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fit une faute grave: il devait répugner, à un homme vertueux, de flatter un parti qui persécutait les gens de bien. Mais il fallait marcher souvent avec les inconvéniens que l'on ne pouvait encore détruire.

Cependant les états avaient commencé leurs travaux. Les cahiers des bailliages étaient ouverts, et une chose remarquable, c'est que les instructions, données par le duc d'Orléans à ses représentans, ont servi de modèle dans la plupart des assemblées.

Si l'accord eût été général entre toutes les parties de ce grand ensemble, cet admirable ouvrage serait venu à bien. Malheureusement cet accord non-seulement manquait, mais il n'y avait pas même intention de l'établir.

Le tiers finit par se lasser de n'être pas écouté; et surtout de ne recevoir pour réponse que des demandes faites par le clergé et la noblesse avec in ton d'autorité qui ne convenait plus aux circonstances. Enfin arriva la séparation du tiers d'avec les deux ordres privilégiés. Dès lors tout fut consommé; la lutte se soutenait encore entre quelques orateurs faisant assaut d'éloquence, mais le grand procès entre le trône et la nation venait d'être jugé.

La retraite du tiers-état dans la salle du jeu de

I.

ΤΟ

paume produisit un effet que des années n'auraient pas amené. Les députés, en se reconnaissant comme représentans d'une grande nation, se grandissaient avec elle. La nation le sentit: à son tour elle mesura sa force; et elle comprit qu'elle pouvait beaucoup oser pour accomplir le grand œuvre de sa délivrance.

Napoléon disait qu'une des grandes fautes de cette époque avait été d'entreprendre sans s'être assuré de rien. On tremblait à la cour en pensant aux états-généraux, et nulle mesure n'était prise pour s'opposer à ce torrent Il fallait remettre l'ouverture des états, disait-il. Le mouvement que cette mesure aurait produit devenait toujours moins à craindre. M. Necker lui-même, le plus sage des hommes, ferait peut-être voir ici, que, n'ayant pas demandé les états-généraux, il n'était pas fâché d'avoir à combattre et à détruire des obstacles qu'il croyait sans doute voir céder à son génie. Le fait réel est qu'il est difficile de comprendre l'esprit de vertige qui s'emparait de ceux qui arrivaient au pouvoir, et l'usage ridicu lement inutile qu'ils en faisaient.

Une des causes qui perdit aussi la couronne, à cette désastreuse époque, fut le gouvernement occulte. Un jour Napoléon, parlant de la révolution avec le comte Louis de Narbonne, lui dit:

« Mais vous en étiez bien aussi, vous!...-M. de Narbonne lui prouva que rien n'était plus faux. Ses opinions constitutionnelles l'éloignaient d'une pareille manière de diriger ou même de combattre la révolution, quand son esprit ne lui en aurait d'ailleurs pas démontré les dangers. - C'est surtout la reine, poursuivit M. de Narbonne, quitenait à cette double représentation du pouvoir royal mais sans nulle disposition hostile contre la France, que je puis certifier qu'elle aimait, comme on aime le pays qui est devenu notre seconde patrie et où doivent se fermer nos yeux. Que d'absurdités ont été dites là dessus! Cela devait être; après les torts qu'on avait envers les Bourbons, il fallait bien s'appuyer sur un point de départ, quel qu'il fût. Par exemple, quoi de plus d'accuser une femme de mieux aimer son frère que son mari, ses enfans, elle-même et la couronne qu'elle porte !... et tout cela pour prouver... rien du tout. Je crois, disait toujours M. de Narbonne, qu'en 1792 la reine était tellement irritée par tout ce qu'elle avait supporté depuis trois ans que ses sentimens étaient alors fort changés; mais c'était par les mêmes raisons qui lui faisaient avant chérir la France. La mère, l'épouse, la reine, tout avait souffert, tout avait été blessé, et tout craignait, Aussi ses fidèles ser

sot que

viteurs lui ont-ils pardonné de les avoir méconnus au jour du danger, son noble cœur n'admettait plus de sentimens de reconnaissance ni d'attachement. Il avait été trompé d'une si cruelle manière les plaies avaient été faites par des mains si chères des mains qui n'avaient pas encore déposé les somptueux présens dont elle comblait ceux qui l'abandonnaient à l'heure du péril.

>> Quant au gouvernement occulte, poursuivit

est

le comte Louis, M. le baron de Breteuil celui qui a le plus de reproches à se faire; tout en affectant d'aimer et de vouloir instituer en France la constitution anglaise, il aurait établi celle de Constantinople, s'il y en a une. C'est un homme qui a fait bien du mal à la France, avec sa grosse voix et ses petites idées. »

M. de Narbonne avait raison, la reine aimait la

Je rencontrais souvent à la cour la petite-fille de M. de Breteuil, madame de Montmorency: je crus que le grandpère aurait quelque chose de ce qui m'agréait tant dans la petite-fille, dont l'esprit me plaisait fort; mais je fus bien détrompée. Le baron de Breteuil avait doublé en lourdeur, en ennui et en façons rudes. Lorsque le cardinal Maury disputait avec lui, et qu'il sortait de sa soutane rouge cette énorme voix dont le diapason était celui des plus fortes contre-basses, lorsque ce tonnerre se mariait à celui de M. de Breteuil, il fallait déserter la chambre.

France. Eh! comment n'aurait-elle pas aimé une nation qui l'entourait de vœux, d'adorations et 'd'amour? Comment n'aurait-elle pas donné son cœur à un peuple qui voyait en elle une souveraine charmante, gracieuse, mère de celui qui devait être son roi, et qui lui donnait tout ce qu'il avait d'aimant dans le cœur pour reconnaître toutes ces qualités?

Ma mère citait une fois devant moi l'enthousiasme délirant qu'inspirait la reine, lorsqu'elle paraissait en public dans les premières années de son règne. Un jour, à l'Opéra, elle arriva assez tard; on donnait Iphigénie en Aulide. On venait de dire : « Chantons, célébrons notre reine!... » Le parterre, les loges, la salle entière redemanda le choeur, et tout se mit à répéter: « Chantons, célébrons notre » reine,» avec cet accent d'amour qui vient de l'âme, avec une telle ardeur que la reine fondit en larmes. Hélas! l'infortunée princesse auraitelle pu penser, dans ce moment d'ivresse, qu'un jour ces larmes délicieuses se changeraient en larmes de sang! Pourquoi ce changement a-t-il été si prompt et si grand? Voici un des faits qui pu l'amener.

ont

Tandis que M. de Vergennes était aux affaires étrangères, la reine, un jour, le fit appeler pour lui faire une confidence assez singulière. L'em

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