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brasser; puis, se jetant dans un petit canot avec le capitaine de la Convention, il alla gagner le bâtiment qui devait le porter sur un rivage libérateur plus encore qu'hospitalier.

Rendrai-je compte de ce que j'éprouvai, lorsqu'il fut hors de vue? non, cela est impossible, je ne pourrais le décrire. Il n'y a pas de paroles pour cela. Toute peinture paraîtrait trop exagérée, et cependant il est de fait que le moment où le canot disparut entre les vaisseaux du port pour aller chercher celui auquel il appartenait, fut le premier où je pus respirer pleinement, largement; où ma poitrine se souleva sans avoir besoin de ma réflexion pour éloigner le poids terrible d'une inquiétude qui l'oppressait. Enfin je pouvais fixer mes yeux sur ma mère sans que ce charme fût troublé par une affreuse pensée, celle de craindre pour sa vie. Aussi l'embrassai-je avec un redoublement de tendresse, non pas que je l'ai masse mieux, mais il m'était plus doux de le lui témoigner.

Nous couchâmes à Meze. Le lendemain, après déjeuner, nous nous mîmes en route pour Montpellier. Alors nous n'avions plus de crainte en nous arrêtant, en marchant; nous vivions enfin.

Le moment de l'année dans lequel nous étions alors, est le plus favorable à la beauté du Langue

doc. Plus tard, le soleil à dévoré les campagnes; tout est grillé, tout est dans un étát peu attrayant, quoiqu'il le soit plus encore que des champs inondés, des routes fangeuses et un ciel froid et brumeux. Que lord Byron a bien compris le charme du soleil !...

Arrivées à Montpellier, nous vîmes quelques amis que ma mère y retrouva. Mais quel désastre! La mort, l'émigration, la fuite, tous ces fléaux, tristes enfans des discordes civiles, avaient frappé ma ville natale. Elle était bien malade! et c'était du fond du cœur qu'on répétait, en la voyant: Pecaïré! Pecaïré1!

Ma mère, toujours bonne et parfaite, voulut. contenter le désir que j'avais d'aller à la foire de Beaucaire. Ce grand entrepôt des produits méridionaux avait été fermé pendant quelques années, et la foire qui allait avoir lieu était la première depuis la révolution. Ma mère écrivit à M. de Permon, pour lui demander s'il voulait venir pour

• Il est en général fort difficile de traduire des mots tels que celui-ci. Mais pecaïre est impossible à traduire dans aucune langue; l'italien, peut-être, serait la seule qui en approcherait par infelice! et encore cela ne serait-il qu'imparfait; en français, il faut une périphrase. Il y a plus de mots comme cela dans les langues du midi que dans celles du nord. Celui de sandalès en portugais est la même chose.

nous y mener. Mon père répondit, en envoyant un effet sur une maison de Montpellier, pour le cas où nous aurions manqué d'argent; il lui était impossible, disait-il, de quitter Bordeaux dans ce moment, mais il demandait à Loulou de s'amuser, et la priait de ne pas essayer de lutter de grâces, en dansant avec la Tarasque.

CHAPTRE XIX.

Ma sœur, et souvenir antérieur. Répugnance de m on père et la loge d'un cordonnier. - Toulouse pendant la terreur Lettre et conseils de Salicetti à ma mère.

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Réceptions par prudence, et le salon de ma mère. Mademoiselle Stephanopoli et madame de Saint-Ange. Le berceau de la famille Polignac. Bonaparte capable de devenir général de division. Causerie sur la famille Bonaparte.-Nouvel uniforme de général de Napoléon.

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Spéculations

Bonaparte à Nice. Bonaparte et le

A cette époque, ma mère éprouvait de vives inquiétudes relativement à ma sœur. On a pu voir dans les chapitres précédens que je n'en parlais pas du tout. Et, en effet, elle n'était plus avec nous depuis deux ans; elle s'était mariée à Toulouse pendant le séjour que nous y fimes: et son mariage eut une couleur assez particulière,

et qui caractérisait surtout trop bien l'époque pour que je ne revienne pas sur le temps où il se fit, afin d'en rapporter quelques détails.

On a pu voir, dans les chapitres précédens, à quel point mon pauvre père avait été frappé de tous les malheurs révolutionnaires. Opinions, affections, intérêts, tout en lui était ou froissé ou blessé. Son âme était grande; mais son cœur était aimant, profondément reconnaissant; et la blessure qu'il reçut produisit bientôt une fièvre de mort, dont les paroxismes devenaient tous les jours plus douloureux par la profonde solitude dans laquelle il voulait vivre.

Ma mère, qui allait dans le monde, et dont l'esprit vif saisissait rapidement la physionomie de chaque position, vit à l'instant que celle de notre famille, et de mon père surtout, devenait périlleuse et même effrayante dans les suites qu'elle pouvait amener.

Le procureur de la commune, Couder, dont j'ai déjà parlé comme d'un brave homme, prévint ma mère que les bruits les plus inquiétans circulaient dans Toulouse sur le compte de mon père. « On prétend, dit Couder, qu'il sèche d'aristocratie. Moi, j'ai répondu que ce n'était pas vrai, 'et que le citoyen Permon était un franc républi'cain, Je sais bien, ajouta-t-il en clignant de l'oeil

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