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espérait que la rapidité de la course pourrait les en délivrer.

Mon frère arriva en peu de minutes à la portede notre pension. Qu'on juge de notre effroi! il était toujours sans connaissance! pâle, ne respirant pas! Lorsque le cabriolet, s'arrêta, l'homme qui était derrière s'élança à terre, prit mon frère dans ses bras comme il aurait pris un enfant, et le transporta dans la maison.

<< Les monstres, disait cet homme! les monstres! Le pauvre jeune homme! ils l'ont tué aussi !!! » Cet homme était Jacquemart. Que pouvait-il faire au milieu d'une telle troupe? nous ne l'avons jamais su. Il est cependant évident qu'il n'y était pas pour partager ses crimes. Cet homme avait une attitude mystérieuse, si l'on peut attacher ce mot à sa profession et à son individu; sa figure était repoussante, et tout en lui était attirant, soit par une expression de bonté dans le regard, soit par un son de voix harmonieux et un langage tout-à-fait différent de celui des hommes de sa classe. Il n'était pas intéressé, et avait une profonde reconnaissance de ce qu'on faisait pour lui. Qui était-il? sans créer un roman, je crois que cet homme se cachait peut-être à l'époque où nous l'avons

connu.

Mon frère fut très-mal des suites de cette cruelle

journée. On le conduisit chez un médecin, où il fit une maladie grave, dans laquelle son délire lui présentait toujours cette affreuse aventure. Il revoyait ces tresses blondes trempées de sang, cette tête livide défigurée. Pendant bien long-temps, il ne pouvait entendre parler nonseulement de cette horrible circonstance sans être au moment de perdre de nouveau connaissance, mais même des fatales journées sans une vive émotion 1.

Je veux rapporter ici une particularité fort extraordinaire qui est comme la suite de cette histoire.

Mon frère, étant en 1802 commissaire-général de police à Marseille, reçut ordre de faire surveiller particulièrement un homme appelé Raymonet qui avait un autre nom, mais je ne me le rappelle pas. Il habitait une petite bastide isolée sur le bord de la mer, paraissait avoir de l'aisance, mais n'avait aucun parent, aucun ami, vivait seul, était souvent malade, et n'avait personne pour le servir, si ce n'est une femme qui venait chaque matin lui apporter ses provisions. A quelque temps de là, M. de Permon reçoit directement, du cabinet du premier consul, l'ordre de faire surveiller très-sévèrement ce Raymonet. Il devait se présenter tous les huit jours au commissariat-général, ou bien être vu par un agent de confiance. Les notes secrètes sur cet homme portaient qu'il avait été un des principaux chefs des massacres de septembre à la Force et à l'Abbaye; il y était particulièrement désigné comme le plus cruel des meurtriers de la malheureuse

On écrivit à l'instant à ma mère; elle était déjà arrivée à Toulouse avec mon père, et leur établis

princesse de Lamballe. (Mon frère voulut parler de cette particularité lors de l'assassinat du maréchal Brune, mais le renseignement n'a pas passé le ministère, il doit être dans les cartons.) En lisant cet article, mon frère faillit s'évanouir, et il lui fut impossible pendant quelques mois de pouvoir regarder cet homme. Un jour on vint prévenir l'autorité que cet homme allait mourir. Grand Dieu! de quelle mort!... Depuis trois jours il souffrait des tourmens de réprouvé!... Il lui était arrivé une chose toute naturelle dans l'origine. Sa luette était tombée; il avait voulu la faire remonter avec un peu de poivre fin. Il emploie pour cela une petite cuillère à moutarde en buis, le poivre produit un mouvement nerveux qui le fait tousser violemment ; la cuillère lui échappe, et s'engage dans la trachée-artère. Le malheureux fit des efforts surhumains pour ravoir cette cuiller; l'œsophage déjà gonflé s'opposa à ce qu'il pût la rattraper. Il était probablement scul et assez loin de toute habitation; il fut obligé de se traîner jusqu'à la bastide la plus voisine pour avoir quelque secours ; on fut à la ville, mais lorsque le chirurgien arriva, il ne put rien obtenir, le corps étranger avait déjà fait les plus grands ravages. Toute opération était impossible, et le malheureux mourut sans pouvoir même être soulagé. Il ne voulut ni secours religieux, ni paroles consolantes. « Son lit de mort, » me disait mon respectable oncle, l'abbé de Commène, fut » un chevalet de torture, bien autrement douloureux que » celui d'un martyr de la foi. »

Il mourut le blasphème à la bouche, comme ce réprouvé dont parle le Dante dans le cinquième habitacle.

sement temporaire étant fait, ma mère put venir aussitôt à Paris pour nous chercher, ainsi que mon frère qui était encore en convalescence. Il s'arrêta en route chez un ami. Quant à nous, nous poursuivîmes notre route vers Toulouse, avec ma mère, ayant pour chevalier un de nos amis, M. de Luppé.

CHAPITRE XII.

Notre établissement à Toulouse.

Mon père malade mandé

à la section. Lettre de ma mère à Salicetti et réponse

charmante. Mon frère secrétaire de Salicetti.

état des affaires.

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Triste

Le procès et la mort du roi. Mort de madame Élisabeth et désespoir de mon père. - Maladie de ma mère et voyage aux eaux de Cauterets.

La famille Michel. Madame de Leyrac et l'Abbaye-aux-Bois. Retour à Toulouse et mon éducation. Mort de Robes

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pierre. Souvenirs de la terreur et détails recueillis dans des conversations avec Cambacérès et Fouché.

En arrivant à Toulouse, le premier soin de ma mère fut de s'établir de manière à ce que mon père eût un intérieur agréable, et qu'il ne fût pas forcé d'aller au dehors pour chercher des distractions qu'il n'aurait d'ailleurs trouvées qu'avec peine, toutes les maisons étant dans le deuil, ou dans la crainte d'un malheur que chacun redoutait; il était, en effet, bien peu de familles qui n'eussent un père, un frère, un mari à regretter

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