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tions d'utiles inductions. M. Necker s'en aperçut en l'écoutant, et le dit à mon père.

Hélas! il eût été à désirer que M. Necker, dont l'esprit avait tant de rectitude, eût écouté ce que lui disait mon père, et qu'il eût usé de son influence sur la reine qui pouvait tout, pour empêcher cette funeste démarche de nommer pour aller, comme elle le disait, imprudemment traiter enfin la Bretagne en province conquise. Combien de sang français devait encore rougir le sol breton! Et cependant la révolution, je le répète, n'était pas commencée. Combien de gens ne la font dater que de la prise de la Bastilie!

Mais je n'ai pas encore fini avec M. de Loménie; son burlesque et tragique ministère était encore debout pour nous présenter des fautes et des folies. Tandis qu'à Rennes, le dévouement d'un vrai citoyen arrête le sang prêt à couler, Grenoble en est inondé. Une adresse admirable porte au pied du trône l'expression de la douleur des Dauphinois. La réponse est une insulte, que le délire du ministre dicte à la faiblesse de Louis XVI; les fautes succèdent aux fautes sans moyen de les réparer. Enfin après avoir employé jusqu'à l'user la dangereuse ressource des coups d'État, épuisé tous les genres de patience de la nation, l'arche

vêque arrive à la fatale promesse des États-géné

raux 1.

Ainsi les choses sont relatives selon les temps; cet appel aux trois corps de l'Etat pour qu'ils vinssent se ranger autour du trône, afin d'éclairer, d'aider le souverain dans ce qu'il convenait de faire pour adoucir les maux du peuple, eût été une noble et utile mesure à une époque simplement malheureuse: mais ici où toutes les haines étaient provoquées ainsi que les ressentimens, c'était à la fois tenter le sort et défier la tempête.

Si quelqu'un, ayant la confiance intime de M. de Loménie, ne me l'avait affirmé, je ne pour rais croire ce qui est cependant la vérité.

Il est positif que l'espoir de l'archevêque de Sens, dans la détresse où l'avaient jeté ses impru dences et ses folies, reposait sur le fragile édifice d'une conception machiavélique, à ce qu'il croyait, mais que l'habile Italien n'aurait certes pas avouée en pareille circonstance.

Monsieur de Loménie voulait brouiller les deux ordres priviligiés, les faire raccommoder par le roi, et le tiers-état devait, après tout ce beau manége, détruire l'influence des deux ordres. Ce que j'avance est de la plus exacte vérité. Quel

Le roi les promit pour le 1er mai 1789.

homme! et c'est à une telle cervelle que les destinées d'un grand peuple ont été soumises pendant quinze mois! Vraiment on ne sait quel est le plus absurde, ou de lui, ou de nous de l'avoir supporté.

Mais la patience devait avoir un terme; le trésor était épuisé, la famine, la banqueroute nous menaçaient, tout était anéanti autour de nous, et pas de ressources! L'indignation publique chassa enfin M. de Loménie, et il quitta le ministère maudit de tous. Le jour où finit son administration, une jeunesse folle alla demander au lieutenant de police la permission de passer une joyeuse soirée, disaient-ils. L'ayant obtenue, ils procé dèrent avec ordre, prirent un mannequin grand comme un homme, lui mirent une mître d'archevêque, une robe de satin violet, dont les trois cinquièmes avec une grande régularité étaient de satin et les deux autres de papier, faisant ainsi allusion à l'arrêt du 16 août précédent ; puis après avoir ainsi paré leur mannequin, ils allèrent le brûler en grande cérémonie sur la place Dauphine, dansant autour avec les démonstrations de la joie la plus folle.

Il y avait alors à Paris un chevalier Dubois qui commandait le guet: le guet, c'était les gendarmes du temps; pas de plaisir sans lui, comme

aujourd'hui pas de plaisir sans gendarmes. La joie de cette folle jeunesse déplut au chevalier Dubois, et lorsque le lendemain elle voulut recommencer, il se présenta en personne pour défendre la récidive. Les jeunes gens l'envoient promener;ilinsiste, on lui rit au nez; le misérable ordonne à sa troupe de se servir de ses armes, on frappe indistinctement. Le valet de chambre de ma mère, revenant de voir sa femme qui demeurait rue Saint-Honoré, et qui était accouchée depuis deux jours, reçoit en passant un coup de sabre qui lui fait une blessure très-grave à la tête. A la vue des morts et des blessés, le peuple furieux se précipite sur le guet et le met en fuite; on force le corps-de-garde au pied de la statue de Henri IV, on en chasse les soldats, et l'on prend leurs armēs.

On brûle des corps-de-gardes; bientôt le désordre s'accroît par le désordre; on se porte à l'Hôtel-de-Ville, il était nuit; un détachement des gardes françaises cachées sous l'arcarde Saint-Jean et dans la rue du Martrois, tire sur la foule et en tue une grande partie; les cadavres sont jetés dans la Seine; le calme se rétablit; mais à la retraite du garde-des-sceaux, aussi détesté que l'archevêque de Toulouse, la joie du peuple se manifeste de nouveau ; il veut brûler les hôtels des ministres; chargée de fascines, de torches, de

matières combustibles, la foule se porte rue SaintDominique, pour incendier l'hôtel du ministre de la guerre, et rue Meslay pour saccager la maison du commandant du guet. Mais des soldats entrent dans la rue Saint-Dominique par les deux extrémités, ayant la baïonnette au bout du fusil ; ils chargent tout ce qui est devant eux indistinctement et égorgent des malheureux sans doute coupables, mais égarés et sans défense, car ils n'avaient presque pas d'armes, et à genou, étendant les mains, ils demandaient grâce et la vie. On massacrait en même temps rue Meslay, et le sang qui coulait était répandu par des mains françaises !.....

I

Le parlement appela devant lui le chevalier Dubois et le maréchal de Biron, gouverneur de Paris. Le commandant du guet comparut, mais le maréchal s'excusa sur l'état de sa santé. Il était vieux et infirme, et mourut peu de temps après, de la peine que lui causa cette malheureuse affaire.

M. Necker est rappelé au contrôle général, et tout reprend un aspect heureux. Le trésor, qui

Il produisit, pour se justifier, un ordre supérieur; il fut acquitté mais le peuple le haïssait tellement, que peu de temps après il dut s'enfuir de Paris.

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