et elle était éblouissante d'une blancheur, de neige rosée; elle joignait à cet avantage de su

perbes cheveux blonds cendrés, de jolis yeux, des dents admirables et une foule de détails agréables dans toute sa personne. Cette enveloppe qui recélait une âme au désespoir se prosterna vainement devant le dictateur; d'une voix brisée par les sanglots, elle lui demandait la vie du père de son enfant. Il tenait la hache: il la laissa retomber, et au milieu des joies d'un festin nuptial' il prononça la sentence qui faisait une veuve et une orpheline.

Pendant l'instruction de son procès, M. de Lamarlière fut enfermé à la Conciergerie. La reine y était déjà. Madame de Lamarlière, ayant la permission d'entrer dans la prison pour voir son mari, et lui porter de ces choses qui adoucissent la captivité, en profita pour faire parvenir à la reine

Il mariait ce jour-là une fille ou une sœur, je crois, de Duplay, menuisier chez qui il demeurait, rue St-Honoré. C'est ce Duplay, hôte de Robespierre, qui présidait le jury, au jugement de la reine. Ma pauvre amie vint avant l'heure fixée; elle fut obligée d'attendre dans un coin de la salle à manger où se faisait le repas de noce. Qu'on juge de sa position. Cependant elle n'avait garde de s'en aller. Elle devait la fa. veur singulière d'avoir été introduite dans ce sanctuaire à la femme elle-même du menuisier, et, je crois, à Barrère. Lorsqu'elle fut partie, Robespierre dit: Sais-tu qu'elle est jolie, cette femme-là ?... mais très-jolie. Et il accompagna cette remarque de réflexions qui glacent et font frémir tout à la fois,

différens objets qui ne pouvaient que lui être agréables. La femme du concierge', qui ne voyait dans ces envois que des objets sans nulle conséquence, se prêtait à cet innocent manége avec toute l'humanité d'un bon cœur.

<< La reine l'a-t-elle su? demandai-je un jour à madame de Lamarlière.-Non, me répondit-elle; pourquoi le lui aurais-je fait savoir ? — Mais pour recevoir le prix de votre généreuse conduite, pour avoir un mot de reconnaissance de cette malheureuse princesse -Oui, vous avez raison: mais j'étais si malheureuse moi-même alors, qu'en vérité nulle autre idée que celle qui me faisait agir n'avait d'action sur moi. Au reste, ajouta t-elle avec un profond soupir, la reine l'a appris, et m'a fait adresser quelques mots de souvenir. Ce sujet a été bien souvent abordé par moi, et jamais je n'ai

Madame Richard, femme du premier concierge; elle était très-bonne pour la reine. Lors de l'aventure de l'œillet que le marquis de Rougeville, accompagné du municipal Michouis, laissa tomber aux pieds de la reine et qui renfermait un billet, toute la famille de Richard ainsi que lui, furent jetés dans les cachots de la Force, et remplacés par le beau concierge de la Force. Il y avait aussi à la Conciergerie une jeune fille, nomme Rosalie, que madame de Lamarlière a beaucoup connue, et qui lui a donné des détails du plus haut intérêt sur la reine, détails que madame de Lamarlière m'a communiqués.

osé aller plus loin; ma pauvre amie était pour moi comme une personne blessée grièvement, dont on n'ose presque pas toucher la plaie, même pour la panser.

Parmi les personnes que mes parens laissaient et regrettaient, en quittant Montpellier, on distinguait M. d'Aigrefeuille, dont le nom seul suffit pour en rappeler le souvenir. M. d'Aigrefeuille, président à la cour des comptes, aides et finances de Montpellier, était un homme parfaitement aimable. La plupart des personnes qui ne le virent qu'en passant chez l'archi-chancelier n'ont pu savoir tout ce qu'il valait. Il avait un esprit fin et malin; racontait à merveille et s'entendait à toute autre chose qu'à ordonner et manger un bon dîner. Je le redoutais comme la peste. Il s'était trouvé à table, à côté de ma mère, le soir où elle soupa chez madame de Moncan, avant d'accoucher de moi. Aussi il ne me faisait nulle grâce de cette connaissance vraiment contrariante pour une femme; et lorsque je dînais chez l'archichancelier, ou que j'allais y faire une visite, dès que le valet de chambre avait prononcé mon nom, M. d'Aigrefeuille était aussitôt près de moi pour me donner la main et me conduire à la meilleure place du salon. Mais sa politesse était toujours accompagnée de la phrase obligée : Mil

sept cent quatre-vingt-quatre, le six novembre. Oh! vous ne pouvez pas me cacher votre áge, à moi! Comme à cette époque j'étais une jeune femme et même une enfant, ce memorandum ne m'effrayait guère.

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La famille de M. d'Aigrefeuille est une bonne et ancienne famille de robe. Sa mère était également d'une très-bonne naissance', et une femme d'une haute vertu. Son père, homme profondément savant, était de l'Académie des sciences.

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Il me reste à parler d'un homme qui a joué depuis un grand rôle sur la scène du monde ; c'est Cambacérès. Il était, à cette époque, conseiller à la cour des aides de Montpellier. Il n'était pas l'ami de mes parens; ce n'était alors qu'une simple connaissance: mais il était devenu le mien et celui de Junot. Jamais je n'ai requis son secours pour un service, quel qu'il fût, que je ne l'aie toujours trouvé prêt à agir; ou bien, si c'était une chose impossible, il me le disait, et me donnait un moyen pour réussir, que lui n'aurait pas pu mettre en œuvre, soit par sa position, soit par la nature de la demande. Je l'ai entendu quelquefois dire à des personnes de Montpellier, qu'il accueil

Pauline Darcussia. Cette famille était établie en Provence, où elle était venue de Naples.

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