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pereur, son frère, lui avait demandé de faire faire pour lui un emprunt de douze millions. Il devait le rendre, bien entendu; mais dans le commencement d'agitation qui existait déjà, il fallait que l'emprunt et le prêt fussent également secrets. La chose se compliquait alors beaucoup, parce que, d'après les propres paroles de la reine, le roi s'y opposait entièrement. Le résumé de son long discours à M. Vergennes fut de lui dire qu'elle l'avait fait appeler, pour qu'il avisât au moyen de faire trouver l'argent, et surtout de déterminer le roi,

« Avec tout le respect que je dois à Votre Majesté, répondit le ministre, je suis obligé d'avoir le malheur de lui désobéir. Les coffres de l'état sont vides; nous touchons à une crise terrible, et je me croirais très-coupable, si je pouvais, par mes avis, entraîner le roi dans une démarche qui ne peu être que funeste à Votre Majesté elle-même, et surtout à la France.

- » Monsieur, dit la reine avec hauteur, lorsque je vous ai fait appeler pour demander votre intervention, ce n'était pas pour recevoir des conseils; je saurai bien, sans vous, déterminer le roi à faire une chose qui forme un lien de plus entre la France et l'Autriche; occupez-vous seulement de faire trouver les fonds. J'engagerai, s'il le faut, ma signature: la reine de France peut aimer sa

nouvelle patrie sans oublier qu'elle est archiduchesse d'Autriche. Je ne demande pas de nouveaux impôts; je ne veux même pas que le contrôle général se mêle de cette affaire; mais un emprunt peut se faire: qu'il se fasse. »

M. de Vergennes, ainsi congédié, rentra chez lui le cœur navré. La résolution de la reine paraissait positive, et le ministre voyait trop bien que le roi céderait aux instances d'une femme qu'il aimait. Cependant son coeur français s'indignait si fortement de voir commettre une telle action, qu'il ne s'occupa nullement de trouver l'argent. Le soir même, le roi le fit appeler, et, d'un air assez embarrassé, lui fit part de la parole que lui avait enfin arrachée la reine, et de sa volonté que cet emprunt se fit, ou tout au moins la moitié.

M. de Vergennes fut au moment de donner sa démission; mais une pensée s'offrit à lui, et il

resta.

Il n'était pas facile, à cette époque, de trouver de l'argent pour le gouvernement, et il fallait une grande adresse pour parvenir à un résultat heureux dans une telle affaire.

Il y avait alors à Paris un banquier immensément riche, nommé Durhuet. Il fut chargé par M. de Vergennes de faire cet emprunt. Après beaucoup de démarches, de soins, de voyages

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mêmes, on le trouve enfin ; M. Durhuet avait engagé la plus forte partie de sa propre fortune. Le jour où cette affaire fut conclue, une de mes amies intime, madame la comtesse de la Marlière, qui existe encore à Paris en ce moment, dînait chez M. Durhuet. Elle était également sa plus intime amie. Elle le trouva malheureux et tourmenté de cette affaire, dont il lui raconta tous les détails. En voici la fin:

Le courrier qui devait porter à Vienne la nouvelle que le roi consentait enfin à prêter cette somme de douze millions, lorsque la France manquait de pain, était prêt. M. de Vergennes lui donne ses dépêches, et en même temps des instructions secrètes. Le courrier part; à vingt lieues de Paris, il est atteint d'un mal subit et obligé de suspendre son voyage pendant qua rante-huit heures. Elle furent bien employées par le ministre. Il se jeta aux pieds du roi, le supplia avec tant de force, de ne pas exécuter une chose qui pouvait être funeste dans ses suites, que Louis XVI, qui avait vraiment de l'honneur et de la bonté, consentit au rappel du courrier. M. de Vergennes savait bien que la chose serait aisée, et n'était pas en peine de savoir où prendre son homme. L'argent fut rendu, et le refus partit au lieu du consentement.

Peu de jours après, M. de Vergennes fut invité à prendre sa part d'une collation chez les enfans de France. Sa mort, qui suivit de près cette époque, fut une triste récompense que la providence réservait au ministre fidèle, au sujet loyal, au patriote dévoué.

Tous les détails de cette histoire sont parfaitement authentiques. Le malheureux Durhuet est mort sur l'échafaud.

CHAPITRE IX.

Mirabeau. Son portrait. - Arrivée aux états-généraux.

- Réponse de Mirabeau au comte de Reb... Avances de la cour. Fait peu connu. — Refus d'argent.

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Ambi

tion d'un ministère. Colère de la reine. Mirabeau

étudiant le duc d'Orléans.

Avis écrit par Mirabeau à Bonnecarère. Comparaison avec le duc d'Orléans.

Hasard malheureux.

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Erreur de Mme de Staël dans son

opinion sur son père. Les agens de Mirabeau. - Question que me fait Bonaparte sur M. Necker. - Mot de Napoléon et le diner interrompu. Prise de la Bastille.

APRÈS la séparation du tiers des deux ordres privilégiés, il restait peu de moyens conciliatoires; mais, dans les premiers momens, il y en avait une foule parmi lesquels se montrait, au premier rang, l'acquisition de Mirabeau.

Cet homme étonnant est sans doute la plus grande figure politique de notre révolution. Cette figure a été crayonnée, peinte dans toutes les

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