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ou encore enfermé dans les cachots. Toulouse, comme ville parlementaire, était une de celles que l'index révolutionnaire avait désignées pour être la résidence d'un proconsul; et à cet égard, nous n'avions rien à envier à Bordeaux. Mais nous n'avions pas, comme les Bordelais, un ange sous la figure d'une femme, qui chaque jour émoussait la hache révolutionnaire, et arrachait des victimes à la mort. Nous avions la terreur dans toute sa hideur.

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Nous nous logeâmes rue Croix - Baragnon; dans la maison de M. de Montauriol, président au parlement de Toulouse. Cet hôtel, situé dans un des beaux quartiers de la ville, tout près de la place Saint-Etienne, avait été distribué pour quatre familles; la construction en était fort antique; une immense cour carrée était commune à tous les habitans de la maison. A chaque angle, il y avait une grande porte donnant entrée sur un beau vertibule parfaitement clair, un large escalier conduisait aux appartemens de chacun des corps de logis, qui à lui seul formait une petite maison. Il y en avait une à louer, et ma mère fut assez heureuse pour l'obtenir; je dis assez heureuse, car alors c'était en effet un vrai bonheur que d'avoir un asile respectable et surtout paisible.

A peine étions-nous établis dans notre nouveau domicile, que mon père fut mandé par devant le président de la section ou du district. Il était dans un tel état d'irritabilité que ma mère ne voulut pas qu'il y allât, et mon frère y fut à sa place.

Le président était un petit homme trapu, n'y voyant pas clair; habituellement d'une humeur maussade, et en ce moment de plus mauvaise humeur encore que de coutume; il était occupé à vider deux ou trois bouteilles de vin de Narbonne qu'il buvait, dit-il à mon frère, comme préservatif contre l'humidité de la saison. Or, nous étions alors dans le mois de décembre, époque de l'année toujours charmante dans le midi de la France.

L'illustre magistrat fut long-temps à comprendre que le citoyen Permon, qu'il voyait, n'était pas le citoyen Permon père, que celui-ci était malade, et ne pouvait comparaître devant lui. « Que faites-vous ici? s'écria-t-il en beulgant comme un taureau; Que faites-vous ici? Pourquoi n'êtes-vous pas à l'armée, lâche, aristocrate que vous êtes? Je sais, je sais tout; on me l'avait bien dit! Oh! cela ne se passera pas comme cela; nous en verrons de belles! » Mon frère, vraiment effrayé, pour mon père et pour nous, voulut en vain faire comprendre à cet homme qu'il n'était pas à l'ar

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mée, parce que mon père étant malade, sa famille n'avait que lui pour défenseur et pour appui. Le petit homme n'entendait, ou plutôt ne comprenait rien, et il s'en fallut de bien peu que mon frère ne fût arrêté à l'instant même. Il rentra fort alarmé, mais ne voulut parler de rien à mon père, dont l'état de faiblesse et de souffrance nous donnait déjà d'assez vives inquiétudes; il se concerta avec ma mère, et voici quel fut leur avis.

Ma mère avait, par bonheur, retrouvé dans le commandant de la place un ancien ami qu'elle avait connu en Corse; c'était M. de Reigner, ancien capitaine au régiment de Vermandois; homme excellent, d'un esprit aimable et gracieux, sefaisant aimer de tous ceux qui le connaissaient. Il fut bientôt l'un des plus assidus, comme on peut bien le penser, du petit cercle d'amis, dont ma mère forma sa société intime. C'était, sans doute, un appui, mais bien faible; les représentans du peuple, en mission, affectaient de traiter avec hauteur les militaires qui n'appartenaient pas à l'armée active. M. de Reigner était, en outre, un officier de l'ancien régime; et nous pouvions lui nuire sans qu'il nous fit du bien. L'excellent esprit de ma mère s'unit à son cœur pour le lui faire comprendre dans l'instant même,

et la déterminer à écrire à Salicetti, alors à Paris pour le procès du roi.

Je parlerai plus tard de Salicetti, pour le faire connaître comme homme public. Je me bornerai maintenant à le présenter dans les rapports qu'il eut avec ma famille ; rapports qui devaient avoir une suite bien remarquable pour nous.

Quoi qu'il en soit, après quelque défiance, ma mère se détermina à lui écrire; et voici à quel sujet. Mon père était fort lié avec M. Durosoi, qui rédigeait alors un journal qu'on appelait l'Ami du Roi. M. Durosoi, très-entier dans son opinion, et se trouvant un jour chez mon père avec Salicetti, eut avec ce dernier une scène d'autant plus vive, que chacun des deux antagonistes se trouvait soutenu par l'un des maîtres de la maison. Ma mère avait alors ces idées constitutionnelles que les femmes aimaient sans les comprendre; et puis Salicetti était son compatriote. M. Durosoi lui déplaisait d'ailleurs à l'excès, parce qu'elle le trouvait ennuyeux, et il l'était réellement. Mon père, dont il était l'ami, le soutenait avec chaleur; enfin on en était venu à des paroles assez violentes pour que Salicetti sortît de la maison fort irrité. Depuis cette scène, les événemens s'étaient tellement pressés, que mes parens avaient quitté Paris sans revoir le représentant; et ma mère craignait que

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son souvenir ne lui rappelât la part un peu

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que mon père avait prise à cette discussion. Cette crainte n'était pas alors aussi puérile qu'elle peut le paraître aujourd'hui. Les opinions de mon père avaient dû le guider dans ce qu'il disait, et cette réflexion devait venir à l'esprit d'un homme à qui l'on demandait une sorte de caution pour un autre. Ma mère le sentit, et cela la rendit timide. Cependant elle écrivit.

Sa lettre était celle d'une femme, d'une mère qui craignait tout et qui s'adressait à un homme qu'elle regardait comme pouvant tout aussi pour détourner le danger qu'elle redoutait. Elle invoquait l'amitié, les souvenirs de la patrie, et finissait en disant à Salicetti qu'elle lui devrait la vie de son mari et de ses enfans.

Sans doute il y avait du danger, il y en avait même beaucoup; mais à cette époque, il n'était pas aussi imminent que ma mère paraissait le craindre. De toute la famille, mon frère était le plus exposé ; la réquisition le demandait, et pour lui, marcher comme soldat, eût été marcher à une mort d'autant plus certaine, qu'il en portait le germe avec lui. Les fatigues de l'état militaire en eussent seulement avancé le moment. Mon frère, attaqué d'une inflammation pulmonaire, avait fréquemment des vomissemens de sang. C'était

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