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Que d'alarmes ! que d'existences brisées! que de têtes proscrites! Mon père paraissait ne rien craindre. Il était occupé à écrire une lettre pour M. de Bévy. Cette lettre, qui était une lettre de crédit pour Londres, pour servir à notre ami (car il allait tenter de fuir), devait être portée par mon père à M. de Bévy, dans le nouvel asile qu'on avait été forcé de lui trouver, car notre maison n'était plus sûre. Mon père allait terminer sa lettre, lorsque son valet de chambre vint lui dire que notre boucher, brave et digne homme, qui était lieutenant ou capitaine dans la garde nationale, venait avertir M. de Permon qu'il était dénoncé pour avoir donné asile à des ennemis du peuple; et le brave homme ajoutait : « Je suis bien sûr que Monsieur ne risquerait rien.... car il ne nous veut pas de mal; et il fait gagner tant d'argent au quartier!... Personne ne peut lui en vouloir; mais qu'il prenne garde à lui. »

Le brave homme n'osait pas en dire davantage. Mon père fit peu d'attention à sa démarche; mais une heure après, un avertissement des plus sûrs vint dire à mon père qu'il serait arrêté dans la nuit. La personne qui lui apportait cet avis, y joignait la promesse d'un passe-port pour l'une des villes du Midi, et celle de venir le chercher avec ma mère, (mais ma mère seulement), pour les conduire hors

Paris. Quant à nous, il ne fallait pas songer à nous emmener. Ma mère perdait la raison en songeant qu'elle devait nous laisser à Paris dans un pareil moment. Mon frère devait veiller sur nous. Mais toi-même, disait ma mère! toi-même, que vas-tu devenir?

Cependant le temps pressait. Après avoir longtemps cherché quel moyen présentait le plus de sécurité pour nous et pour mon frère, on s'arrêta au plus simple: c'était de nous mettre en pension dans quelque pensionnat obscur et mon frère logé près de nous. Ce plan, une fois adopté, s'exécuta rapidement, et le soleil n'était pas couché, que ma sœur et moi nous étions installées rue du faubourg Saint-Antoine, chez mesdemoiselles Chevalier, tenant pension de jeunes demoiselles.

Voilà ce que je puis dire, mais ce que je ne puis rendre, c'est la douleur que j'éprouvai en me trouvant dans une maison étrangère, privée à la fois de presque toutes mes affections! Ma soeur avait passé sa jeunesse presque entière au couvent; elle était pour ainsi dire habituée à cette vie d'exil de la maison maternelle : mais moi, qui jamais n'avais quitté ma mère, moi toujours là, soignée, chérie, gâtée même, je ne pouvais concevoir une pareille existence. Oh! que j'ai pleuré! Ma sœur, qui était un ange de douceur

et de bonté, essaya de me consoler; mais elle même avait le cœur gonflé. Elle avait été au couvent, à la vérité, mais quelle différence entre les bonnes religieuses des Dames de la Croix et mesdemoiselles Chevalier! Nous n'avions plus notre bonne; nous ne voyions que des visages étrangers. Nous savions que c'était pour soustraire mon père à la prison, ou à la mort, peut-être. Nos adieux furent déchirans. Ma mère nous a dit depuis, qu'elle ne croyait pas nous revoir. Pauvre mère! si bonne, si parfaite pour ses enfans! Si telle a été sa pensée, combien elle a dû souffrir, même en faisant son devoir!

CHAPITRE XI.

Notre vie en pension.

Fréquentes visites de mon frère. Ma bonne Rénesson. - Jacquemart, l'homme de peine de la pension. - Vive reconnaissance pour une bagatelle. Conseils de Jacquemart à mon frère. - Fureur du peuple et angoisses dans l'intérieur des maisons. Mon frère arrêté sur le boulevart. Baiser exécrable et la tête de ma

dame de Lamballe.

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Voyage de
Sou-

Notre départ pour Toulouse.

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ma mère à Paris.
venir de Marseille en 1804, et l'homme mystérieux.

Nous étions donc, ma sœur et moi, chez mesdemoiselles Chevalier, bien tristes, bien ennuyées et n'ayant de bonheur que lorsque mon frère ou ma bonne venaient nous voir. Mabonne, la pauvre Rénesson, pleurait toutes les fois qu'elle venait à la pension; elle nous apportait des corbeilles de raisins, de pêches, de poires; les plus beauxfruits, les plus beaux gâteaux arrivaient pour notre goû

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ter, les jours où ma bonne venait dans ce qu'elle appelait notre prison. Quelque sermon que mon frère lui fît, elle n'y comprenait rien. Dire à Rénesson que sa petite Loulou devait goûter avec une pomme aigre ou bien un morceau de fromage, lui paraissait une hérésie, si ce n'était pas une folie. Mon frère fut obligé, pour lui faire suspendre ses profusions, de lui dire que cela nous compromettait.

la

Nous remarquions que depuis quelque temps mon frère avait un air de tristesse qui augmentait chaque jour. Nous lui en demandâmes la cause avec tant d'instance, qu'il nous dit que section avait dénoncé mon père d'une manière qui pouvait avoir une issue fâcheuse. Nous nous mîmes à pleurer, ma sœur et moi. Albert nous consolait; mais il était facile de voir que la dénonciation de mon père n'était pas la seule cause de ses craintes et qu'il redoutait un danger immédiat. En effet nous avons su depuis qu'il avait été averti par une personne, heureusement mal informée, que ma mère et mon père avaient été arrêtés à Limoges, et qu'on les ramenait à Paris; on était alors à la fin d'août. L'horizon prenait une teinte sanglante. Qu'on juge de l'anxiété de mon frère ! Il venait nous voir tous les jours dans un cabriolet que mon père avait fait faire

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